Vu d’Afrique – Au Soudan, les militaires ont “tombé le masque”

Courrier internationalLe coup d’État perpétré le 25 octobre à Khartoum résonne de façon évidente en Afrique de l’Ouest. Le quotidien burkinabé Wakat Séra s’inquiète des transitions trop longues et du partage déséquilibré des pouvoirs entre civils et militaires dans certains pays africains.

Et ce qui devait arriver arriva ! La formule va comme un gant aujourd’hui au Soudan victime d’un coup d’État militaire, alors que le pays se trouve englué, depuis deux ans, dans une transition politique moitié kaki, moitié civile. Un monstre imposé au Soudan après la chute d’Omar Al-Bachir, trouvaille des experts de la chose politique et de la communauté internationale après les putschs ou insurrections populaires.

Comme un remède universel, [cet instrument] est appliqué systématiquement, selon un schéma immuable, soit du président militaire flanqué d’un Premier ministre civil servant au mieux des cas, de faire-valoir, comme au Mali. Soit du contraire, c’est-à-dire un chef de l’État intérimaire civil, juste abonné à l’inauguration des chrysanthèmes, couplé avec un Premier ministre militaire qui détient la réalité des pouvoirs, comme au Burkina Faso à la suite de la démission de Blaise Compaoré, emporté par un mouvement populaire en octobre 2014. Au Soudan, la lune de miel est visiblement bien finie entre militaires et civils, qui, jusqu’à la rupture, n’ont jamais réussi à masquer leurs divergences.

 

“Compteurs presque à zéro”

 

 

Au Soudan, comme au Mali, où les militaires sont venus voler la révolution populaire en coiffant au poteau des civils qui ont ébranlé le régime en place sans réussir à le faire tomber, le Assimi Goïta [président de la transition au Mali] n’est pas un colonel, mais un général du nom d’Abdel Fattah Al-Burhan. Mettant à profit les contradictions qui ont toujours miné cette transition hybride, les querelles entre politiciens, les crises qui ont secoué le pays à l’est, les réformes économiques du Fonds monétaire international, impopulaires comme partout, les pénuries diverses de denrées vitales, la signature d’accords de paix avec le voisin de Juba, etc., le nouvel homme fort de Khartoum a remis les compteurs presque à zéro.

Dissolution du Conseil souverain de la transition et du gouvernement, état d’urgence, arrestation du Premier ministre et d’autres ministres, retenus dans un endroit inconnu, ont, entre autres, marqué ce coup d’État, contre lequel se sont levés, comme un seul homme, les Soudanais épris de paix, de justice et de démocratie, qui croyaient avoir fait le plus dur, en se débarrassant d’Omar Al-Bachir.

 

Des transitions bancales

 

Mais que peuvent ces populations civiles contre une armée qui reprend les rênes du pays, sentant ses intérêts menacés et dont la mainmise sur l’économie soudanaise est un véritable secret de polichinelle ? Des milliers de civils qui sont redescendus dans la rue contre le coup d’État du général Abdel Fattah Al-Burhan comme ils l’avaient fait en avril 2019 pour chasser Omar Al-Bachir du pouvoir. Toutefois, ils avaient dû attendre le coup de pouce salvateur des militaires, qui, pour sauver les meubles, ont mis aux arrêts le général danseur à la canne.

Maintenant qu’ils ont en face ces mêmes militaires poussés par l’instinct de survie, les civils, armés de leur seule détermination face aux canons, seront-ils en mesure de rééditer l’exploit d’il y a deux ans ? Les jours à venir seront décisifs dans ce nouveau bras de fer entre civils et communauté internationale d’un côté et l’armée soudanaise de l’autre.

Des sources fiables évoquent déjà au moins 3 morts [un bilan actualisé parle de 7 morts] et plus de 80 blessés aux premières heures de ce coup de force, le bilan pouvant bien s’alourdir cette nuit, et dans les jours à venir, malgré l’état d’urgence décrété par les putschistes. Seule la mobilisation sincère, mais musclée, de la communauté internationale, qui s’inquiète et condamne l’acte perpétré par l’armée, pourrait remettre le Soudan comateux sur les chemins de la renaissance.

 

Les militaires tombent le masque

 

Question : pourquoi avoir forcément cherché à constituer un attelage militaro-civil pour cette transition qui devait servir de balise à une marche vers la démocratie et la liberté, après près de trois décennies d’un régime militaire de fer dirigé, de 1993 à 2019, par Omar Al-Bachir, véritable prédateur des droits humains ?

Difficile de ménager, dans certaines circonstances, la chèvre et le chou, même si c’est l’irruption des hommes en kaki sur le théâtre des manifestations qui a porté le coup fatal à Bachir. Les militaires, aujourd’hui nostalgiques du temps d’Omar Al-Bachir, où ils étaient les seigneurs de l’économie soudanaise, ne sont-ils pas simplement en train de tomber le masque, après avoir réussi à jouer le jeu du loup dans la peau de l’agneau qui acceptait d’aller docilement au sacrifice sur l’autel de la démocratie ?

C’est plus que jamais le moment pour la communauté internationale, dépouillée de tout dessein inavoué, de se ranger aux côtés du peuple pour l’aider à récupérer sa révolution confisquée et à jouir, au bout du rouleau, du doux nectar de la véritable liberté.

Editorial
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Source : Courrier international

 

 

 

 

 

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