Canada – Des victimes de racisme bâillonnées dans la fonction publique fédérale

Microagressions, harcèlement, violence verbale. Des fonctionnaires fédéraux noirs brisent le silence pour dénoncer le racisme qu’ils disent avoir subi dans leur milieu de travail. Ceux qui osent réclamer des changements se butent à de nombreux obstacles au sein du gouvernement, des syndicats et des organismes responsables de traiter les plaintes. Radio-Canada a appris que le gouvernement verse même des milliers de dollars à des plaignants en échange de leur silence.

Je me sentais comme un animal en cage, constamment traqué. Une dizaine d’années se sont écoulées, mais les blessures sont profondes. Godlove Ngwafusi est encore secoué en lisant la plainte qu’il a déposée à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

Rencontré chez lui en banlieue d’Ottawa, ce fonctionnaire relate avec dégoût ses années passées au Bureau du Conseil privé. Il était le seul Noir dans l’équipe et on le lui faisait sentir. Dès le départ, j’ai compris qu’ils ne me traitaient pas de la même façon que les autres, raconte-t-il, assis sur une modeste chaise de jardin en métal. À côté de lui, un cartable blanc renferme des documents témoignant de cet environnement extrêmement hostile.

Le nez plongé dans ses papiers, il enchaîne au hasard la lecture de courriels pour étayer sa descente aux enfers. 3 février 2006, 16 h 11. Veuillez enlever 4 minutes du salaire de Godlove Ngwafusi pour retards – pluriel – injustifiés en janvier. Une fois par mois, sa superviseure demandait aux ressources humaines d’amputer son salaire de secondes ou de minutes de soi-disant retards.

Elle me dégradait constamment, résume M. Ngwafusi dans sa plainte. Lors d’une rencontre individuelle, elle lui aurait même servi des commentaires désobligeants en lien avec la couleur de sa peau. J’étais choqué, déprimé, se remémore-t-il. Une fois à la maison, même ses enfants percevaient la douleur qui l’envahissait.

« Je me sentais comme un crocodile qu’on poignarde au ventre. » Une citation de :Godlove Ngwafusi, fonctionnaire

Ils étaient allergiques à ma présence. On m’a traité comme si j’étais un enfant, un bébé, poursuit l’homme à la courte barbe grisonnante. Rapidement, sa santé mentale en a pris un coup. Ça m’a sapé. J’ai commencé à devenir un légume, je faisais tout pour survivre, dit-il, des trémolos dans la voix.

Le fonctionnaire a mené en vain plusieurs démarches pour porter plainte et faire reconnaître qu’il était victime de discrimination raciale. C’est après avoir épuisé tous ses recours qu’il s’est tourné vers la CCDP, mais sa plainte n’a pas été retenue. On m’a dit de résoudre ça à l’interne, indique-t-il amèrement, précisant que ses démarches subséquentes sont restées lettre morte.

Le Bureau du Conseil privé dit ne pas être en mesure de commenter de cas précis pour des raisons de confidentialité, mais affirme prendre toutes les allégations de racisme au sérieux.

En 2017, Godlove Ngwafusi a subi un traumatisme crânien lors d’un accident de voiture. Depuis, il est en congé de maladie.Photo : Radio-Canada / Michel Aspirot

Des histoires de ce genre, Jennie Esnard en entend chaque semaine. Depuis son élection en 2019 à la présidence du Comité des droits de la personne et de la diversité à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), elle croule sous les courriels de dénonciation et les appels à l’aide de personnes racisées. Révoltée, elle énumère avec fougue des incidents qui lui sont rapportés.

Par exemple, un individu pensait qu’il serait drôle d’afficher la photo d’un singe avec le nom d’un employé dans les cuisines partagées, lance celle qui est aussi présidente du caucus noir de son syndicat. Quand le fonctionnaire s’est plaint à la direction, on lui a répondu qu’il n’avait pas le droit d’enlever les images, qu’il aurait d’abord dû l’aviser. Donc, cette équipe de gestion appuie ces actes racistes, s’indigne-t-elle. Effrayé à l’idée de porter plainte et d’être identifié, le travailleur s’est résigné à subir du racisme jusqu’à sa retraite, sa seule porte de sortie, déplore Jennie Esnard.

En plus des témoignages qui figurent dans cet article, Radio-Canada a parlé à plusieurs autres fonctionnaires fédéraux qui refusent de partager leur expérience de racisme à visage découvert, craignant des représailles de leur employeur ou de leurs collègues. Certains ont fait état d’insultes, de harcèlement, de violence verbale et physique, de profilage racial. Tous ont connu des problèmes de santé mentale ou physique.

D’ailleurs, depuis décembre, les voix s’accumulent pour dénoncer les pratiques d’embauche et de promotion discriminatoires dans la fonction publique. Ils sont maintenant 800 fonctionnaires noirs à intenter une action collective de 2,5 milliards de dollars contre le gouvernement fédéral. À leurs yeux, l’avancement professionnel est un mirage.

L’action collective n’a toujours pas été autorisée. Le gouvernement n’a pas déposé d’avis de défense.

 

 

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Source : Ici Radio Canada

 

 

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