
Le Monde – Au Burkina Faso, il est un secteur qui n’a pas semblé particulièrement bouleversé par le récent coup d’Etat : celui des mines. Le 27 janvier, trois jours après la prise de pouvoir des militaires conduits par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, « nous avons réalisé une expédition d’or sans entraves depuis notre mine vers l’étranger », rapporte ainsi Eric Gratton, directeur des relations extérieures en Afrique de l’Ouest du groupe Fortuna Silver Mines.
Cette société canadienne exploite la mine de Yaramoko, dans l’ouest du pays, et raffine le minerai en Suisse. Les opérations se poursuivaient aussi normalement sur les autres mines du pays, seize d’or et une de zinc.
Aujourd’hui, un coup d’Etat ne signifie plus l’arrêt complet de l’activité. « L’ère où les juntes arrivant au pouvoir nationalisaient les mines est révolue, affirme Indigo Ellis, directrice associée de la société de conseil stratégique Africa Matters. Tout futur leader essaie de protéger le secteur minier, qui est une source majeure de devises étrangères. » De fait, mieux vaut éviter de voir s’effondrer les rentrées d’argent et les investissements pour réussir à se maintenir au pouvoir.
Le nouveau chef de l’Etat burkinabé, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a immédiatement fait en sorte de rassurer les groupes miniers, en garantissant dès le 27 janvier la libre circulation du matériel et des personnels, ainsi que le maintien des conditions d’exportation de minerai et des conventions en vigueur à la suite d’une entrevue avec le président de la Chambre des mines, comme l’a révélé Africa Intelligence. L’or représente 11 % du PIB du pays et constitue, avec le coton, 95 % des recettes d’exportation.
Tranquilliser les exploitants
En Guinée et au Mali, les deux pays ouest-africains ayant connu des coups d’Etat en 2021, le caractère essentiel des mines dans l’économie a aussi incité les putschistes à tranquilliser les exploitants.
Au lendemain du coup d’Etat du 5 septembre à Conakry, le colonel et chef de la junte guinéenne Mamady Doumbouya avait annoncé que les contrats signés seraient respectés et que les frontières maritimes resteraient ouvertes afin de permettre aux mines de continuer à fonctionner. Au Mali, les militaires ont désigné un technocrate, Lamine Seydou Traoré, comme ministre des mines, pour apaiser les investisseurs.
Malgré cela, chaque putsch met les groupes miniers en alerte. Dès le 22 janvier, quand la situation a commencé à se tendre dans les casernes militaires du Burkina Faso, les équipes de Fortuna Silver Mines ont suivi l’évolution des événements minute par minute. Des réunions régulières se sont tenues à partir du matin du coup d’Etat, le 24 janvier, entre les dirigeants de la société au Burkina Faso, le directeur des opérations Afrique de l’Ouest résidant en Australie et le siège au Canada.
Dans les zones réputées instables, les entreprises se préparent toujours à une telle éventualité. « Une opération minière est planifiée », rappelle Christian Mion, associé expert du secteur minier du cabinet EY, ce qui passe « par une analyse du risque intégrant les multiples facettes du projet : sécuritaires, politiques, légales, financières, etc. ».
Des plans pour gérer les urgences
Un risque pris d’autant plus au sérieux en Afrique de l’Ouest que la pandémie de Covid-19 a amplifié le chômage et la grogne des populations envers les gouvernements, le tout dans un contexte marqué par une insécurité grandissante, au Sahel notamment.
Sur le terrain, les responsables sécurité des sociétés minières élaborent systématiquement des plans pour gérer les urgences, se tenant prêts à évacuer un site ou à y confiner les employés. Quand la situation se tend, ils limitent les déplacements et font des stocks. La protection passe aussi par la souscription d’une assurance contre le risque politique auprès de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) de la Banque mondiale et l’intégration de clauses spécifiques aux contrats.
Un autre enjeu pour eux est de maintenir de bonnes relations avec les riverains des sites miniers, pour éviter toute contestation sociale. Dans les semaines qui ont suivi le coup de force en Guinée, les menaces de grève et les appels à une intervention du nouveau président pour régler des conflits déjà latents se sont multipliés dans certaines mines de la région de Boké, cœur de la production de bauxite dans le pays.
Les groupes miniers doivent également s’en tenir à une certaine neutralité vis-à-vis des autorités pour ne pas obérer l’avenir. En Guinée toujours, les investisseurs gardent en mémoire le souvenir de la contestation en justice de la vente du complexe de bauxite alumine de Friguia au groupe russe Rusal par la junte arrivée au pouvoir en 2008. Celle-ci estimait le prix trop peu élevé.
Renégocier les termes des contrats
Si à court terme, les coups d’Etat ouest-africains n’ébranlent pas les groupes miniers, la situation à moyen terme peut devenir complexe pour les sociétés concernées. Souvent après quelques mois, avance Christian Mion, les nouveaux pouvoirs passent au crible les secteurs générateurs d’emploi, notamment celui des mines, en affirmant vouloir mettre fin aux contrats déséquilibrés.
En novembre 2020, trois mois après le premier coup d’Etat au Mali, le président de transition Bah N’Daw (qui a depuis été lui-même renversé par le colonel Assimi Goïta) avait ainsi déclaré : « Tout sera fait pour que l’Etat (…) reçoive de ce secteur vital ce qui lui est dû. » « C’est maintenant que doit commencer le travail de réflexion stratégique, de correction, de relecture », avait-il ajouté.
Pour les nouvelles administrations, « renégocier les termes des contrats miniers est populaire et peut aider à alléger la pression financière », rappelle Michael Kearsey, de la société d’intelligence économique Africa Integrity Services.
Au Burkina Faso, le soulèvement populaire qui a fait chuter Blaise Compaoré en 2014 et entraîné la mise en place d’un gouvernement de transition composé de civils et de militaires a, quant à lui, été suivi d’une révision du code minier pour accroître les retombées de l’exploitation sur le développement socio-économique du pays.
Augmenter la fiscalité
Une contribution des compagnies minières à un fonds dédié au développement communautaire a été instaurée, ainsi que l’obligation de recourir à des sociétés locales pour les contrats de prestation de services ou de fourniture de biens. Des dispositions dont les décrets d’application ont toutefois mis des années à être adoptés. Le nouveau texte a aussi augmenté la fiscalité pour les exploitants miniers, ce qui a rendu certains petits projets non rentables.
Source : Le Monde
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