Une brève note de lecture de « Je pars » de Diary Sow / Par Hamady Sy

Une difficulté sérieuse à lire l’œuvre d’une proche est de trouver par quel artifice suspendre, juste le temps de la lecture, la relation personnelle qui nous lie. Que cette dernière ne pré-organise pas trop nos sentiments, qu’elle interfère le moins possible avec ceux-ci afin de préserver au maximum `la liberté’ dans nos conditions de lecteur, d’apprenant, de découvreur et éventuellement d’appréciateur ou de critique. Il est tout aussi peu aisé de parler d’un roman, qu’il soit l’œuvre d’un proche ou celle d’un inconnu.

Car derrière l’exposition du produit de la création se cachent tant d’intimité et tant de confidence qui hésitent entre le secret et le dévoilement. Il faudrait, pour quiconque qui voudrait se soumettre à un pareil exercice, être `voyeur’ et accepter, non sans prétention, de jouer au cache-cache avec les intentions de l’auteur. Si je me lance à vouloir rendre publiques mes appréciations de lecture, de ce livre en particulier, ce n’est pas parce que j’aurais la certitude d’avoir déniché ces intentions. Loin s’en faut !

Je mesure parfaitement les failles et les approximations probables de ma vision des choses. Ce sur quoi j’ai moins de doutes c’est le talent exceptionnel de l’auteure. J’ai donc ressenti le besoin d’en parler. Tout d’abord, Diary a la finesse extraordinaire de la création des personnages, elle détient un talent certain dans le tissage des relations qui régiront et abriteront la structure et les détails de leurs rapports.

Diary ne dessine pas ses personnages, elle les sculpte. Là où un dessin n’interagirait que de façon globale avec « son monde » une fois placé dans le théâtre des évènements, une sculpture, elle, subit, à toutes ses échelles et dans ses moindres détails, tous les phénomènes de son milieu physique et psychique. Ainsi, les personnages sculptés agissent pleinement, tandis que ceux dessinés le font grosso-modo. L’auteure de « Je pars » s’assure que ses sculptures soient en matière modelable qui répond, se déforme et se réforme au gré des aventures.

Gardant donc en mémoire les morsures du temps et les aléas d’une vie expressément hasardeuse. Il suffirait ainsi d’appuyer sur un « bouton » pour atteindre chaque personnage dans son for intérieur : un détail de son passé, ou le futur de son itinéraire. Cela donne à la mécanique générale du roman son aspect harmonieux, parcimonieux et agréable à arborer. Avec une force descriptive monumentale, un vaste pouvoir suggestif, un inconditionnel souci du détail, Diary compose plus qu’elle n’écrit. L’écriture devient de la musique détaillée en mots ; ces lignes de texte bien droites, bien séquencées, bien rangées, à boire d’un trait, turbinent pourtant tant de pulsions et d’émotions ; tant de peur, de colère, de crainte, d’amour ou de tentatives d’amour, tant d’envies, tant d’inquiétude…

L’esprit, comme toujours, n’hésite pas à faire agir le corps afin que ce dernier remplisse les fonctions qu’il n’assume que peu voire pas du tout. Du moins, qu’il dédaigne moralement ! Coura n’est pas une désespérée, elle en est le contraire. Elle est une obstinée de l’espoir. En croyant avoir tout perdu, elle espère quand même pouvoir tout gagner de nouveau, sinon gagner un nouveau tout’. Un tout’ vif qui vibre à la bonne fréquence, elle-même à trouver ; un tout’ incertain, à construire de toutes pièces et sous des contraintes qui apparaissent déjà hostiles. Un tout’ naissant qui s’apprête à vivre. Un `tout’ qui devra tôt ou tard affronter sa propre genèse… Même dans sa furtive conquête de la mort, elle cherchait la vie. Une vie telle qu’elle entend la désirer.

À travers l’itinéraire de Coura, Diary nous invite à revisiter un champ de nos vies. Le chemin de Coura épouse en effet, ne serait-ce que par brins isolés, les nôtres : nous avons tous un peu de Coura, un peu de ses frustrations, un peu de ses colères, un peu de ses espérances, un peu de ses sentiments. Il est intéressant d’observer quelqu’un qui a un peu de nous, ou peut-être plus, suivre une alternative qui ne nous est pas accessible. C’est un cauchemar ? Un rêve ? Un fantasme ? Un projet ? Un échec ? En tout cas, c’est une alternative ! Un enseignement. Sur un plan critique, je serais curieux de voir une Coura qui, à la place d’un Amsterdam, arpenterait les rues d’une de ces villes africaines comme Dakar, Bamako ou Conakry…

Loin d’une recommandation chauvine, j’entreverrais surtout un théâtre plus étoffé, des vies plus chamboulées, des contradictions plus intenses, des interdits plus nombreux. De diverses Ana anonymes qui, le long des trottoirs, racontent, chacune, une histoire différente, tragique à sa manière, et ne sont écoutées par personne ! De véritables exutoires méprisés d’une société en apparence inoffensive, mais pleine d’agressivités.

Au sein des murs familiaux, dans les canaux sinueux des rues de la ville, au fond des campagnes disloquées en villages. Société hiérarchisée selon les genres, les `castes’, les lignées, les confréries ; autant de sources à même de sécréter des Coura et des Ana. J’aimerais une Coura qui part à la rencontre d’autres Coura d’Afrique, là où la disparition est encore plus rugueuse.

Où, après qu’elle fut consommée, aucune retrouvaille n’est plus envisageable. Scruter les tabous d’une société de déni qui, tout en consommant en catimini les vices’ et les perversités’ – en reprenant ses propres mots, traine ceux qui en parlent devant le tribunal de la morale triviale. Une société, aussi, qui, sous l’étreinte des diktats externes intouchables et impitoyables, vit telle qu’elle est `programmée’ à vivre…

Enfin, j’aurais rêvé donc d’une Coura qui prolonge sa révolte jusque contre les forces qui structurent les sociétés, au-delà de ce que ces dernières peuvent être injustes, étouffantes, tyranniques, censeurs… Ces Coura seront certainement l’objet de nos prochains échanges dans le même genre que ces stimulantes discussions que nous avons régulièrement eues durant ces dix derniers mois.

En attendant, la Coura qui nous emmène avec elle dans sa tumultueuse quête d’elle-même nous apprend amplement, et de façon originale, sur des sujets autour de la disparition et bien d’autres. On en sort, pas moins partagé qu’en y entrant, mais plus circonspect devant l’envie entraînante de juger…

Hamady Sy

(Reçu à Kassataya.com le 06 décembre 2021)

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