Sidney Poitier, première star noire d’Hollywood

Courrier internationalAvant lui, Hollywood cantonnait les acteurs noirs aux rôles de majordomes ou d’idiots du village: Sidney Poitier, qui s’est éteint vendredi, avait brisé ces stéréotypes en incarnant dans les années 50 à 70 des personnalités exemplaires, participant ainsi à la lente mutation des mentalités.

En 1964, l’acteur est le premier Afro-Américain à remporter l’Oscar du meilleur acteur pour « Le Lys des champs ». « Le voyage a été long pour en arriver là », lançait-il très ému, en recevant la statuette dorée.

Grâce à ses rôles, le public a pu concevoir que des Afro-Américains pouvaient être médecin (« La Porte s’ouvre » – 1950) , ingénieur, professeur (« Les Anges aux poings serrés » – 1967), ou encore policier (« Dans la chaleur de la nuit – 1967).

L’acteur Sidney Poitier admire son Oscar d’honneur, le 23 mars 2002 à Los Angeles

Mais à 37 ans, lorsque l’acteur au sourire incandescent reçoit son Oscar, il est la seule star noire à Hollywood. « L’industrie cinématographique n’était pas encore prête à élever plus d’une personnalité issue des minorités au rang de vedette », décryptait-il dans son autobiographie « This Life ».

« A l’époque,(…) j’endossais les espoirs de tout un peuple. Je n’avais aucun contrôle sur les contenus des films (…) mais je pouvais refuser un rôle, ce que je fis de nombreuses fois ».

En 2002, 40 ans plus tard, Sidney Poitier recevait un Oscar d’honneur pour « ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence ».

« J’accepte cette récompense au nom de tous les acteurs et actrices afro-américains qui m’ont précédé (…) et sur les épaules desquels j’ai pu m’appuyer pour envisager mon avenir », répondait l’acteur remerciant « les choix visionnaires d’une poignée de producteurs, réalisateurs et directeurs de studios ».

L’acteur Sidney Poitier (à gauche) et l’acteur Denzel Washington (à droite) lors de la cérémonie des SAG Awards, le 12 mars 2000 à Los Angeles

Ce même soir, Denzel Washington devenait le second Afro-Américain à recevoir l’Oscar du meilleur acteur: « Je n’arriverai jamais à votre hauteur et j’inscrirai toujours mes pas dans les vôtres ».

– « Oncle Tom » –

Lorsque Sidney Poitier naît le 20 février 1927 à Miami, son père lui achète un cercueil. Le bébé a deux mois d’avance et pèse à peine un kilo. C’est son septième enfant: ce vieux cultivateur en a déjà perdu d’autres. Il était venu des Bahamas pour tirer un meilleur prix de ses tomates, pas pour accueillir un nouvel enfant. Sa femme refuse le fatalisme. Elle consulte une voyante qui prédit un avenir brillant à Sidney. Les parents restent trois mois de plus à Miami.

Grâce à cette naissance prématurée, Sidney Poitier obtient la nationalité américaine. A 15 ans, ses parents peuvent donc l’envoyer à Miami chez son frère pour gagner sa vie. Il n’a alors jamais mis de chaussures ailleurs qu’à l’église.

Pour échapper aux lois racistes de Floride, il part pour New York. Son fort accent caribéen lui vaut d’être refusé par l' »American Negro Theatre ». Il travaille à s’en débarrasser.

Nelson Mandela (à gauche) avec l’acteur Sidney Poitier (à droite), le 16 mai 1996 à Cape Town

Engagé en 1946 à Broadway, il est remarqué par le réalisateur Joseph Mankiewicz. Pour son premier film (« La Porte s’ouvre » – 1950), il interprète un médecin au chevet de deux racistes blancs. Le film, censuré dans le sud des Etats-Unis, lance sa carrière.

Trois ans après son Oscar, il est le héros de trois immenses succès au box-office (« Devine qui vient dîner », « Les anges aux poings serrés » et « Dans la chaleur de la nuit »). Il devient encore plus populaire que Steve McQueen et Paul Newman.

A Hollywood, peu de choses pourtant ont changé pour les acteurs noirs. Montré du doigt par les plus militants, on éreinte ses rôles de gendre idéal, bien loin des discriminations vécues par ses semblables. Il hérite des sobriquets « Oncle Tom », « laquais », « cireur de pompes à un million de dollars ».

Au début des années 70, une nouvelle ère pour le cinéma noir s’ouvre avec la « Blaxploitation » et ses films plus radicaux. « Ma carrière comme vedette hollywoodienne touchait à sa fin », analysait l’acteur qui se consacre alors à la réalisation.

En 1997, il incarne Nelson Mandela puis le premier juge noir de la Cour suprême américaine, Thurgood Marshall.

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Los Angeles (AFP)

Source : Courrier international

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