Canada – Le gouvernement renvoie la balle à un organisme de surveillance méconnu

Dossier de Mohamedou Ould Slahi

Le gouvernement fédéral suggère à Mohamedou Ould Slahi d’adresser ses doléances touchant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à un organisme de surveillance méconnu qui chapeaute, de son propre aveu, un processus de traitement des plaintes « trop lent et trop complexe ».

Mary-Liz Power, porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, indique que le ressortissant mauritanien « est libre » de porter plainte à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) même s’il n’existe pas, dit-elle, d’informations suggérant qu’une commission d’enquête à ce sujet est « nécessaire ».

Dans un courriel envoyé à La Presse en milieu de semaine, Mme Power n’a pas réagi par ailleurs aux critiques d’Amnistie internationale et du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui pressaient la semaine dernière M. Blair de se désister du dossier et de le confier au bureau du premier ministre en raison des liens d’amitié qu’il a entretenus avec un ex-directeur du SCRS ayant joué un rôle dans le dossier de M. Slahi.

Le Mauritanien, qui a été détenu 14 ans à la prison américaine de Guantánamo avant d’être relâché sans accusation en 2016, est arrivé au Canada en 1999 avec le statut de résident permanent. Il s’est installé à Montréal quelques semaines avant l’arrestation à la frontière américaine d’Ahmed Ressam, un terroriste qui avait fréquenté la même mosquée que lui.

L’ex-détenu de Guantánamo affirme avoir été visé abusivement par les forces de l’ordre canadiennes, qui auraient envoyé des informations trompeuses à son sujet aux autorités américaines, contribuant à ses déboires.

Slahi se dit déçu

 

Le gouvernement a déjà constitué des commissions d’enquête dans des dossiers de ce type par le passé, dont celui de l’ingénieur Maher Arar, qui avait été enlevé par les États-Unis en 2002 et envoyé en Syrie pour être torturé sur la base d’informations trompeuses provenant de la GRC.

M. Slahi se dit déçu que le gouvernement refuse d’emprunter la même approche que celle choisie pour M. Arar.

D’un côté, le gouvernement parle des violations des droits de la personne dans des pays autoritaires et il refuse, de l’autre, d’enquêter vraiment quand des violations flagrantes le concernant surviennent.

Mohamedou Ould Slahi

L’homme de 50 ans a indiqué qu’il n’excluait aucune avenue juridique pour obtenir des réponses et qu’il étudierait la possibilité de porter plainte auprès de l’OSSNR, officiellement constitué en 2019 à partir d’organismes de surveillance préexistants.

Enjeux de transparence

 

Dans le premier rapport annuel de l’organisation paru il y a quelques mois, ses dirigeants affirment vouloir améliorer le processus de plaintes, considéré comme déficient, pour accroître « son accessibilité, sa rapidité et son imputabilité ».

L’organisation dit s’être dotée par ailleurs, pour être plus « transparente », d’une nouvelle politique permettant de publier des rapports d’enquête « déclassifiés et dépersonnalisés » en rapport avec le traitement des plaintes.

Le service des médias de l’OSSNR n’a donné aucune suite aux questions de La Presse, malgré l’envoi de plusieurs courriels de rappel.

Le NPD a indiqué vendredi qu’il était important d’obtenir des réponses plus tôt que tard dans ce dossier, que ce soit par l’OSSNR ou d’autres structures indépendantes. « Le Canada a un travail de conscience à faire, qu’on ait le courage de le faire ! », souligne le chef adjoint du parti, Alexandre Boulerice.

La directrice de la section canadienne francophone d’Amnistie internationale, France-Isabelle Langlois, maintient que toutes les informations sont réunies pour justifier la désignation d’un enquêteur indépendant plutôt que de se borner à diriger le dossier vers l’OSSNR.

« Il y a trop de zones d’ombre pour ça », indique-t-elle.

Melissa McKay, avocate spécialisée en droit pénal international, relève que le Canada, à l’instar de plusieurs autres pays, a joué un rôle actif dans le système d’enlèvements et de détentions extrajudiciaires mis sur pied par les États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Le dossier de M. Slahi est une autre illustration, dit-elle, de ce « moment sombre de l’humanité » et témoigne de la nécessité pour les États participants de faire la lumière sur leurs propres agissements, même si Washington rechigne à se livrer à cet exercice.

« Il faut de la transparence pour comprendre comment ce système a pu fonctionner », dit Mme McKay.

 

 

 

Marc Thibodeau
La Presse

 

 

 

 

Source : La Presse.ca (Canada)

 

 

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