Covid-19 : les faiblesses statistiques de certains pays africains empêchent une évaluation fiable de l’épidémie

Cela relève avant tout des lacunes dans le recueil de données de nombreux pays africains, affirme le directeur régional des opérations d’urgence de l'OMS.

Les chiffres de décès du Covid seraient fortement sous-estimés en Afrique. La faiblesse de l’appareil statistique de nombreux Etats africains empêche déjà en temps normal un enregistrement correct des naissances et des décès. Les données de l’OMS proviennent de cas confirmés par dépistage en laboratoire. Peu d’hôpitaux et de dispensaires, hors des grands centres urbains, sont en mesure d’effectuer des tests et de faire remonter les cas jusqu’au ministère de la Santé de chaque pays, seul habilité à rendre publics ces chiffres, au risque d’un manque de transparence, même si l’OMS veille.

 

Chiffres sous-évalués

 

On mesure le plus souvent les limites du dépistage : seuls les cas graves arrivent à l’hôpital et sont testés (quand les tests sont disponibles, notamment dans les petits pays), c’est-à-dire au final un faible pourcentage des contaminés. Un grand nombre de malades ou de décédés ne sont pas testés, car il n’y pas assez de tests où ils sont trop coûteux.

Conséquence : le bilan de la pandémie pourrait être deux à trois fois plus élevé que celui officiellement recensé dans de nombreux pays africains où l’appareil statistique est très insuffisant, précise dans une interview à Jeune Afrique l’épidémiologiste et docteur en informatique Abdou Salam Gueye, ancien membre du Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies. Que l’on prenne les projections de l’OMS ou celles de l’Institut de la santé de Seattle, la létalité liée au Covid et à ses conséquences serait deux à trois fois supérieure aux chiffres actuels, affirme le chercheur sénégalais.

Comme on ne connaît que très rarement la cause des décès en Afrique, les chiffres de l’OMS, qui reposent sur les bilans quotidiens des autorités nationales de santé, sont globalement sous-évalués. En outre, de nombreux décès ne sont pas déclarés auprès des services en charge de l’état civil.

 

Paradoxe africain

 

L’Afrique du Sud et l’Algérie, pays du continent africain les plus touchés par le Covid, selon les chiffres de l’OMS, sont pourtant les pays où les systèmes de santé sont les plus modernes. Le paradoxe n’est qu’apparent, ce sont aussi les pays les mieux organisés et les plus fiables pour les statistiques de santé. Dans d’autres pays comme le Burundi ou la Tanzanie, on a longtemps nié l’existence du virus. Et les chiffres sont effectivement très bas, notamment en Tanzanie, jusqu’à ce que le président Magufuli et un grand nombre de fonctionnaires finissent par mourir, officiellement de pneumonie.

« En Afrique, moins de la moitié des naissances et seulement 10% des décès sont enregistrés chaque année. Les causes des décès n’ont été déclarées que dans 8% des cas enregistrés dans les pays à faible revenus »

Abdou Salam Gueye, directeur régional des opérations d’urgence de l’OMS

à Jeune Afrique

Faiblesse des statistiques

 

La faiblesse statistique de certains pays africains n’est pas une nouveauté, même dans les pays les plus riches du continent. Un rapport de l’Unicef publié en 2019 affirmait que des millions d’enfants de moins de cinq ans n’existent pas officiellement au Nigeria. Dans ce pays d’environ 219 millions d’habitants (chiffre 2021 possiblement sous-évalué), ils sont près de 17 millions à n’avoir pas été enregistrés à leur naissance, selon l’Unicef. Partout sur le continent, il y a encore à ce jour des naissances qui ne sont pas enregistrées du simple fait que certaines femmes continuent d’accoucher à la maison.

Les centres d’enregistrement sont parfois éloignés ou manquent de matériel, rappelle l’Unicef. Faute de moyens (de transport et d’argent) et de temps, les familles renoncent à se procurer un acte de naissance officiel. Cela arrange parfois certains gouvernements qui favorisent le recensement de leur groupe ethnique (qui se retrouvera mis en avant dans les statistiques nationales et pour les élections) déclarait sous couvert d’anonymat un démographe ouest-africain.

Sans parler de la fraude à l’état civil qui a pris une ampleur toute particulière à travers le phénomène de l’émigration. Une enquête menée par le ministère français des Affaires étrangères auprès de postes diplomatiques et consulaires a permis de procéder à une estimation des actes d’état civil faux ou obtenus frauduleusement. Dans nombre de pays africains, la proportion de faux actes détectés par ces postes se situe entre 30 et 60%. Elle est même évaluée à 90% pour les Comores.

Le plus grave, c’est que de mauvaises statistiques font de mauvaises politiques de santé, sans parler de la campagne vaccinale à venir qu’il faudra bien évaluer.

Michel Lachkar
France Télévisions Rédaction Afrique
Source : France Info
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