« La France parviendra-t-elle à remettre l’Europe sur le chemin de l’Afrique ? Paradoxalement, c’est la Chine qui pourrait l’y aider »

La pandémie a brisé la dynamique par laquelle l’Union européenne espérait refonder sa relation avec l’Afrique. Le moment est venu de la relancer, face à la Chine, la Russie et la Turquie qui s’y sont investies, constate Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.

Chronique. Il existe un boulevard pour la diplomatie vaccinale : il se trouve en Afrique. La Chine l’a identifié tout de suite et a foncé dessus. Les Etats-Unis ne l’ont même pas cherché. L’Europe l’a repéré mais a manqué de moyens pour y prendre position. Elle est en train, tardivement, d’y remédier. C’est l’une des leçons de la pandémie de Covid-19. Cette Europe qui se veut « géopolitique » n’a, semble-t-il, pas saisi immédiatement la nature géopolitique du défi vaccinal. Elle en a d’abord perçu la dimension sanitaire : dans une épidémie mondiale, personne n’est protégé tant que tout le monde n’est pas protégé.

Armés de leur foi inébranlable dans le multilatéralisme, les Européens se sont engagés en 2020 dans Covax, un mécanisme international de distribution des vaccins. Mécanisme vertueux – à condition de pouvoir l’approvisionner et de garantir un accès équitable, ce qui n’a pas été le cas. La Chine, elle, s’est engagée dans Covax du bout des lèvres, tout en organisant des circuits parallèles, bilatéraux, de distribution et de vente de ses propres vaccins avec les pays qui n’en avaient pas. C’est ainsi qu’en Afrique, elle est apparue comme le fournisseur le plus sûr. « Pour la Chine, l’aide c’est de l’investissement. Pour l’Europe, c’est de la charité », résumait en janvier Theodore Murphy, expert de l’Afrique pour le think tank European Council on Foreign Relations (ECFR).

Les choses ont évolué depuis. Une fois ses propres difficultés de vaccination surmontées, l’Union européenne (UE) s’est lancée dans une campagne pour l’accès des pays pauvres aux doses anti-Covid-19, au point d’amener l’administration Biden, jusque-là passive, à surenchérir. Elle va maintenant plus loin : elle plaide pour que les Africains puissent produire eux-mêmes leurs vaccins, et elle défend un « new deal » pour l’Afrique, susceptible de contrer le choc économique infligé par la pandémie à un continent qui n’a pas les moyens de produire des plans de relance massifs comme l’ont fait les économies avancées.

 

Faire d’une crise une opportunité

 

Au sommet du G7 au Royaume-Uni, le 13 juin, le président français, Emmanuel Macron, a obtenu le soutien des pays riches pour que 100 milliards de dollars (83,8 milliards d’euros) de leurs droits de tirage spéciaux au Fonds monétaire international (FMI) soient réalloués à l’Afrique et à ses besoins de financement.

En realpolitik, cela s’appelle faire d’une crise une opportunité. Pour l’Europe et l’Afrique, l’enjeu va plus loin. La pandémie et ses urgences ont stoppé net l’élan africain de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen qui avait manifesté dès son arrivée en 2019, en se rendant à Addis Abeba, siège de l’Union africaine (UA), sa volonté de tisser de nouveaux liens entre les deux continents.

En mars 2020, Bruxelles publiait une « nouvelle stratégie pour l’Afrique » qui promettait de dépasser « la relation donateur-bénéficiaire ». « Il faut s’engager ensemble pour affronter des problèmes que les Américains ne vont pas résoudre », expliquait alors au Monde le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Ç’aurait pu être le pivot africain de l’Europe, comme les Etats-Unis avaient pivoté vers l’Asie. Cette aspiration devait être consacrée par un sommet UE-UA à l’automne. Reporté pour cause de Covid-19, il ne s’est toujours pas tenu.

La France, de son côté, ne s’est pas arrêtée en route. Son président a un grand dessein africain, celui d’une relation totalement nouvelle, en rupture avec la Françafrique, qu’il a exposé dès le début de son quinquennat dans un long discours à Ouagadougou, en 2017. Il en a fait l’une des lignes directrices de sa politique extérieure, avec la souveraineté européenne. Ce grand dessein, appuyé sur le travail mémoriel et sur les diasporas, est contrarié par les vicissitudes de l’engagement militaire français au Sahel, dont il a hérité et qu’il essaie laborieusement de transformer en engagement européen. En Afrique aussi, Paris a besoin de l’Europe.

 

En Afrique, la Chine construit vite et abondamment

 

La France, qui occupera la présidence de l’UE au premier semestre 2022, parviendra-t-elle à remettre les Européens sur le chemin africain, au-delà de la lutte antiterroriste ? Paradoxalement, c’est peut-être la Chine qui va l’y aider. Souvent réduite à une obsession postcoloniale française ou à un rempart contre le défi migratoire, la relation avec l’Afrique apparaît sous un jour différent pour peu que l’on regarde qui d’autre s’y implique.

Surprise ! On y retrouve, très actives, la Chine, la Russie, la Turquie. Avec, chacune, ses propres objectifs. La Russie, analyse un expert français, donne en République centrafricaine une idée de ce qu’elle peut faire pour sécuriser, à l’aide de ses milices Wagner, un régime défaillant moyennant une rémunération en ressources naturelles – avis aux amateurs.

La Turquie est plus sérieuse. Présente en priorité dans la Corne de l’Afrique et en Afrique francophone, elle investit dans les infrastructures et, de manière moins visible, dans le prosélytisme politique et religieux.

La Chine, elle aussi, a abordé l’Afrique par le biais des infrastructures, mais elle voit plus grand, à l’échelle du continent. Elle construit vite et abondamment. Elle y ajoute du soft power et une généreuse politique de bourses d’études civiles et militaires. L’ampleur de l’offensive chinoise, cependant, a créé un véritable mur de la dette qui étouffe les pays bénéficiaires. Aggravée par la crise liée à la pandémie, la dette est devenue insoutenable.

 

 

 

 

 

 

Sylvie Kauffmann

Éditorialiste au « Monde »

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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