Afrique de l’Ouest : quel futur pour les zones côtières ?

ANALYSE. Les écosystèmes de cette région subissent une pression intense due à la croissance démographique, à l’expansion économique et au changement climatique.

 

 

Par Olusegun Dada*, Frédéric Ménard**, Pierre Morand***, Rafael Almar*** pour Theconversation.com

Partout dans le monde, les écosystèmes côtiers sont soumis à des pressions intenses, provoquées par une activité humaine incessante, des tendances climatiques changeantes et implacables, des phénomènes météorologiques extrêmes ; citons à titre d’exemple les submersions marines, prévues pour augmenter jusqu’à cinquante fois par rapport aux valeurs actuelles. Les pays tropicaux, comme ceux de l’Afrique de l’Ouest, sont particulièrement exposés.

La compréhension et la gestion de ces interactions complexes, parfois catastrophiques, nécessitent une approche interdisciplinaire. C’est dans ce cadre que nous avons choisi de conduire nos recherches en intégrant diverses variables – la croissance démographique, le développement économique, la qualité de la gouvernance, l’évolution technologique et le développement des infrastructures.

L’exemple des côtes d’Afrique de l’Ouest

 

Il en résulte trois scénarios (« anthropocentrique », « anthro-écocentrique » et « écocentrique ») dessinant les futurs possibles des zones côtières. Ces hypothèses sont toutes basées sur les conditions climatiques les plus défavorables pour l’avenir, telles que prédites par le rapport du Giec, dit « RCP 8.5 », scénario de haute émission de gaz à effet de serre pour lequel les impacts du changement climatique et de la hausse du niveau des mers sont exacerbés.

Carte de l’Afrique de l’Ouest.  © Google Maps

 

Nous avons appliqué notre modèle conceptuel aux zones côtières d’Afrique de l’Ouest – c’est-à-dire les pays allant de la Mauritanie au Nigeria, en passant par les îles du Cap Vert et Sao Tomé et Principe. Il existe en effet peu d’études présentant les menaces côtières à venir dans cette région peu documentée scientifiquement et où le besoin de planification et de régulation est grand pour anticiper et réduire les risques futurs.

Ici, les activités économiques et l’urbanisation se concentrent le long du littoral, générant des pressions multiples sur les ressources, des tensions aiguës entre les utilisateurs, la dégradation des écosystèmes et des ressources marines et la vulnérabilité des zones côtières.

Par exemple, 80 % environ des économies des pays du golfe de Guinée – Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Benin, Nigeria – se réalise sur la bande côtière, où la population augmente, en particulier via les grands ports en eaux profondes. Ces mécanismes rendent ces zones particulièrement vulnérables et exposées.

La dégradation du littoral se manifeste par l’épuisement des ressources halieutiques, la pollution, les inondations et l’érosion côtière. Par exemple, le recul du trait de côte peut atteindre jusqu’à la dizaine de mètres par an sur certains secteurs urbains de Cotonou au Bénin. Les eaux de la lagune côtière de Nokué, également dans la zone urbaine de Cotonou, sont soumises à des contaminations périodiques de plus en plus fréquentes.

Côte de Saint-Louis, Sénégal. ©  IRD, Author provided

Scénario 1 : continuer comme si de rien n’était

 

Dans ce scénario que nous avons appelé « anthropocentrique », les tendances actuelles se poursuivent le long de la côte, avec une augmentation de la population, des activités économiques et du développement des infrastructures, ainsi qu’une faible gouvernance et une mauvaise mise en œuvre des politiques.

Des développements majeurs tels que le déploiement et l’expansion de nouveaux ports, l’exploitation des ressources, l’extraction non réglementée des eaux souterraines, l’expansion urbaine, la construction de barrages en amont et d’autres projets, sont mis en œuvre sans évaluation de l’impact environnemental et social.

Dans ce scénario, il y aurait un énorme déclin des écosystèmes et de leurs services.

L’exploitation continue des ressources côtières entraîne des inondations et une aggravation de l’érosion côtière, une plus grande vulnérabilité de la flore et de la faune, ainsi que la dégradation et la destruction de leurs habitats.

En l’absence d’adaptation, l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des événements extrêmes liés au niveau de la mer, combinées aux tendances en matière de développement côtier, amplifient les dommages annuels attendus des inondations.

Les systèmes de protection du littoral dans les villes et les régions densément peuplées, comme à Lagos au Nigeria, réduiraient les dommages attendus et seraient relativement rentables ; ils seraient toutefois inabordables pour les zones rurales et les zones pauvres, ce qui les rendrait vulnérables.

Les processus côtiers et les changements d’affectation des sols qui y sont associés se dérouleraient comme si de rien n’était, créant un risque élevé et une grande vulnérabilité aux inondations, à l’érosion et à la pollution pour les populations pauvres et non protégées.

Le long de la Langue de Barbarie au Sénégal, plus de 800 mètres de rivage ont été perdus en dix ans. © IRD, Author provided

Scénario 2 : sur la défensive

 

Le contexte global de ce second scénario est identique au précédent, avec une approche réactive face aux bouleversements environnementaux.

Par exemple, les structures de protection côtière – telles que les digues, les barrières anti-tempête et les remblais – sont très répandues et assurent la sécurité dans de nombreuses villes côtières et deltas d’Afrique de l’Ouest, comme à Dakar (Sénégal), Lomé (Togo) ou Keta (Ghana).

Bien que ces structures visent à protéger les activités humaines, elles auront un impact négatif sur les intérêts économiques, la santé des communautés et le bien-être qui dépendent des biens écologiques. Ceux-ci concernent l’écotourisme, les loisirs et la pêche, l’air pur et l’eau douce.

Sont également affectés négativement les services écologiques tels que la purification de l’air et de l’eau, le maintien de la biodiversité, la décomposition des déchets, la génération et le renouvellement des sols et de la végétation, la recharge des nappes phréatiques, l’atténuation des gaz à effet de serre et l’esthétique des paysages.

Dans ce scénario, les structures de protection du littoral sont privilégiées dans les zones à forte valeur socio-économique. Les zones plus pauvres reçoivent, elles, moins de protection, entraînant des inégalités qui pourraient accroître les tensions politiques et sociales. Avec l’élévation continue du niveau de la mer, la hauteur des structures de protection côtière est revue elle aussi à la hausse, ce qui peut s’avérer inabordable et inefficace.

Car même avec des structures bien conçues, le risque d’effets éventuellement catastrophiques en cas de défaillance ne peut être exclu.

Si les structures en dur le long de la côte peuvent servir à protéger les zones urbaines, elles peuvent aussi entraîner la perte d’une proportion beaucoup plus importante des écosystèmes. Cela peut à son tour rendre les communautés vulnérables à des événements indésirables tels que les inondations, les surcharges océaniques, la pollution, l’eutrophisation côtière et l’intrusion saline.

Dans le contexte du changement climatique en cours, certains de ces phénomènes peuvent dépasser un seuil crucial.

 

 

Scénario 3 : le primat d’un environnement de qualité

 

Dans ce dernier scénario, les efforts des gouvernements visent à encourager la conservation de l’environnement, les énergies vertes et une planification efficace de l’utilisation des terres.

Les politiques fondées sur les écosystèmes sont renforcées, les principes de l’écotourisme sont soutenus et les lois et réglementations environnementales sont promulguées et respectées.

Une plus grande confiance est accordée au développement de l’ingénierie environnementale, des technologies respectueuses du climat et de l’énergie, ainsi qu’aux nouveaux modes d’exploitation agricole qui intègrent les services écosystémiques d’approvisionnement, de régulation et de culture. Ici, le rythme de la croissance démographique et du développement économique est entièrement déterminé par la qualité de l’environnement.

Face à l’élévation du niveau de la mer (et aux tempêtes et vagues extrêmes qui peuvent accroître les risques), les systèmes côtiers naturels ne sont pas passifs, ils réagissent en s’adaptant aux nouvelles configurations.

En outre, la restauration d’écosystèmes côtiers tels que les mangroves ou les marais littoraux permet d’atténuer le changement climatique en augmentant l’absorption et le stockage du carbone d’environ 0,5 % des émissions mondiales actuelles par an.

Dans ce scénario, l’amélioration des technologies favorise le développement de la production d’énergie marine renouvelable (bleue), le transport maritime écologique et la protection des écosystèmes côtiers riches en carbone.

L’avenir s’éclaircit néanmoins en considérant les initiatives menées actuellement de manière concertée à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest : citons l’initiative de la Mission d’observation du littoral ouest-africain de l’UEMOA, l’initiative WACA de la Banque mondiale et le projet pour une gestion intégrée du delta de la Volta initié par l’université de Cape Coast, qui œuvrent pour davantage de collaboration sur ces problématiques.

 

 

 

* Olusegun Dada est chercheur postorant à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

** Frédéric Ménard est directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

**** Pierre Morand est biostatisticien à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

**** Rafael Almar est chercheur en dynamique littorale à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

 

 

 

 

Source : Le Point (France)

 

 

 

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