
Paris est passé de la menace aux actes, au Mali. Dix jours après le coup d’Etat qui a porté au pouvoir le colonel Assimi Goïta, la France a annoncé, jeudi 3 juin, avoir suspendu de façon « temporaire et réversible » sa coopération militaire bilatérale avec Bamako. Une annonce qui intervient quatre jours après que le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a confié, le 30 mai, dans un entretien au Journal du dimanche, que l’armée française ne pouvait plus, selon lui, rester « aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique ni de transition ».
De fait, depuis le 24 mai, neuf mois après un premier coup d’Etat qui a eu lieu en août 2020, une junte est à nouveau au pouvoir au Mali. Et ce, dans un contexte où Paris s’interroge de plus en plus sur la pertinence de sa présence militaire dans ce pays. Quelque 5 000 hommes sont actuellement déployés pour combattre les groupes djihadistes, affiliés à Al-Qaida et à l’organisation Etat islamique (EI), dans le cadre de l’opération « Barkhane ». Depuis huit ans, des succès militaires ont été enregistrés, mais l’objectif de passer, à terme, la main à un Etat malien consolidé apparaît aujourd’hui hors de portée, faute d’avancées politiques.
Concrètement, l’annonce de Paris entraîne donc un arrêt sine die des opérations conjointes menées par les militaires de la force française « Barkhane » avec les forces armées maliennes (FAMa). Elle engendre aussi la suspension des activités de formation menées par les Français auprès des forces de défense et de sécurité locales. L’armée du Mali se voit ainsi coupée de deux de ses principaux soutiens : la France et les Etats-Unis. Au lendemain du putsch, les Américains avaient en effet, eux aussi, annoncé la suspension de leur assistance aux forces maliennes, faite notamment de formation et de cession de matériel.
« Il y a un flou sur les intentions »
A ce stade, l’opération « Barkhane » en tant que telle n’est officiellement pas remise en cause par cette suspension du volet bilatéral des opérations. Sur le terrain, les militaires français ne travaillent pas uniquement avec l’armée malienne. Des troupes venant des pays frontaliers du Mali, issues de ce qui est appelé « la force conjointe » du G5 Sahel (qui réunit Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), sont également associées. La décision de Paris sera « réévaluée dans les jours à venir au regard des réponses qui seront fournies par les autorités maliennes », indiquait-on, jeudi soir, au ministère des armées.
L’annonce de Paris, la première du genre depuis huit ans, amène néanmoins son lot de questions. Même si, pour l’heure, elle apparaît moins comme le premier pas d’un retrait, que comme une pression destinée à peser sur le contexte politique alors qu’un nouveau gouvernement est attendu, que se passera-t-il si les putschistes ne donnent pas à la France les garanties réclamées en vue d’une reprise de la coopération ? « Barkhane » pourra-t-elle continuer à opérer au Mali, sans coopérer avec l’armée de ce pays « ami » ? Et comment poursuivre les activités françaises dans un pays dont la légitimité des autorités n’est pas reconnue ?
Trois points majeurs préoccupent aujourd’hui Paris : la mise en place d’un gouvernement civil, le respect de la date initialement fixée pour l’élection présidentielle au 27 février 2022 et la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre l’Etat et les ex-groupes rebelles indépendantistes du Nord. Une ligne également défendue par les pays voisins du Mali. Il y a quelques jours, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine (UA) ont suspendu le Mali de leurs instances en attendant elles aussi des garanties claires. « Il y a un flou sur les intentions, explique un membre de l’entourage présidentiel. Les messages délivrés portes fermées sont rassurants, mais il faut les officialiser. »
« La partition de fait du Mali »
Ces derniers jours, à Bamako, des diplomates se sont inquiétés de voir la junte nommer, d’un moment à l’autre, un premier ministre, certes civil, mais jugé trop clivant : Choguel Maïga, le président du comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), le regroupement d’organisations et de partis d’opposition qui avait poussé les Maliens dans la rue au printemps 2020, pour réclamer le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK ». Ce dernier avait ensuite été renversé par un coup d’Etat, perpétré par le colonel Assimi Goïta et le même quarteron d’officiers aujourd’hui au pouvoir. Une transition dirigée par le président Bah N’Daw et son premier ministre Moctar Ouane avait ensuite été mise en place, avant qu’ils ne soient à leur tour arrêtés et contraints à la démission, le 24 mai.
L’éventuelle nomination de Choguel Maïga – un nom proposé par le M5-RFP à la junte après qu’elle a annoncé vouloir confier la fonction de premier ministre à ce mouvement – inquiète « les partenaires du Mali, les mouvements armés du Nord et une partie des militaires », souligne ainsi un diplomate. Les positions de M. Maïga sont jugées trop tranchées, notamment vis-à-vis de l’accord de paix d’Alger, dont il a estimé qu’il consacrait « la partition de fait du Mali », dans un livre intitulé Les Rébellions au nord du Mali. Des origines à nos jours (EDIS, 2018).
Mais depuis, le colonel Goïta semble l’avoir contraint à adoucir sa position. Lors d’une réunion organisée dans la soirée du 2 au 3 juin avec les ex-rebelles du nord du Mali – regroupés au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) –, M. Maïga a « cherché à donner des messages d’apaisement », souligne Mohamed Elmaouloud Ramadane, le porte-parole de la CMA. L’attachement de la junte à la mise en œuvre de l’accord aurait aussi été réaffirmé pour rassurer les mouvements armés du Nord et ainsi s’assurer de maintenir une certaine paix.
A Paris, on assure que « la France n’intervient pas dans la nomination du premier ministre malien. L’inquiétude principale est qu’un statu quo s’installe avec un enterrement de l’accord d’Alger et une complaisance vis-à-vis de l’islam radical ». L’influent imam Mahmoud Dicko, qui milite pour des négociations directes avec « les frères maliens qui se sont égarés » dans la guerre au côté des groupes djihadistes, est-il visé ? « Dicko et tous ceux qui font le trait d’union entre la classe politique et les groupes terroristes » sont concernés, insiste-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron.
Manifestation conjointe
Ce vendredi 4 juin, l’imam Dicko et Choguel Maïga ont appelé leurs sympathisants à manifester ensemble à Bamako. Ce rassemblement était prévu de longue date pour commémorer le premier anniversaire du M5-RFP. Nul doute que l’action de la France y sera une nouvelle fois remise en cause, sur fond de méfiance de plus en plus ouverte entre Paris et Bamako. Si les autorités françaises s’interrogent depuis des années sur la volonté de leur partenaire malien d’effectuer les concessions attendues, le Mali, lui, doute chaque jour plus ouvertement de la capacité de son allié à l’aider sur le chemin d’une paix dont il n’a pas encore finalisé les contours.
La suspension de la coopération militaire avec le Mali, même si elle est temporaire, ouvre la porte aussi à des questions très opérationnelles. Malgré les efforts de formation de « Barkhane », les forces armées maliennes n’ont jamais été les plus efficaces sur le terrain, en raison de leurs faiblesses structurelles (manque d’hommes, d’argent, d’équipements…). C’est donc beaucoup sur des bataillons tchadiens, plus combatifs et aguerris, que s’appuyaient les Français de « Barkhane », ainsi que sur les casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), également composée d’un nombre important de Tchadiens.
A ce stade, la mort du président tchadien, Idriss Déby, annoncée le 20 avril, n’aurait pas eu de conséquences sur ces déploiements. Mais les incertitudes demeurent alors qu’une équipe de transition a également été nommée dans ce pays. Les moyens capacitaires de la Minusma – qui regroupe 13 000 hommes – sont quant à eux très limités. Celle-ci manque en particulier d’hélicoptères, et son mandat d’intervention, uniquement défensif, est très encadré.
Cyril Bensimon, Morgane Le Cam (Bamako, envoyé spéciale) et Elise Vincent
Source : Le Monde
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