Palestine – Mahmoud Abbas est dépassé

Débordé par le dernier round du conflit israélo-palestinien, le vieux président palestinien, en poste depuis plus de 16 ans, semble totalement déphasé par rapport à la jeunesse palestinienne exaltée, observe ce quotidien libanais.

C’est le grand perdant de la dernière séquence politique qui s’est ouverte dans les territoires occupés et en Israël. Mahmoud Abbas, 86 ans, président de l’Autorité palestinienne (AP), avait cru pouvoir encore se bercer d’illusions, reporter sine die les premiers scrutins électoraux prévus depuis quinze ans. Le voilà rattrapé par la fureur d’une jeunesse palestinienne en rupture, qui n’a que faire de la diplomatie du monde de papa.

On lui promettait moins que rien. La voilà qui réclame plus que tout.”

De la mort des frontières de 67, elle exige la renaissance de celles de 48. Son meilleur allié ? Les réseaux sociaux, qui lui ont permis de se réapproprier sa propre histoire, de partager son vécu, la réalité de la colonisation, de l’occupation, des violences policières, et de réaffirmer les liens qui l’unissent à d’autres combats actuels – celui, par exemple, des minorités aux États-Unis – ou d’hier – la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.

“Ce qui diffère avec les deux dernières intifadas, c’est qu’il y avait un journaliste qui sommeillait en chacun de nous et qui s’est réveillé. Grâce aux réseaux sociaux, aux hashtags, on a pu faire parvenir des messages au monde”, confie Majd, 21 ans, étudiante en droit public originaire d’Al-Khalil (Hébron). “Tout le monde essaye de soutenir la cause et de diffuser les informations selon ce qu’il sait faire. Ça nous rend vraiment fiers de faire partie de ce pays”, abonde Raghad Salahat, 20 ans, étudiante en littérature française et anglaise originaire de Naplouse.

Marginalisé par le Hamas

 

Dans cette nouvelle équation, l’Autorité palestinienne n’a pas de place. Mahmoud Abbas est apparu passif aux yeux de l’opinion publique alors que celle-ci se mobilisait pour attirer l’attention sur les menaces d’expulsion forcée de familles palestiniennes au profit de colons juifs, dans le quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem. Atone, semblait-il, lorsque la répression policière israélienne s’abattait sur les fidèles dans la vieille ville, en plein mois de ramadan. Absent, si ce n’est qu’il a publié quelques déclarations de condamnation contre les bombardements israéliens – lorsque la bande de Gaza a été soumise à un déluge de feu durant onze jours, à partir du 10 mai.

Marginalisé par son plus grand rival, le Hamas – qui contrôle l’enclave palestinienne et se présente comme vainqueur de la dernière guerre –, le leadership en Cisjordanie ne peut prétendre ni à une légitimité politique née de sa résistance à l’occupation ni à celle qu’auraient adoubée les urnes. Après avoir annoncé en grande pompe, dès la mi-janvier, des élections palestiniennes, M. Abbas s’est appuyé sur le refus israélien d’autoriser la participation des Jérusalémites palestiniens pour justifier leur remise aux calendes grecques. Pour ses critiques, la démarche aurait été animée par la crainte que des listes dissidentes issues du Fatah, son parti, ne permettent au Hamas de prendre le pouvoir en Cisjordanie.

Un déni d’une souveraineté déjà toute relative qui passe mal aux yeux d’une grande partie de la jeunesse en manque de participation politique, fatiguée par l’occupation qui rythme son quotidien et frustrée par les manœuvres politiciennes d’un leadership vieillissant qui lui semble ressasser à l’infini les mêmes recettes depuis les accords d’Oslo de 1993, alors que la réalité sur le terrain ne s’y prête plus.”

La croissance exponentielle des colonies israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie a ainsi fini de brouiller les frontières de 1967 qui devaient théoriquement délimiter les contours d’un État palestinien viable. Depuis le début des années 1990, le nombre de colons israéliens a été multiplié par cinq, pour s’élever aujourd’hui à presque 700 000. “Il n’y a pas de solution à deux États parce qu’Israël en tant qu’occupant a les yeux rivés sur toute la Palestine. Ce sont les responsables politiques israéliens qui le disent. Il ne s’agit pas que de l’intérieur ou de Jérusalem. Ils peuvent mentionner les deux États devant les autres, mais sur le terrain, ça n’existe pas. Les colonies sont partout”, s’insurge Ahmad*, 27 ans, photojournaliste de Ramallah, lui-même opposé à cette option.

 

”Méthodes de résistance variées”

 

Le mouvement de protestation né à Jérusalem au cours du mois d’avril s’est poursuivi d’abord et de manière inédite à l’intérieur des frontières israéliennes, avant d’emporter les villes palestiniennes de Cisjordanie sous l’Autorité palestinienne. Avec un slogan phare : “de la rive du Jourdain à la mer Méditerranée. Un État pour tous ?” Le discours n’évoque pas tant le tracé des frontières qu’il ne revendique l’égalité totale entre tous ceux qui vivent sur cette terre. “Depuis les débuts de l’occupation, celle-ci a tenté de semer les graines de la discorde entre nous, et dans de nombreux cas, cela a fonctionné. Mais avec Jérusalem et la mosquée Al-Aqsa en jeu, tous les Palestiniens, du nord au sud, de la rive du Jourdain à la mer Méditerranée, sans compter les Palestiniens de la diaspora, se sont unis pour soutenir par tous les moyens notre cause commune”, affirme Raghad Salahat. Même sentiment de fierté chez Majd. “Cela fait naître des méthodes de résistance variées”, dit-elle. Le 18 mai, trois jours après la commémoration de la Nakba [la “catastrophe” de 1948], une grève générale, la première en près de quarante ans, a uni Palestiniens d’Israël et Palestiniens des territoires occupés dans une démonstration commune de désobéissance civile.

Face à cette réappropriation de la géographie perçue comme une menace existentielle par Israël – qui se veut État juif – et, dans une moindre mesure, comme une remise en question de sa raison d’être par l’AP – née des Accords d’Oslo –, cette dernière a répondu par les deux méthodes qui lui sont le plus familières.

Elle a eu recours à une langue diplomatique qui semble avoir vécu, qui tranche avec l’aspiration d’une partie de la jeunesse à la résistance.”

Mercredi dernier, Mahmoud Abbas a ainsi réitéré devant le Parlement de la Ligue arabe sa volonté de reprendre le processus de paix bloqué avec Israël.

Mais elle s’est surtout attelée au musellement des voix critiques. Alors que la Cisjordanie se soulevait en solidarité avec les Palestiniens de 48 et avec la population gazaouie, les autorités locales ont intensifié la répression de la contestation à Naplouse, à Ramallah, à Jénine ou encore à Hébron, en lançant gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes contre les manifestants, en organisant des séries d’arrestations. Autant d’actions qui n’ont fait que renforcer l’image d’un leadership opérant comme une extension de l’occupation. “Pour moi, c’est une dictature qui se comporte en sous-fifre de l’occupant”, dénonce Chadi*, 28 ans, originaire de Ramallah. “Pendant qu’ils négocient, on se fait tuer, voler, humilier. Les négociations, c’est une aiguille d’anesthésie. Mais l’AP marche sur le même modèle parce qu’elle y puise des intérêts personnels, obtient des privilèges, est liée par les ordres de l’occupation. Elle sait que, sinon, l’occupation pourrait ne plus la protéger et qu’elle pourrait alors ne plus être au pouvoir”, confie pour sa part Ahmad.

Comme lui, beaucoup de jeunes ont dans le collimateur la coordination sécuritaire de l’AP avec Israël, qui la pousse à réprimer tous azimuts au nom de la stabilité, à saper les bases de l’organisation politique ou même de la résistance contre les colons en Cisjordanie. “On a besoin d’un nouveau leadership avec de nouveaux principes qui tendent vers la libération et le fait d’en finir avec l’occupation”, livre Ahmad. “L’AP a tenté d’utiliser l’outil diplomatique pour réorienter l’opinion publique mondiale en faveur de la cause palestinienne. Mais cela n’a pas marché. Et beaucoup de ses membres ont conspiré avec l’occupation contre le peuple et sa volonté”, dit Majd, pour qui le vent est en train de tourner. “La mobilisation de tous les Palestiniens côte à côte, cela veut dire que la libération viendra. Cette année, celle d’après, dans dix ans, nous serons libres.”

 

 

 

* Les prénoms ont été modifiés

Soulayma Mardam Bey
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