Avatars de l’extrémisme religieux en Mauritanie : de la dissimulation à la diplomatie de la duplicité

Note d’information, mai 2021

Le 25 avril 2021, à 22h, la police de Nouadhibou (capitale économique) procédait à l’arrestation de jeunes activistes de gauche, au motif d’avoir animé une émission de débat virtuel, grâce à la plateforme Facebook, sous le titre « Elmetrouch », littéralement, « l’intrusif ». Le programme visait à préserver, l’individu, des empiètements de la société, sur la sphère de l’intimité; les organisateurs voulaient provoquer la controverse, démontrer l’importance de la vie privée et dénoncer, en priorité, le contrôle de la sexualité des jeunes et l’ingérence dans les choix de vie d’adultes consentants. Les détenus se retrouvèrent au Commissariat de police, curieusement dénommé Redouane (le satisfecit pieux).

  1. Faits

Le forum, lancé au début du jeûne rituel, suscitera l’indignation acerbe parmi les sympathisants du parti islamiste Tawassoul et de la part de son ex-président, Mohamed Jemil Ould Mansour, surtout après le cinquième et le sixième épisode. Le leader féministe Aïchetou Mint Isselmou Mbareck y exprime son opinion, en substance : « quiconque peut jouir du sexe avant, après et dans le mariage ; le sujet ne concerne personne d’autre, c’est la liberté de chacun.  La femme et l’homme sont égaux en droit et devoirs. Les gens selon qui toute femme est une nudité indécente ‘’ عورة” (Awara) sont eux, les borgnes »[1] ; A la seconde séquence en cause, Yehdhih Ould Mohamed, un membre fondateur du mouvement non-autorisé « Pour une Mauritanie Laïque » explique et argumente la séparation du religieux et du politique.

Le propos ayant fortement déplu aux milieux de la conservation, ces derniers organisèrent une vaste campagne de réseaux sociaux, pour susciter une réaction de la populace excitée, contre les promoteurs du programme, avant de les assigner, en justice. La plainte accuse, les participants à la discussion, de détruire les valeurs de la société islamique, d’où le devoir collectif de les faire juger en vertu de la chariaa, aux griefs de « non-reconnaissance des obligations religieuses », un crime selon l’article 306 nouveau du code pénal[2], d’inspiration jihadiste.

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  1. Implications

Durant la garde-à-vue, les jeunes devaient produire des aveux, en présence du procureur de la République, du directeur régional de la sûreté et d’un membre des services de sécurité et de renseignements : les questions tournaient autour du forum Elmetrouche, de ses initiateurs, des objectifs, des convictions et de la pratique cultuelle de chacun ; les interrogateurs trahissaient une fixation monomaniaque, sur les financements reçus ou escomptés, de l’extérieur.

Devant la fragilité des charges invoquées aux dépens des prévenus, une décision invisible ordonna leur libération, le 28/04/2021, à 1h du matin. Comme lors des incidents récents entre notables féodaux et paysans descendants d’esclaves, ils reçurent injonction de ne plus aborder le thème, de s’abstenir de voyager sans en informer la police et de ne plus commettre une parole ou acte susceptible d’être interprété comme « outrage public à la religion ». Le terme, vague et non défini par la loi et la jurisprudence, relève de l’idéologie de la contrainte, désormais en vigueur dans le pays. Le système y verse, à présent, la moindre velléité d’émancipation ou de critique sociale. Le chef d’inculpation reflète le réflexe d’autodéfense de la domination face aux demandes d’équité : encore une fois, depuis l’institution de l’esclavage sur le sol de la future Mauritanie, la religion sert de bouclier à l’injustice, s’éloignant, alors, de sa vocation, durant la geste prophétique.

III. Protagonistes

  1. Les réalisateurs
  2. Bilal Varajou Beikrou, né le 16/10/1989 à Elmina, marin et activiste de la société civile ; interpelé.
  3. Mohamed Sid’Ahmed Mahmoud, né le 21/11/1989 à Nbeika, enseignant de philosophie et d’Arabe, activiste de la société civile ; interpelé.
  4. Ahmed M’bareck Lethneine, né le 24/05/1991 en Libye. Ouvrier des mines et activiste de la société civile ; recherché.
  5. Aïchetou Isselmou M’bareck, née le 25/05/1993 à Nouadhibou, secrétaire dans une école et activiste de la société civile ; interpelée.
  6. Les invités  
  7. Aïchetou Isselmou M’Bareck, précitée
  8. Mohamed Yehdhih Sidi Brahim Mohamed Mahmoud, né le 31/12/1985, enseignant de philosophie et d’éducation civique, activiste de « Pour une Mauritanie Laïque » ; interpelé.
  9. Mourad Soueilim et d’autres membres, entendus et relâchés.
  10. Epilogue provisoire

A la fin de la détention, une entité proche de Tawassoul organise une manifestation de rue, sous le slogan «لا للإباحية»[3], à la sortie de la prière du vendredi, 30 avril 2021. Les marcheurs obtiennent l’agrément légal, en dépit des mots d’ordre de haine et d’appel au meurtre que ce genre de rassemblement charrie. De l’anathème aux menaces d’atteinte à l’intégrité physique, ils réclament une peine sévère, à l’endroit des jeunes, en vue de « sauvegarder les valeurs islamiques ». D’autres clubs d’obédience salafie, en particulier [4]شبيبة بناء الوط, ont promis de conduire davantage de protestations, la semaine suivante.

Aïchetou M’Bareck a été séquestrée par sa famille et licenciée de son travail. Les autres subissent, sans protection, la persécution de l’entourage et jusque dans la rue ; la plupart ont perdu leur gagne-pain. Aucun n’a pu récupérer son téléphone.

  1. Leçons

Ainsi régresse la République islamique de Mauritanie, d’Etat naguère en chantier sur des assises de mérite et de compétence, vers un syncrétisme des modèles de gouvernance anti-démocratique de l’Orient, à équidistance du wahhabisme et de la talibanie pakistano-afghane. A titre d’anecdote, révélatrice de la dérive en cours que nos alliés du Monde libre ne souhaitent regarder, le ministère des Affaires islamiques et de l’enseignement, publiait, en catimini, le 12 avril, au travers de sa page Facebook, un communiqué où il réprouve les conclusions d’un séminaire, tenu l’avant-veille, à Nouakchott, la capitale. A l’occasion du Ramadan, une association des Emirats arabes unis (Eau) basée à Paris, tentait de promouvoir la paix et le dialogue, au nom de l’Islam[5]. Certains intervenants y appelaient à une révision des légendes, des attitudes sectaires et du recours à la terreur, comme outils de prosélytisme ; d’autres revisitaient les sources du droit musulman afin d’en extirper les mythes, la contrefaçon et les récits fabriqués. Aussitôt, les intérêts étrangers, en concurrence avec les Emirats, pourtant alliés et tuteurs du gouvernement de la Mauritanie, se sont empressés de dicter une réaction hostile, à une instance du même l’Etat. Les acteurs locaux de la manœuvre semblent accorder une confiance excessive au succès de leur ruse : à quelques jours d’intervalle, l’autorité officielle entérinait l’évènement, y participait puis le dénonçait….

https://alakhbar.info/?q=node/32204

http://cfaes.org/?p=12839

[1] Ici, l’invitée se moque en recourant au jeu de mots « aoura » et le mot « a’awar », qui désigne la cécité d’un seul œil.

[2] Texte présenté par le gouvernement, adopté au Parlement, le 27 avril 2018 et promulgué depuis :

« Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant la Ghissass ou la Diya, sera punie d’une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 50.000 à 600.000 ouguiya ( soit 1428 euros). Chaque musulman, homme ou femme, qui se moque ou outrage Allah ou Son Messager (Mahomet) – Paix et Salut sur Lui – ses anges, ses livres ou l’un de ses Prophètes est passible de la peine de mort, sans être appelé à se repentir. Il encourt la peine capitale même en cas de repentir. Tout musulman coupable du crime d’apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S’il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu’apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. Toute personne coupable du crime d’apostasie (Zendagha) sera, à moins qu’elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort. Tout musulman majeur qui refuse de prier tout en reconnaissant l’obligation de la prière sera invité à s’en acquitter jusqu’à la limite du temps prescrit pour l’accomplissement de la prière obligatoire concernée. S’il persiste dans son refus jusqu’à la fin de ce délai, il sera puni de la peine de mort. S’il ne reconnaît pas l’obligation de la prière, il sera puni de la peine pour apostasie et ses biens confisqués au profit du Trésor public. Il ne bénéficiera pas de l’office consacré par le rite musulman ».

[3] « Non au laxisme envers les attitudes déviantes »

[4] « Jeunesse des bâtisseurs de la Nation »

[5] Sous l’égide du Centre France-Afrique d’études stratégiques (Cfaes), de plus en plus actif en Mauritanie : http://cfaes.org/?p=12839

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 04 mai 2021)

 

 

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