RWANDA, l’autre vérité

Dans le cadre de la semaine de  commémoration génocide du Rwanda  d’avril 1994, Me François Roux,  Avocat Honoraire au Barreau de Montpellier, a publié, cette tribune dans les colonnes du Midi Libre, du 03 avril. Me Roux revient sur l’acquittement  d’Ignace Bagilishema, ancien Bourgmestre (Maire) de la Commune de Mabanza dans l’Ouest du Rwanda, par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda siégeant à Arusha.  La défense du Bourgmestre avait été assurée par Me Roux et le Bâtonnier Maroufa Diabira de  Mauritanie. Lire l’intégralité de la tribune

Oui le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 par des extrémistes Hutus fût une horreur absolue.

Mais oui aussi, d’autres Hutus ont sauvé des Tutsis, souvent au péril de leur vie, lors du génocide, comme en témoigne Jean Hatzfeld dans son dernier ouvrage « Là où tout se tait » (Gallimard Janvier 2021).

C’est l’honneur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda siégeant à Arusha (Tanzanie), d’en avoir tiré de justes conclusions en acquittant certains responsables Hutus accusés à tort.

Tel fût le cas pour l’accusé Ignace Bagilishema, ancien Bourgmestre (Maire) de la Commune de Mabanza dans l’Ouest du Rwanda, bien loin de Kigali la capitale. Avec le Bâtonnier Maroufa Diabira (Mauritanie) nous avions été commis d’office à sa défense en Avril 1999.

Ignace Bagilishema était le cinquième accusé à être jugé par le TPIR.

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Comme le permettait la procédure anglo-américaine utilisée devant ce Tribunal international il était de notre responsabilité de mener nos propres enquêtes et de vérifier les accusations portées par le Procureur, notamment en nous rendant sur place au Rwanda. Après plusieurs mois d’enquêtes sur le terrain avec notre assistante Héleyn Unac (alors jeune avocate languedocienne, ayant depuis poursuivi une belle carrière aux Nations Unies) et nos deux enquêteurs (l’un Hutu, l’autre tutsi), nous avions acquis la conviction que notre client n’avait pas participé aux crimes dont le Procureur l’accusait.

A notre demande la Chambre de première instance, présidée par le Juge Norvégien Erik Mose acceptait d’organiser pour la première fois un transport sur les lieux au Rwanda. Pendant 3 jours, Juges, Procureur et Défense, nous avons ainsi visité tous les sites de massacres dans lesquels le Procureur impliquait notre client, y compris les tristement célèbres collines de Bisesero où Ignace Bagilishema affirmait n’être jamais allé pendant le génocide.

Ce transport fût déterminant pour constater que plusieurs témoins de l’accusation ne pouvaient pas, de la position où ils affirmaient s’être tenus, et dont ils avaient témoigné auprès du Procureur, avoir vu quoi que ce soit impliquant Ignace Bagilishema. Le procureur lui-même dût en convenir…

A l’inverse, de nombreux témoins Tutsis témoignèrent devant le Tribunal, qu’Ignace Bagilishema leur avait sauvé la vie,  qu’il s’était notamment opposé au péril de sa vie, à une horde de tueurs (« les abakigas ») déferlant sur la commune de Mabanza. Un Pasteur témoignait avoir reconnu certains de ses catéchumènes dans cette horde. Les ayant interpelé « mais que faites vous donc ? » il s’entendait répondre, « Pasteur on va tuer les Tutsis et ensuite on demandera pardon à Dieu… ».

Plusieurs témoins Tutsis présentaient ainsi au Tribunal, par notre intermédiaire, de fausses cartes d’identité établies pour eux par Ignace Bagilishema et mentionnant comme identité « Hutu ». C’était à cette époque « un laisser passer » pour avoir la vie sauve.

Voyant ainsi son accusation s’effondrer, le Procureur avait cru devoir menacer Ignace Bagilishema de le poursuivre pour faux…

Par Jugement en date du 7 Juin 2001 Ignace Bagilishema était acquitté de toutes les accusations (Génocide, crimes contre l’humanité) portées contre lui. Le Tribunal indiquait dans son Jugement que non seulement le Procureur n’avait pas rapporté la preuve de la culpabilité d’Ignace Bagilishema, mais qu’au contraire beaucoup de preuves attestaient que celui-ci avait sauvé de nombreuses vies et évité beaucoup de massacres malgré les faibles moyens dont il disposait.

Et plusieurs Tutsis, encouragés par cette décision insistaient encore auprès de nous lors de nouvelles enquêtes au Rwanda pendant la procédure d’appel initiée par le Procureur, pour témoigner qu’il leur avait sauvé la vie.

Un an plus tard, le 3 Juillet 2002 les cinq Juges internationaux de la Chambre d’Appel, présidée par le Juge français Claude Jorda, confirmaient à l’unanimité le Jugement.

Comme nous l’avions plaidé lors de l’audience finale, en faisant référence au film « La liste de Schindler », « Qui sauve une vie, sauve l’humanité ». Ignace Bagilishema fût de ceux-là.

Oui, des Hutus, certains, membres de l’Administration rwandaise comme Ignace Bagilishema, d’autres, anonymes, ont utilisé leur fonction ou leur position pour sauver des Tutsis au péril de leur vie pendant le génocide.

L’acquittement d’Ignace Bagilishema par le TPIR fût une délivrance pour tous ces Hutus jusque-là stigmatisés : enfin il était déclaré par la Justice Internationale que l’on pouvait être Hutu sans avoir été automatiquement un génocidaire.

 

Merci Jean Hatzfeld de l’avoir rappelé.

 

François Roux Avocat Honoraire au Barreau de Montpellier

Ancien Chef du Bureau de la Défense au Tribunal Spécial pour le Liban (2009-2018).

Dernier ouvrage paru « Justice Internationale la parole est à la défense ».

Indigène éditions 2016. Version arabe, anglaise et française chez Arab Scientific Publishers.Inc 2017.

 

 

 

 

 

Source : Midi Libre Via Initiatives News (Le 10 avril 2021)

 

 

 

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