Opération « Barkhane » : l’état-major des armées reconnaît pour la première fois avoir tué une femme en opération

L’état-major des armées a lancé une enquête sur les conditions de ce décès, notamment afin d’établir s’il s’agissait d’une civile, donc d’une potentielle victime collatérale, ou d’une membre d’un groupe armé terroriste.

Le Monde   – Pour la première fois depuis le début de l’engagement de la France au Sahel, en 2014, dans le cadre de l’opération « Barkhane », l’état-major des armées a reconnu, mardi 19 octobre, avoir tué une femme lors d’une opération. Selon les premiers éléments communiqués par l’état-major, les faits ont eu lieu lundi 18 octobre, près de la RN 16, à l’est de Gossi, au sud de la ville de Gao, où se trouve l’une de ses dernières bases actives de la France sur le territoire malien. Il s’agissait d’une opération de reconnaissance à pied, menée par des troupes françaises et une unité malienne.

Le récit livré par l’état-major est le suivant. Lors de cette mission, deux individus à moto ont été détectés. A la vue des soldats français et maliens, ils ont abandonné l’engin et se sont repositionnés dans un bois. Un fusil d’assaut, des munitions et un sac militaire ont été découverts près de la moto. Les militaires se sont alors lancés à la poursuite de l’un des deux individus. Quatre tirs de sommation ont été effectués pour le stopper, mais il se serait encore éloigné.

 

« A l’approche d’un découvert, les soldats français reprennent un contact visuel avec un des deux individus qui s’est arrêté à environ 200 mètres de leur position. L’individu se retourne vivement vers les soldats, qui appliquent un tir de neutralisation. Les soldats rejoignent la position de l’individu neutralisé. Ils découvrent qu’il s’agit d’une femme », a détaillé l’état-major des armées dans son communiqué.

Or, selon des détails complémentaires obtenus par Le Monde, aucune arme n’a été retrouvée près du corps de la victime. De loin, sa tenue aurait prêté à confusion, car il s’agissait d’une tunique comme peuvent en porter les hommes. Les militaires français auraient d’ailleurs cru avoir à faire à un homme. Des habitants du village le plus proche ont été appelés pour identifier cette personne, mais aucun ne la connaissait. Décision a donc été prise de l’enterrer, conformément aux règles d’usage, « afin de ne pas abandonner le corps », d’après l’état-major des armées.

 

Un « conflit armé non international » sur le plan juridique

 

Le commandant de la force « Barkhane » a ouvert une enquête de commandement pour préciser le déroulement exact des faits et « disposer d’un éclairage complet sur cette action de combat ». Au cours de leurs opérations, les militaires de « Barkhane » peuvent être amenés à observer des femmes et des enfants vivant « à proximité » de groupes armés terroristes, remarque une source proche du dossier. Toutefois, jusqu’à présent, ils n’avaient jamais été confrontés à une femme dans le cadre d’affrontements aussi rapprochés au Sahel.

« Les premiers éléments ne permettent pas de dire qu’il existe, dans ce cas, une violation automatique du droit des conflits armés ni des règles opérationnelles d’engagement », estime le député LRM de l’Eure Fabien Gouttefarde, spécialiste des questions de défense et ancien juriste opérationnel auprès des armées. « Les armes trouvées, et qui semblent justifier la poursuite, peuvent tout à fait faire tomber les fuyards dans la catégorie des individus participant directement aux hostilités. Au Sahel, les règles d’engagement peuvent aller au-delà de la seule légitime défense. Le sexe de la victime n’a aucune conséquence sur cette qualification », précise-t-il.

Pour l’ONU, faire allégeance à un groupe terroriste ou lui apporter un soutien sporadique ne suffit pas à faire d’un individu, homme ou femme, une cible légitime

 

Sur le point précis de la « participation directe aux hostilités », la France s’écarte toutefois en partie de l’interprétation du droit international humanitaire (DIH) faite par exemple par l’Organisation des Nations unies (ONU), à partir des exégèses du Comité international de la Croix-Rouge. Les militaires français peuvent ainsi considérer que le fait d’appuyer en renseignement ou en logistique un groupe djihadiste peut justifier une frappe aérienne.

Ce qui n’est pas le cas de l’ONU, qui estime que, dans le cadre d’un conflit comme celui du Mali – qui est un « conflit armé non international » sur le plan juridique –, seules peuvent être ciblées des personnes « participant directement aux hostilités ». En clair, pour l’institution, faire allégeance à un groupe terroriste ou lui apporter un soutien sporadique ne suffit pas à faire d’un individu, homme ou femme, une cible légitime.

 

Accusations de bavure

 

En janvier, la force « Barkhane » s’était déjà retrouvée dans une position délicate à la suite d’accusations de bavure concernant une frappe aérienne menée sur un village du centre Mali, appelé Bounti. Elle avait tué « une trentaine de djihadistes », aux dires de l’armée française. Chose démentie par des témoins, qui ont considéré qu’il s’agissait là de « civils » participant à un mariage. Conformément à l’interprétation du DIH en vigueur à l’ONU, une enquête menée par la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), rendue publique en mars, a conforté cette version, tout en admettant qu’il y avait bien plusieurs djihadistes parmi les tués. Aucune femme ne faisait toutefois partie des victimes, a précisé le rapport.

 

Après cette affaire, la France a également été mise en difficulté, fin mars, par une frappe sur des mineurs – non identifiés comme tels selon l’armée au départ – dans une localité dénommée Talataye, située entre Gao et Ménaka. Cela a de nouveau donné lieu à une enquête de la Minusma. Contrairement à l’affaire de Bounti, celle-ci n’a cependant pas été rendue publique. D’après nos informations, la Minusma a, cette fois, privilégié la voie des échanges informels avec l’armée française.

Sur ces mises en cause, et sur le fait qu’elles aient pu éventuellement conduire à des réajustements en matière de doctrine, de ciblage ou de zone d’opération, l’ancien chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, interviewé en juillet par Le Monde, avait admis que les frappes de Talataye et de Bounti avaient « engendré un durcissement accru des règles que nous respectons strictement pour déterminer les cibles que nous avons à traiter ». « Nous ne nous contraignons pas pour autant dans l’emploi de nos armes. Nous garantissons seulement encore plus au politique que nous sommes bien dans le respect du droit international humanitaire », avait-il ajouté.

 

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Source : Le Monde  

 

 

 

 

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