Covid-19 : un rapport d’experts prône une refonte de l’OMS

Mandaté par l’organisation onusienne, un panel indépendant préconise une aide accrue aux pays du Sud et un nouveau système de surveillance pandémique.

Un amer constat d’échec, un appel à mettre en œuvre d’urgence des mesures pour sortir de la crise, et un ensemble de recommandations pour refonder les règles sanitaires internationales et le fonctionnement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : le groupe d’experts (« Independent Panel for Pandemic Preparedness and Response ») mandaté par la direction générale de l’organisation onusienne pour plancher sur la gestion de la pandémie a rendu, mercredi 12 mai, son rapport final.

Pendant huit mois, les treize experts du groupe ont réalisé un grand nombre d’entretiens et passé en revue la littérature scientifique afin de « faire scrupuleusement état de ce qui s’est passé, de pourquoi cela s’est passé, et de formuler des recommandations de changement audacieuses », selon l’ancienne première ministre de Nouvelle-Zélande, Helen Clark, coprésidente du groupe. Atermoiements, retards, erreurs d’appréciation, léthargie et impréparation : les conclusions sont sévères pour la communauté internationale.

Aider les pays du Sud

 

Parmi les « actions urgentes » réclamées figure sans surprise le maintien ou la mise en place, dans tous les pays, de stratégies fondées sur des preuves scientifiques visant à enrayer la circulation du nouveau coronavirus par des campagnes de tests, des quarantaines, des mesures de distanciation physique… Mais aussi, et surtout, les experts enjoignent aux pays riches de prendre leur part de la lutte contre la maladie dans les pays du Sud.

Les Etats membres du G7 doivent s’engager à fournir, estiment les experts, « 60 % des 19 milliards de dollars nécessaires en 2021 au “Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le Covid-19” comme les vaccins, les tests, les médicaments et le renforcement des systèmes de santé ». Le reste du financement de ce dispositif, lancé en avril 2020 par l’OMS, pourrait être « mobilisé auprès d’autres pays du G20 et d’autres pays à revenu plus élevé ». Les pays riches doivent en outre s’engager à fournir, d’ici au 1er septembre, un milliard de doses de vaccins aux 92 pays à revenu faible et intermédiaire. Et au moins 2 milliards de doses d’ici à l’été 2022.

Si la vaccination ne permettra pas à elle seule de venir à bout de la maladie, l’accès aux vaccins est crucial, insiste le panel. « Nous demandons à l’OMS et à l’OMC de se réunir avec les pays et les firmes qui produisent les vaccins pour parvenir, dans les trois mois, à des accords volontaires de transfert de ces technologies, ajoute Michel Kazatchkine, ancien directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et membre du panel. A défaut de tels accords volontaires, nous demandons une levée immédiate des droits de propriété intellectuelle qui protègent ces vaccins. »

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Il ne s’agit pas uniquement de générosité, plaident les experts, mais aussi d’efficacité dans la lutte contre la pandémie. « Il faut s’attaquer immédiatement à l’inégalité considérable en matière d’accès aux vaccins, car non seulement elle est injuste, mais elle menace également l’efficacité des efforts mondiaux de lutte contre la pandémie, lit-on dans le rapport. Des variants que nos vaccins ne peuvent pas gérer peuvent apparaître. Plus nous vaccinons rapidement aujourd’hui, moins il y a de chances que d’autres variants apparaissent. » A la mi-mars, seules 30 millions de doses avaient été transférées dans 54 pays à faible revenu, dans le cadre du dispositif Covax mis en place par l’OMS.

Alerte trop lente en janvier 2020

 

Faire trop peu, faire trop tard. Pour Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Liberia et coprésidente du groupe d’experts, « un temps précieux a été perdu en janvier 2020 ». « Le système censé valider et répondre à l’alerte a été trop lent, ajoute Mme Sirleaf. Il n’opère pas à une vitesse suffisante lorsqu’il est confronté à un agent pathogène respiratoire qui se diffuse rapidement. » Les procédures préalables à l’identification et au lancement d’une alerte par l’OMS sont par exemple suspendues à des échanges très formalisés avec le ou les Etats membres concernés.

Ainsi, l’OMS ne décrète une « urgence de santé publique de portée internationale » que le 30 janvier, alors que les cliniciens de Wuhan, en Chine, avaient, note le panel, suspecté dès la fin décembre 2019 que les clusters anormaux de pneumopathie atypique étaient le fait d’un agent pathogène capable de se transmettre entre les humains. « Pour lancer l’alerte, le directeur général de l’OMS doit consulter un comité d’urgence, explique M. Kazatchkine. Le 22 janvier, à la première réunion, les experts étaient partagés. Ce n’est que la semaine suivante que tous se sont mis d’accord, et l’alerte a ensuite été officiellement donnée par l’OMS. Nous estimons que l’urgence aurait dû être déclarée une semaine plus tôt, sans attendre de preuves définitives, sur la base du principe de précaution. »

Renforcer l’indépendance de l’OMS

 

Simplifier les procédures, y intégrer le principe de précaution, mais aussi renforcer l’indépendance de l’OMS. « Ce que nous proposons est une refonte de l’ensemble du fonctionnement de l’écosystème du système sanitaire international », dit M. Kazatchkine. Le panel d’experts propose de libérer l’organisation onusienne de la précarité de son financement, qui fait peser « un risque majeur sur la qualité et l’indépendance de son travail ». Mais aussi de renforcer l’indépendance de l’institution en rendant non renouvelable le mandat de son directeur général.

 

Toutefois, les atermoiements de la Chine et de l’OMS n’expliquent pas tout, tant s’en faut. « Le temps perdu en janvier doit être apprécié dans le contexte du mois qui a suivi, tempère M. Kazatchkine. Le mois de février a été perdu. Car après que l’OMS a déclaré l’urgence sanitaire, la plupart des pays sont demeurés dans une sorte de léthargie et d’incrédulité. Il n’y a guère qu’en Asie, où le souvenir du premier SARS est encore présent, que des mesures rapides ont été prises, souvent avec succès. » Le panel propose la création d’un Global Health Threats Council, où siégeraient les représentants des chefs d’Etat et de gouvernement, une manière d’assurer qu’une attention de haut niveau soit maintenue sur la surveillance et la gestion des menaces sanitaires planétaires.

« La situation actuelle aurait pu être évitée en apprenant du passé, a pour sa part déclaré Ellen Johnson Sirleaf. Il existe de nombreux rapports sur des crises sanitaires précédentes qui incluent des recommandations concrètes. Ils sont restés cachetés, et prennent la poussière dans les sous-sols des Nations unies ou sur les étagères des gouvernements. »

 

Stéphane Foucart

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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