L’ancien président Moncef Marzouki accusé d’avoir « nui aux intérêts de la Tunisie à l’étranger »

La justice tunisienne a émis un mandat d’amener international contre celui qui a dirigé le pays de 2011 à 2014 et vit aujourd’hui à Paris.

Le Monde  – « Je suis fier d’avoir été parmi ceux qui ont participé au report du Sommet de la francophonie. » Pour ces mots, prononcés à Paris le 12 octobre sur le plateau de la chaîne France 24 en arabe, l’ancien président tunisien Moncef Marzouki, qui a dirigé le pays de 2011 à 2014, fait l’objet d’un mandat d’amener international depuis le 4 novembre. L’ex-dirigeant, qui vit aujourd’hui à Paris, faisait référence au sommet prévu à Djerba fin novembre et qui a été reporté à 2022 à cause notamment de la situation politique en Tunisie, même si cette raison n’a jamais été officiellement évoquée.

Après l’émission, l’actuel chef de l’Etat, Kaïs Saïed, dont M. Marzouki est un farouche opposant, avait demandé à la justice tunisienne d’ouvrir une enquête et de retirer son passeport diplomatique à celui qui figure selon lui « parmi les ennemis de la Tunisie ». « Celui qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Tunisie depuis l’étranger doit être accusé de complot contre la sûreté de l’Etat », avait-il affirmé lors d’un conseil des ministres. Deux jours après l’intervention télévisée, une enquête judiciaire était ouverte contre l’ex-dirigeant, accusé « d’avoir nui aux intérêts de la Tunisie à l’étranger ».

A couteaux tirés

Les deux hommes sont à couteaux tirés depuis le coup de force de Kaïs Saïed du 25 juillet : ce jour-là, le président élu a gelé le travail du Parlement et limogé le chef du gouvernement, puis s’est octroyé les pleins pouvoirs par le biais d’un décret présidentiel publié le 22 septembre. Depuis, son prédécesseur n’a cessé de dénoncer un « coup d’Etat », n’hésitant pas à traiter Kaïs Saïed de « putschiste » et de « dictateur ». Lors d’une manifestation organisée le 9 octobre à Paris, Moncef Marzouki a également appelé la France à retirer tout appui au président actuel, parlant de « régime dictatorial ». Pour M. Saïed, connu pour lire attentivement ce qui se dit de lui sur les réseaux sociaux, la petite phrase de Moncef Marzouki sur France 24 a été celle de trop.

 

Ancien opposant au dictateur Zine El-Abidine Ben Ali et militant reconnu des droits de l’homme, l’ex-chef de l’Etat s’était pourtant fait discret dans les médias depuis son échec à l’élection présidentielle de 2019. Son passage au palais de Carthage entre 2011 et 2014 lui a valu de nombreuses critiques et railleries – surnommé « Tartour » (« pantin ») par une partie des internautes – et d’être accusé de compromission avec les islamistes. Son parti, le Congrès pour la République (CPR), formait à l’époque un trio politique avec le parti Ennahda, majoritaire à l’Assemblée, et une petite formation de centre gauche, Ettakatol. Très critiquée pour sa gestion du pays, la « troïka » avait dû laisser les rênes du pouvoir au bout de trois ans.

Cette impopularité de Marzouki « a rendu facile le fait de le prendre pour cible, car, pour beaucoup de Tunisiens, il représente surtout les mauvais souvenirs d’une instabilité politique dans le pays, et d’une polarisation extrême », analyse le politologue Selim Kharrat, rappelant que l’homme est aussi une figure « qui a beaucoup sacrifié pour se battre contre la dictature de Ben Ali ».

« Dérives inquiétantes »

Si M. Marzouki a reçu un faible soutien dans son pays natal où les sondages montrent une forte popularité de Kaïs Saïed, une soixantaine d’intellectuels et de personnalités politiques ont signé une pétition de solidarité dans laquelle ils fustigent une « décision arbitraire ». Parmi les signataires se trouvent des figures de l’opposition à Kaïs Saïed comme le juriste Jaouhar Ben Mbarek ou le constitutionnaliste Yadh Ben Achour, des militants de longue date comme la féministe Bochra Bel Haj Hmida : tous défendent le droit de Moncef Marzouki à « s’exprimer sur la situation en Tunisie au nom de la liberté d’opinion ». « Je ne partage pas ses idées ni ses dernières déclarations qui étaient très exagérées, mais la façon de faire de la présidence et les dérives de certains juges sont inquiétantes », estime Bochra Bel Haj Hmida.

Le parti islamo-conservateur Ennahda a également apporté son soutien à Moncef Marzouki, dénonçant des « atteintes aux libertés et aux droits » et accusant Kaïs Saïed « d’exercer une pression sur le pouvoir judiciaire ». Pour Selim Kharrat, même si le mandat d’amener a peu de chances d’aboutir – l’ancien président se trouvant en France –, « il s’agit d’un message envoyé à tous ceux qui nourrissent une forme de dissidence ».

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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