Adoption : dans son livre, Amandine Gay questionne notre vision traditionnelle de la famille

Positivr.fr – « Le privé, c’est politique », ce slogan scandé dans les années 1970, par les militantes féministes, Amandine Gay l’a fait sien. Dans son dernier livre Une poupée en chocolat, l’autrice et réalisatrice afroféministe revient sur son parcours de personne adoptée et questionne notre vision traditionnelle de la famille et de l’adoption.

Depuis 1941, les femmes qui vivent une grossesse non désirée peuvent accoucher sous X, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas à révéler leur identité. Les enfants sont ensuite confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en charge de les faire adopter. Dans les années 1970, le nombre d’enfants à adopter en France diminue drastiquement et le recours à l’adoption internationale se démocratise. Aujourd’hui, on estime à près de 100 000 le nombre d’adoptions transnationales, plaçant l’Hexagone au 3e rang des pays d’accueil après les États-Unis et l’Italie.

Aujourd’hui, les personnes adoptées ont grandi et prennent de plus en plus la parole, remettant en cause un système froid et brutal qui les coupe de tout lien avec leurs origines. Dans son livre, Amandine Gay parle de sa propre expérience, de la recherche infructueuse de ses antécédents médicaux, de la difficulté d’être noire dans une famille blanche, mais aussi des pistes à explorer pour améliorer le parcours de vie des adoptés et des mères biologiques.

Rencontre.

En quoi l’adoption est-elle une question politique ?

 

L’adoption est politique dans le sens où elle se situe à la croisée de plusieurs sujets. Les conditions dans lesquelles les enfants deviennent adoptables sont en elles-mêmes politiques. Car pour qu’une famille ou une personne seule décide de se séparer de son enfant, il faut qu’il y ait un contexte social particulier. En France il s’agit le plus souvent d’un contexte de précarité économique ou de violences. Dans le cas des adoptions internationales, le contexte d’inégalités peut prendre plusieurs formes et les raisons pour lesquelles les familles se séparent sont variées : guerres, catastrophes naturelles comme le séisme en Haiti de 2010, enjeux écologiques, géopolitique, économiques…

Ce qui m’intéresse, c’est de montrer qu’avant qu’il y ait un mineur isolé, il y a une histoire. Et cette histoire est généralement ancrée dans des rapports de pouvoirs et dans des inégalités mondiales : rapports Nord-Sud, capitalisme, patriarcat.

Ainsi, la question « qu’est-ce qui rend les enfants adoptables ? » en amène bien d’autres. Qu’est-ce qui se passe quand un enfant est déplacé sans son consentement d’un pays vers un autre ? Qu’est-ce qui se passe quand cet enfant grandit dans une communauté qui n’est pas la sienne ? Qu’est-ce que cela implique d’être un ou une adoptée transraciale ?

Pourquoi la prise de parole des personnes adoptées est-elle essentielle ?

 

Non seulement les personnes adoptées n’ont pas eu la parole pendant très longtemps, mais en plus elles entendaient beaucoup de choses à leur sujet. On parlait beaucoup du trauma de l’abandon ou des troubles de l’attachement mais les personnes adoptées ne pouvaient pas donner leur retour d’expérience. Pour les personnes racisées, par exemple, il y a beaucoup d’autres enjeux qui ont été passés sous silence comme l’impact du racisme, le fait d’être coupé de sa culture d’origine ou plus généralement, le fait d’être privés de ses antécédents médicaux.

Tous ces enjeux-là n’étaient pas abordés dans l’espace public jusqu’à ce que les adoptés livrent leurs récits de vie dans des ouvrages ou des documentaires.

C’est pourtant essentiel d’avoir accès à ces sujets pour se sentir légitime dans ses questionnements. Est-ce normal de s’intéresser à sa culture d’origine, de vouloir découvrir son pays ou rencontrer sa famille de naissance ? Est-ce légitime de vouloir passer du temps avec des gens issus de sa communauté ou avec d’autres personnes adoptées ? Plus un sujet est abordé dans l’espace public, plus les personnes évitent d’avoir des conflits de loyauté, de la culpabilité ou des angoisses en lien avec leur adoption. Il en va de leur santé mentale.

La question de l’accès aux antécédents médicaux est très présente dans votre livre. Quelle question pose-t-elle ?

 

Dans le livre, je parle notamment de mon fibrome utérin et de mon combat pour connaître mes antécédents afin de convaincre un chirurgien de pratiquer une hystérectomie. Au-delà de mon cas personnel, je considère qu’il est irresponsable de la part des pouvoirs publics d’empêcher les personnes adoptées d’avoir accès à leurs antécédents médicaux. Il faudrait a minima créer un système qui leur permette, même sans briser l’anonymat, d’en savoir plus à ce sujet. Et surtout, il faudrait que ces données soient mises à jour au fur et à mesure, tout au long de la vie de la mère biologique (apparition de diabète, d’hypertension artérielle, d’hyperthyroïdie…).

En fin de compte, nous faisons l’objet d’un déni de droit. Nous sommes le seul groupe à être privés de nos antécédents médicaux. Cela nous empêche d’avoir accès à une bonne médecine préventive.

Dans le livre, vous parlez également du « fardeau de la gratitude » ressenti par les personnes adoptées dès le plus jeune âge. De quoi s’agit-il ?

 

Lorsque vous êtes une personne racisée dans une famille blanche, il n’est pas rare que des inconnus viennent féliciter vos parents de la « bonne action » qu’ils ont faite en vous adoptant. C’est le genre de situation qui peut arriver n’importe quand, à la plage, au parc, au supermarché… Quand on est enfant et qu’on entend cela, ça crée forcément une sorte de dette. La réponse des parents est alors déterminante, elle peut avoir un très lourd impact sur la personne adoptée.

Or, la parentalité adoptante vient d’abord d’un désir égoïste de faire famille. Un désir qui généralement n’a pas pu être assouvi pour cause d’infertilité. La dernière enquête de l’INED « Qui sont les adoptants, qui sont les adoptés » montre bien que 70 % des candidats à l’adoption sont d’abord passés par un parcours d’infertilité, de FIV, de PMA. Il faut donc rappeler que de leur côté aussi il y a une chance dans l’adoption.

Vous expliquez qu’il est indispensable de repenser notre vision de la famille pour faciliter la situation de personnes adoptées… Vous avez des pistes ?

 

On n’a pas besoin d’aller très loin pour trouver des exemples qui fonctionnent. Le droit français reconnaît l’adoption coutumière polynésienne, une pratique qui consiste à ne pas rompre les liens avec la première famille. Ainsi, si une famille française veut adopter un enfant polynésien, c’est possible, à condition de maintenir ce contact avec la famille d’origine.

 

Pour trouver d’autres sources d’inspiration, il suffit aussi de se tourner vers les familles recomposées. Les enfants y grandissent avec plusieurs figures parentales. Il y a beaucoup d’enfants qui se construisent ainsi avec 1 à 4 parents. Il y a aussi les familles LGBT constitués par des dons ou une adoption. Tous les modèles familiaux sont déjà là, l’enjeu, c’est de cesser de tout réduire à la biologie. Il y a des gens qui ont grandi avec un beau-parent qu’ils considèrent comme leur père ou leur mère. Et qui sommes-nous pour prétendre mieux savoir qu’eux qui sont les vrais membres de leur famille ?

Dans votre documentaire Une histoire à soi, vous revenez aussi sur la question de l’adoption internationale et du déracinement qu’elle entraîne. Devrait-elle être interdite ?

 

Il faut faire en sorte que les enfants ne soient déracinés qu’en dernier recours. Si l’objectif est vraiment d’aider des enfants défavorisés, il y a aussi d’autres façons d’intervenir. On peut par exemple les parrainer, on n’est pas obligé de les adopter. Ce système permet à des enfants de s’épanouir dans leur pays d’origine sans avoir à être déplacés. Quoi qu’il en soit, il faut toujours faire passer les besoins des enfants avant tout.

Pensez-vous enfin qu’il faille lever le secret autour des naissances sous X ?

 

Il faudrait remodeler la loi en regardant ce qui se fait dans d’autres pays européens. Je pense par exemple aux Pays-Bas où les durées durant lesquelles les mères de naissance peuvent revenir sur leur décision sont allongées. L’accompagnement de ces femmes est également beaucoup plus long.

Ce que je reproche au système français c’est de prétendre faire passer l’intérêt et la protection des mères en premier en garantissant l’anonymat alors qu’aucun suivi psychologique n’est proposé par ailleurs. C’est d’une hypocrisie folle. On se soucie peu du sort des mères de naissance. Il faudrait faire une refonte en profondeur et s’intéresser aux conditions de vie de ces femmes avant leur accouchement, mais aussi après la séparation. Il faudrait savoir comment elles vont, s’intéresser aux potentielles séquelles psychologiques avec lesquelles elles doivent composer, savoir si elles sont toujours, a posteriori, en accord avec leur choix…

 

 

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 Mathilde Sallé de Chou

 

 

 

Source : Positivr.fr (Le 24 septembre 2021)

 

 

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