Les sculptures massives d’Ousmane Sow entrent au fort Vauban de Mont-Dauphin

Les œuvres monumentales rejouant la bataille de Little Big Horn, exposées sur le pont des Arts, à Paris, en 1999, avaient rendu célèbre l’artiste sénégalais. L’installation vient de rejoindre la forteresse dans les Hautes-Alpes pour au moins dix ans.

Corps à corps de guerriers musculeux, carambolage de chevaux. On croit entendre les bruits et la fureur du combat. Sous l’impressionnante charpente en bois curviligne de l’ancienne caserne Rochambeau, au fort de Mont-Dauphin (Hautes-Alpes), se rejoue la bataille de Little Big Horn, opposant, en 1876, une coalition de Cheyennes, de Sioux et des Arapaho aux soldats du régiment du général Custer.

En trente-cinq sculptures monumentales, visibles à partir du 6 juillet, le sculpteur sénégalais Ousmane Sow (1935-2016) célèbre l’éclatante victoire des fragiles contre les puissants. Déposée dans ce village fortifié pour une durée de dix ans renouvelable par sa veuve, la réalisatrice Béatrice Soulé, cette installation épique est bien connue des Parisiens qui la découvrirent ébahis, un jour de mars 1999, sur le pont des Arts.

L’exposition est restée dans les annales par sa fréquentation record – au moins 3 millions de visiteurs en trois mois. « Un succès inattendu », se souvient le critique d’art Emmanuel Daydé, alors adjoint du maire aux affaires culturelles. Pour l’ancien kinésithérapeute né en 1935 à Dakar, devenu artiste sur le tard, c’est la consécration. Mais aussi, étonnamment, un chant du cygne.

Au moment où Ousmane Sow accède à une notoriété internationale, le monde de l’art lui tourne le dos. Bien qu’il soit le premier artiste africain reconnu en France, aucun de ses successeurs, auxquels il avait pourtant pavé la voie, ne s’en réclame.

 

La fille du maire appuie sa cause

 

Tout avait pourtant bien commencé. En 1993, le sculpteur sénégalais, qui, deux ans plus tôt, avait fait la couverture de Revue noire – ­trimestriel qui révéla nombre de talents ­africains – est invité à la grande exposition quinquennale de la Documenta de Cassel, en Allemagne. En 1995, le voilà à la Biennale de Venise, qui est à l’art contemporain ce que le Festival de Cannes est au cinéma. L’autodidacte rêve, lui, d’un événement à Paris.

 

Le hasard lui fait croiser la route d’Hélène Tiberi, fille du maire de l’époque, Jean Tiberi. Qui appuie sa cause à l’Hôtel de Ville. La localisation est toute trouvée : ce sera le pont des Arts, entre le Louvre et l’Académie des beaux-arts. Il faudra des trésors de diplomatie pour convaincre ces deux institutions, qui ne voyaient pas d’un bon œil la proximité des massives silhouettes imaginées par un artiste africain.

L’Ecole nationale supérieure des beaux-arts voisine, où le figuratif est alors tabou, se pince aussi le nez. L’argent manque. Le groupe Havas avait d’abord promis de contribuer à l’addition de 5 millions de francs (l’équivalent de 1 million d’euros actuels), mais son nouveau PDG, Jean-Marie Messier, se défile. Béatrice Soulé remue ciel et terre, déniche des sponsors et s’endette personnellement à hauteur de 1 million de francs.

 

L’opération est d’emblée un succès, au point qu’il faut renforcer l’équipe de sécurité. Trois mois durant, de jour comme de nuit, petits et grands, touristes et Franciliens convergent vers le pont des Arts pour découvrir les combattants de Little Big Horn, qui côtoient trente-trois guerriers africains masai, nouba et zoulou. Dans la foulée, les commandes affluent. Partout dans le monde, les villes en quête d’événement populaire le réclament.

 

Ostracisé par le monde de l’art

 

Du politicien Thierry Breton à l’acteur Gérard Depardieu en passant par le footballeur Lilian Thuram, les célébrités s’arrachent ses œuvres. Même François Pinault n’y résiste pas, achetant sa célèbre sculpture de Nelson Mandela pour le siège social de la Compagnie française d’Afrique occidentale (CFAO), à Sèvres. Aux enchères, en 2015, le milliardaire breton emporte aussi un ensemble de ses guerriers zoulous. Sans jamais les exposer dans ses musées privés à Venise.

« Notre erreur a peut-être été de ne pas nous associer à une galerie ou à un curateur du sérail. » Béatrice Soulé

Malgré – ou à cause de – son immense popularité, Ousmane Sow est aujourd’hui ostracisé par le monde de l’art. Il n’a plus été inclus dans les grands rendez-vous de l’art actuel ni même convié dans les expositions exclusivement consacrées à l’Afrique. « Notre erreur a peut-être été de ne pas nous associer à une galerie ou à un curateur du sérail », soupire Béatrice Soulé, précisant qu’« Ousmane voulait être libre ».

A l’artiste, le milieu reproche tout et son contraire : d’être figuratif, donc pas assez radical, d’être trop africain ou pas assez « authentique ». « On a vu les vieux réflexes ressurgir, la critique du figuratif notamment, analyse Emmanuel Daydé. Et puis, aux yeux de certains, le succès est toujours suspect. »

 

Un site féérique

 

Il faudra attendre vingt ans, après l’opération du pont des Arts, pour que Paris accueille une œuvre permanente du sculpteur, en 2019, place de Valois, et baptise, la même année, une autre place à son nom dans le 15arrondissement. Au même moment, Béatrice Soulé se met en quête d’un site pour déposer l’ensemble de Little Big Horn, trop à l’étroit dans la maison-musée de l’artiste à Dakar.

 

Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, lui propose alors la forteresse Vauban de Mont-Dauphin. Sans trop y croire. « Vous imaginez, un artiste de sa renommée dans une région aussi excentrée, je me disais : “Ça va pas le faire” », reconnaît-il, pressentant toutefois un effet d’aubaine pour une région rurale.

Lui aussi se souvient du succès phénoménal du pont des Arts. Et, s’il n’imagine pas attirer des millions de visiteurs dans ce site enclavé, il peut en espérer au moins 20 000 par an. A sa surprise, Béatrice Soulé accepte sur-le-champ. Le site est féerique. Et Ousmane Sow n’était pas snob. A sa femme, qui regrettait que les grands musées lui tournent le dos, le vieux sage de Dakar répétait : « Je m’en fiche d’être le Guy des Cars de l’art. »

 

 

 

 

Roxana Azimi

 

 

Source : M Le Magazine –  Le Monde

 

 

 

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