Au Burkina Faso, l’ode à la résilience du cinéaste Seidou Samba Touré

Présenté au Fespaco, le documentaire « Massiiba, le mal d’un peuple » raconte la crise sécuritaire qui mine le nord du pays depuis six ans.

Le Monde  – Les paysages défilent, majestueux. Les dunes de sable doré, la colline blanche de Tondikara, les hérons cendrés de la mare d’Oursi et la petite ville de Gorom-Gorom, aux portes du désert du Sahara. Des images rares de cette région du nord du Burkina Faso rongée par les violences djihadistes. Le réalisateur Seidou Samba Touré a pu filmer ses terres natales, en « zone rouge », sillonnant les routes à moto, un petit caméscope caché dans son sac, avant qu’il ne soit « trop tard ». « Aujourd’hui ce film aurait été impossible », indique le jeune cinéaste originaire de Gorom-Gorom, dans la zone dite « des trois frontières », près du Mali et du Niger, où se sont réfugiés plus de 30 000 déplacés fuyant les violences des groupes terroristes.

Seidou Samba Touré est l’un des rares cinéastes burkinabés à avoir réalisé un documentaire sur la crise sécuritaire qui mine son pays depuis six ans. Son premier long-métrage, Massiiba, le mal d’un peuple, est une ode à la résilience des populations de la région burkinabée du Sahel. Sa caméra, son arme de poing face à l’extrémisme violent. Le film, d’une durée de 62 minutes, a été sélectionné dans la « section Burkina », une nouvelle catégorie récompensant les meilleures productions nationales cette année à la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), qui s’est tenu du 16 au 23 octobre.

Massiiba est imaginé comme une lettre adressée à Boukari, son ami d’enfance, avec lequel il parcourait les pistes rouges du Sahel à bord du camion de son père routier. Boukari, devenu chauffeur à son tour, devait être l’un des personnages principaux du documentaire. Mais en 2018, le jeune homme a été enlevé, après une attaque, alors qu’il partait ravitailler la ville d’Arbinda (nord). Depuis, plus rien. Nul ne sait s’il est mort ou vivant. « Cher Boukari, si seulement tu pouvais nous dire où tu es ? », interroge le réalisateur en voix off.

 

Carnet de voyage en terre oubliée

 

C’est à ce Boukari absent, dont on ne voit jamais de photo, que Seidou Samba Touré destine son carnet de voyage en terre oubliée. Il raconte leur Gorom-Gorom « d’avant » et son marché grouillant de commerçants et d’artisans de la région, peuls, touaregs, songhaï. Oursi, la cité du désert, où affluaient des dizaines de touristes étrangers chaque jour, venus se balader à dos de dromadaire et dormir à la belle étoile. Un autre temps, révolu, qui a laissé place à un champ de ruines, d’écoles et de maisons brûlées par les groupes armés.

Dans Massiiba, Seidou Samba Touré donne la parole au guide du musée d’Oursi, qui continue de veiller sur les vestiges d’une case du Xe siècle malgré la visite du dernier touriste « en 2012 », au début de la crise au Mali voisin. A cette enseignante, contrainte de fermer les portes de son établissement suite aux menaces des djihadistes. Ou encore à cette vieille femme à moitié aveugle, obligée de fuir en charrette après l’attaque de son village et qui a « tout perdu », ses animaux, son mil, ses marmites. « J’ai 90 ans et je n’ai jamais vécu un tel malheur [« massiiba » en arabe] », souffle-t-elle.

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Des terroristes – ces « maîtres de la brousse », comme les appelle le réalisateur –, on ne verra aucun visage, aucune trace. Seuls restent les échos des dernières tueries et de leurs fantômes, ces déplacés fuyant toujours plus au sud. Au fil du film, l’étau se resserre au rythme de l’actualité. Le tournage, commencé en 2016 et terminé en 2020, a été de plus en plus risqué. « J’ai eu peur, plusieurs fois j’ai dû arrêter à cause d’alertes d’attaques », raconte Seidou Samba Touré, qui a préféré filmer discrètement, craignant d’être « pris pour cible par les terroristes ou les forces de sécurité ».

 

« C’est à nous de raconter notre histoire »

 

Mais pour ce cinéaste engagé, il fallait porter la voix de « ceux qui résistent », peu importe le danger. « C’est chez moi. Les Ouagalais disent que la zone est trop dangereuse, qui d’autre aurait voulu faire ce film sinon ? », rétorque le Burkinabé, formé au documentaire en 2015 grâce au projet « Countering Violence Extremism » de l’ambassade des Etats-Unis à Ouagadougou. Au total, il a collecté plus de 500 heures d’images, dont environ 200 heures de témoignages. « Il a fallu rassurer les gens, mais après ils avaient envie de se confier », rapporte-t-il.

Seidou Samba Touré ne pensait pas un jour intégrer le monde du cinéma. Avant, il tenait une boutique de prêt-à-porter et avait monté une troupe de danse traditionnelle à Gorom-Gorom. En 2015, il venait de reprendre un campement touristique quand un expatrié roumain a été enlevé à quelques kilomètres de là. Le couvre-feu, la fuite des habitants, ses amis tués, le désespoir et le sentiment d’impuissance… « Tout est tombé à l’eau », résume le cinéaste, repéré en 2016 par l’association Semfilms pour filmer une série de reportages sur l’insécurité.

 

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Source : Le Monde 

 

 

 

 

 

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