L’imam nous arrive de Harvard

Dans le cadre du service national, nos étudiants les plus intelligents, les plus cultivés, les plus ouverts sur le monde devraient passer douze mois à faire l’imam.

 

Mon ami Rachid, spécialiste mondial de l’algorithmique, m’a raconté hier une histoire qui m’a plongé dans un abime de réflexion.

Alors qu’il voyageait sac au dos, au temps de sa jeunesse folle, à la recherche des meilleurs endroits où pratiquer le surf, il se retrouva un jour sur l’île de Lombok. Comme nul ne l’ignore, Lombok est l’une des sept mille îles qui forment l’archipel indonésien –certains prétendent qu’il y en a en fait treize mille, mais ça dépend si on compte en partant de la gauche ou en partant de la droite.

A Lombok, Rachid lia connaissance avec d’aimables villageois dans un bled perdu, là-bas à la courbe du fleuve, lesquels villageois lui proposèrent de devenir leur… imam.

L’incongruité de la chose éclate en mille lueurs multicolores quand on réalise que notre ami est un mathématicien d’élite, ancien élève du lycée Ibn Khaldoun d’El Jadida où il brillait plus par sa maîtrise de la trigonométrie que par ses analyses de la sourate de l’Éléphant.

Les villageois insistèrent:
– Nous avons des difficultés à trouver quelqu’un qui parle arabe, la noble langue du Coran. En fait, personne ne le parle ici. Aidez-nous, monsieur le Marocain, c’est le Ciel qui vous envoie.

Et de lui offrir un contrat de trois mois: nourri, logé, blanchi (tout bronzé qu’il était) et toute la plage pour lui pour sa pratique du surf.

– Qu’eût-il fallu que je fisse? me demanda-t-il dans ce français mâtiné de petit suisse romand qui rend sa conversation si charmante. J’acceptai !

Et c’est ainsi que chaque vendredi, pendant trois mois, le mathématicien conduisit la prière collective dans ce coin perdu de Lombok. Il prononçait ensuite en arabe un prêche (la khotba) qui suscitait un enthousiasme d’autant plus sincère que personne ne comprenait ce qu’il disait. C’est le ton qui fait la musique.

– Qu’est-ce que tu leur racontais?

– J’ai souvent commenté la très belle ayat l’koursi, toujours dans un sens mystique, personnel, paisible. J’étais parfois si ému que tous les fidèles fondaient en larmes, par empathie.

– Si tu n’étais pas aujourd’hui au Collège de France, on devrait te nommer ministre des awqaf.

Après avoir quitté Rachid, je me souvins de ce qu’un ami cardiologue m’avait dit quelques années auparavant :

– Dans mon lycée d’Agadir, les plus brillants élèves intégraient les grandes écoles scientifiques ou faisaient médecine, les moyens se retrouvaient comptables ou instituteurs, et que faisaient les plus nuls? On les retrouvait imams. Tu vois la source de nos malheurs?

Eh bien, grâce au cas extraordinaire de l’imam marocain de Lombok, la solution est toute trouvée. Je la soumets respectueusement au ministre des Affaires religieuses: dans le cadre du service national, nos étudiants les plus intelligents, les plus cultivés, les plus ouverts sur le monde devraient passer douze mois à faire l’imam avant de se lancer dans leur carrière. On enverrait un polytechnicien à Kelâat Sraghna, une normalienne à El Hajeb, un ancien de Harvard dans le Rif, etc.

Au moins on peut être sûr qu’ils ne prêcheront pas que la Terre est plate, que l’apostat doit être pendu ou que le miel guérit du Covid parce que Abou Horaira l’a dit…

 

Fouad Laroui

 

 

Source : Le 360.ma (Maroc)

 

 

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