Jusqu’où iront les réseaux sociaux ?

Le Soleil  – Tik Tok domine littéralement le monde virtuel, on nous annonce l’ère des métavers, les influenceurs sont au coeur de l’actualité, et pas pour les bonnes raisons. En ce début d’année, on fait le point sur les fortes tendances numériques et ce que leur — et nous — réserve leur avenir.

«Hahaha. Ouais, je l’ai déjà vu sur TikTok!»

 

En fin d’année, TikTok a détrôné Google au titre de site le plus visité au monde en 2021 selon le site américain Cloudflare. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs actifs, TikTok ne doit pas son succès au pur hasard de la viralité. Certains secrets de sa réussite se dévoilent lorsqu’on étudie la science des mèmes.

«J’ai pas besoin de voir des enfants qui dansent ou qui mangent des Tide Pods.» Je lis encore ce genre de commentaires sous certaines de mes chroniques qui parlent de TikTok. Il est vrai que le réseau social est reconnu pour ses défis stupides (parfois dangereux), mais aujourd’hui, ne pas être sur TikTok, c’est être constamment en retard.

Avec plusieurs de mes proches, partager des mèmes ou des vidéos marrantes, c’est un peu notre façon de se dire : «Je t’aime.» Le truc, c’est que depuis quelque temps, j’ai déjà vu la plupart des vidéos que mes potes m’envoient sur Instagram quelques semaines auparavant sur TikTok.

Encore pire, je me rends compte que je ne rigole plus nécessairement des mêmes choses avec les gens qui n’ont pas l’application. Nous ne voyons plus le même contenu, nous n’avons plus les mêmes références. Nous vivons dans des mondes virtuels aux temporalités et aux codes différents.

«Facebook, c’est un peu où le contenu va mourir», dit en riant la doctorante en études sémiotiques à l’UQAM Megane Bédard. Elle a aussi codirigé le collectif Pour que tu mèmes encore, le premier ouvrage francophone sur l’étude des mèmes. «Je n’ai pas beaucoup étudié TikTok en soi, mais [la plateforme] utilise les mêmes modes de transmission que les mèmes plus traditionnels : la viralité», explique la chercheuse.

Contrairement aux croyances populaires, un contenu ne devient pas viral par magie. Il existe toute une mécanique derrière cette grande popularité. «[Les contenus viraux] sont des phénomènes, des objets, des vidéos ou des images qui viennent nous chercher d’une certaine manière et qui nous amènent à tisser des liens entre différents individus, décortique-t-elle. Le propre des mèmes, contrairement à du contenu proprement viral, c’est qu’on va prendre l’objet, mais on va lui apporter une modification pour se l’approprier.»

Traditionnellement, le mème est une image à laquelle on ajoute un texte qui la rend drôle pour les gens qui ont des références culturelles communes, mais ce n’est plus exclusivement le cas. Sur TikTok, c’est une chanson, un mouvement, une phrase, un son, qui peut devenir un mème. Par exemple, si ma coloc regarde des vidéos TikTok dans le salon pendant que je fais la vaisselle dans la cuisine, je peux me mettre à rigoler toute seule, parce que je devine le type de contenu qu’elle regarde sans voir son téléphone.

Sur la plateforme, tout le monde peut modeler les sons, les images et le texte à sa guise tout en jouant avec les codes spécifiques à la plateforme. On s’encourage mutuellement à créer du contenu populaire afin de faire partie d’un groupe. En gros, c’est une véritable fabrique de contenus viraux. «Avec TikTok, on a réinventé la méméfication si on peut utiliser ce mot-là. On a un phénomène qui est viral, mais le phénomène n’est pas la vidéo en soi, c’est tout ce que l’on peut s’approprier sur la plateforme, que ce soit une danse, un challenge, etc.»

De cette manière, on comprend beaucoup mieux d’où vient la popularité de TikTok. De plus, avec son algorithme plutôt troublant et hyper sophistiqué, TikTok est conçu pour vous montrer du contenu qui vous intéresse. Il suffit de balayer votre écran et vous trouverez toujours (ou presque) une vidéo qui sera en lien avec vos centres d’intérêt, et ce, à l’infini. De plus, une panoplie de fonctionnalités sont disponibles pour partager la vidéo sur n’importe quelle plateforme de communication. «On s’encourage à participer à ces événements-là. Je pense que TikTok a trouvé la recette de la viralité par excellence en ce moment», ajoute Megane Bédard.

Dans plusieurs pays, vous n’avez même pas besoin d’avoir un compte pour voir la vidéo que votre ami vous envoie. Plus vos potes partagent, plus vous allez finir par vivre ce qu’on appelle du FOMO (fear of missing out — la peur de manquer quelque chose). Comme pour les mèmes traditionnels qui proviennent souvent de communautés plus alternatives sur des réseaux comme Reddit, les mèmes de TikTok proviennent d’utilisateurs qui interagissent presque exclusivement avec du contenu qui leur ressemble (ce qui finit par créer de façon plus ou moins organique des communautés). Ces référents communs finissent par accentuer le phénomène de méméfication et de viralité par la même occasion.

 

2022, encore l’Année TikTok ?

 

Alors oui, 2022 risque de continuer d’être l’année TikTok, par contre, tout ceci pourrait se terminer aussi vite que ça a commencé. Comme l’indique Megane Bédard, le processus de méméfication est accéléré sur TikTok. Les tendances disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent. Ça fait en sorte qu’aujourd’hui, les utilisateurs du réseau social parlent déjà de la «nostalgie» du début de la pandémie. TikTok s’est créé une histoire tellement vaste en deux ans que 2020 semble déjà loin derrière nous. Il est donc difficile de réellement prédire le futur de la plateforme, mais ça risque d’être divertissant, croyez-moi!

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ON EN EST OÙ AVEC LE MÉTAVERS DE FACEBOOK ?

 

Métavers… C’est le seul mot à la bouche des chroniqueurs technos depuis la fin de l’automne, mais surtout la dernière obsession de Mark Zuckerberg. Il a même changé le nom de sa compagnie pour annoncer ce « fabuleux » monde virtuel qui va révolutionner nos vies. N’empêche que, depuis le lancement, il ne semble pas y avoir tant de monde que ça à la messe comme on dit…

Vous en connaissez, vous, des gens qui assistent à leurs réunions de boulot sur le métavers ou qui y font leurs emplettes le samedi matin ? Internet nous conjure de nous préparer pour ce grand changement de paradigme, mais il ne semble pas si imminent. J’en ai discuté avec la professeure titulaire au département de communication sociale et publique de l’UQAM, Maude Bonenfant. Elle en connaît un rayon sur les jeux vidéos, les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle.

 

Q Personnellement, je ne connais personne qui est là-dessus. Est-ce qu’il y a beaucoup d’utilisateurs du métavers à ce jour ?

 

R Quand on parle de métavers, il est important de clarifier que l’on parle de celui de Facebook, parce qu’il (Mark Zuckerberg) n’a pas inventé le métavers. Pour l’instant, on en est encore à son balbutiement. Officiellement, ça a été lancé cet hiver seulement pour les utilisateurs de l’Oculus Rift (un casque de réalité virtuelle) qui est une propriété de Facebook. Qu’est-ce qui va arriver en 2022 ? On va probablement être encore dans les premiers pas du métavers pour des questions technologiques : ce n’est pas encore commun d’avoir des lunettes de réalité virtuelle.

Pour qu’il y ait vraiment un engouement, il faut que les gens soient habitués, éduqués et qu’ils comprennent bien comment on navigue dans ces univers-là. Qu’ils en acceptent à la fois, les règles sociales (établies entre les individus eux-mêmes), mais aussi les règles que l’entreprise va imposer. On commence de plus en plus de parler des effets négatifs de Facebook et de la numérisation en général au niveau sentimental, mais aussi en termes d’exploitation des données personnelles avec du renvoi publicitaire. Disons que 2022 ne sera certainement pas l’explosion du métavers à la Facebook.

Q Les métavers existent depuis longtemps. On peut penser à Second Life au début des années 2000 ou à des jeux comme Minecraft. Comment se fait-il que Zuckerberg présente son concept comme une nouveauté ?

 

 

R Ce n’est pas nouveau, surtout lorsqu’on connaît les jeux vidéos. Dans le milieu, on ne parle pas vraiment de métavers, mais on peut faire un parallèle entre les deux. En fait, c’est un monde complet en soi dans lequel on peut naviguer à partir d’un avatar qui est une représentation de nous-mêmes et où on se construit une identité en ligne. Dans les jeux vidéos, les principales activités sont ludiques et sociales, mais ce que veut ajouter Zuckerberg, ce sont d’autres types d’activités, dont le travail. On se rendrait au bureau à l’aide de notre avatar par exemple. Ce sera aussi un lieu de transaction. L’achat d’objets virtuel existe déjà dans les jeux vidéos, mais là, à la place d’aller sur le site d’Amazon, par exemple, on se promènerait avec notre avatar dans les rayons du magasin en ligne. On parle aussi de concerts et d’activités culturelles, mais ça a déjà été fait dans des jeux comme Fortnite et autre. Donc, ça non plus, ce n’est pas nouveau. Il surfe sur la vague.

 

Q Ça semble génial, mais à la fois terrifiant ?

 

R Ce que j’explique souvent, c’est que je ne suis pas contre les métavers, je suis contre le métavers de Facebook. Pour que les gens comprennent bien, j’explique qu’un métavers, c’est comme une ville. C’est comme si Montréal appartenait à Facebook, donc chaque fois que vous sortez dehors, Facebook le sait, quand vous allez au café, ce que vous avez dans votre frigo, la marque de votre pâte à dent… C’est là que les gens commencent à réaliser ce qu’est la surveillance. Pourquoi est-ce qu’on fait ça ? Pour faire du profilage qui est vendu à des entreprises pour faire la publicité la plus ciblée possible. On est donc en mesure de manipuler la consommation des gens, mais si on est en mesure de faire ça, on peut aussi manipuler leurs idées politiques. C’est pourquoi il y a des discussions en ce moment aux États-Unis sur le pouvoir beaucoup trop grand qu’a Facebook.

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Léa Martin
Les Coops de l’information

 

 

 

 

Source : Le Soleil (Canada) – Le 07 janvier 2022

 

 

 

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