
Deux Espagnols et un Irlandais ont été tués le 26 avril dans l’est du Burkina Faso par des hommes armés qui pourraient appartenir à un groupe djihadiste. Missionnés par une ONG de lutte anti-braconnage, ils se déplaçaient accompagnés de militaires et d’éco-gardes. Au Mali et au Burkina, les agents forestiers sont des cibles prioritaires pour les groupes djihadistes. Ils sont perçus comme des prédateurs par les populations locales depuis l’époque coloniale.
La direction départementale des eaux et forêts de Sikasso, la deuxième ville la plus peuplée du Mali située dans le sud, est un endroit où il fait bon travailler à première vue. Des cases en parpaings qui servent de bureaux sont éparpillées à l’ombre d’arbres verdoyants. Pas besoin de climatiseur ici — il n’y en a d’ailleurs pas dans tous les bureaux —, il suffit d’ouvrir les fenêtres pour avoir un peu d’air. Mais l’illusion ne dure qu’un temps. Mohamed, un des chefs du service qui a requis l’anonymat1 a vite fait de ramener le visiteur à la dure réalité de ses agents. « En mai 2019, un des nôtres a été tué non loin de là, dans la forêt de Kaboïla. Égorgé. Plus récemment, des forestiers ont été attaqués, d’autres menacés. Nous faisons un métier dangereux. »
Il y a 24 forêts classées dans la région. Théoriquement, aucune activité humaine n’y est tolérée. En réalité, pas une n’y échappe. Coupe de bois, pâturage, culture du coton, orpaillage : des milliers de personnes vivent des ressources de ces zones « interdites ». Les relations avec les agents forestiers, qui sont censés faire respecter la loi, ont toujours été tendues. Mais rarement les conflits aboutissaient à l’irréparable. Depuis quelques années, la donne a changé. Des éléments djihadistes liés au Jamaat nusrat al-islam wal-muslimin (JNIM), le groupe dirigé par Iyad ag-Ghaly et affiliés à Al-Qaida, y ont installé des bases provisoires qu’ils déplacent régulièrement. Avec eux, « on a franchi un cap, déplore Mohamed, ils n’hésitent pas à nous tirer dessus ».
Les gardes forestiers, cibles prioritaires
Peu appréciés des populations locales, mal équipés et pas vraiment formés à affronter des combattants aguerris, les forestiers font des cibles faciles pour les djihadistes. « On n’a pas assez de munitions ; on est parfois obligés d’en demander à la gendarmerie. On a 14 kalachnikovs pour 160 agents, le reste, ce sont de vieilles carabines chinoises. On ne peut pas rivaliser », constate le fonctionnaire. Depuis que la menace venue du centre du Mali s’est rapprochée, les agents forestiers ne se rendent plus dans certaines zones.
C’est précisément l’objectif des groupes djihadistes. Au Mali, mais aussi au Burkina Faso, les agents des eaux et forêts sont leur cible prioritaire lorsqu’ils tentent de s’implanter dans une zone. Ce sont eux qu’ils attaquent en premier, avant même les militaires, les gendarmes ou les chefs coutumiers.
Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, les forestiers sont des freins à leur installation. Cela fait des années que les mouvements insurrectionnels sahéliens ont compris l’intérêt de coloniser les zones boisées : ils peuvent s’y cacher, s’y former, s’y reposer, mais aussi s’emparer de trafics qui leur permettent de financer leurs activités. La forêt du Wagadou, à la frontière entre le Mali et la Mauritanie, sert depuis longtemps de lieu de repli pour les groupes opérant dans le nord du Mali.
Dans le centre du Mali, les forêts situées près de la frontière avec le Burkina abritent des bases de vie et des camps d’entraînement (la katiba Serma, liée au JNIM, porte d’ailleurs le nom d’une de ces forêts). C’est dans la forêt d’Ansongo (est du Mali) que l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a installé sa base principale, et dans celle du parc régional du W (à la frontière entre le Niger, le Burkina et le Bénin) que ses hommes, y compris des chefs, s’y reposent avant de repartir au combat. Au Nigeria, la branche de Boko Haram restée fidèle à Abubakar Shekau a installé son quartier général dans la forêt de Sambissa. Et depuis trois ans, les forêts de l’est et du sud du Burkina, mais aussi du nord de la Côte d’Ivoire, lieux de nombreux trafics, sont à leur tour ciblées par les djihadistes.
À chaque fois, la stratégie est la même : d’abord s’attaquer aux agents forestiers, afin de les obliger à déserter la zone et à se réfugier dans les villes avoisinantes ; puis s’en prendre aux autres corps en uniforme (gendarmes et militaires), notamment en posant des mines artisanales, afin de libérer les axes routiers. Il n’existe pas de recensement des agents des eaux et forêts tués ou blessés par des djihadistes au Sahel. Un responsable malien évoque « plusieurs dizaines de morts ». Entre 2012 et 2016, au moins dix forestiers auraient été tués dans la région de Mopti au centre du Mali. À Sikasso, Mohamed avoue que, désormais, ses agents se rendent dans les forêts « la peur au ventre ».
Source : Orientxxi.info
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