Face au Covid-19, la diaspora africaine en quête de services funéraires adaptés

Assurances obsèques, rapatriement des corps, rites musulmans… Les sociétés de pompes funèbres spécialisées se sont multipliées depuis le début de la pandémie.

La mort ? Il n’y pense pas vraiment. Pourtant, depuis plus de deux décennies, Baba Dramé respecte un rituel presque sacré. Chaque trimestre, cet ouvrier de 58 ans se rend dans son ancien foyer à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) pour confier quelques euros à une association destinée à financer ses funérailles et le rapatriement en avion de son corps au Mali, sa terre natale. « On l’appelle “caisse de village”, c’est une assurance obsèques, raconte-t-il. A l’année, elle me coûte une cinquantaine d’euros pour moi et ma famille [femme et enfants]. Nos vieux sages ont instauré ce principe quand ils sont arrivés en France, il y a une cinquantaine d’années. Comme ça, s’il doit nous arriver quelque chose, nos proches sont tranquilles. »

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Et mieux vaut adhérer à ce genre d’association, car un décès et un enterrement au pays coûtent cher, très cher : entre 3 500 et 5 000 euros, voire plus si le lieu d’inhumation est très reculé. Depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, cette caisse s’est révélée précieuse pour soutenir nombre de familles endeuillées. « Ceux qui ne cotisent pas ou qui ne sont pas à jour ne seront pas pris en charge », prévient Baba Dramé. Certains l’ont appris à leurs dépends tout au long de la pandémie. « Beaucoup de nos compatriotes ont été confrontés à la mort et des familles sans assurance ont dû financer des obsèques. Du coup, depuis le Covid-19, énormément de personnes se sont tournées vers ces associations pour y adhérer », explique Baidy Dramé, président du Conseil supérieur de la diaspora malienne de France.

Des caisses de village, « il en existe des centaines en France », assure Baidy Dramé. Sénégalais, Ivoriens, Burkinabés, Gambiens… Une grande partie de la diaspora africaine possède ce genre de fonds. Soit les responsables de ces caisses ont souscrit un contrat avec une compagnie d’assurance, soit ils rémunèrent directement une société de pompes funèbres.

« Nos enfants n’auront pas à se tracasser pour nous »

 

« Il y a chez ces immigrés le sens du retour et ils veulent pour la plupart se faire enterrer au pays », souligne Ibra Yali, administrateur du Comité de suivi du symposium sur les Sénégalais de l’extérieur, une association qui mène différentes actions de développement entre le Sénégal et ses ressortissants vivant en France. Avec comme souhait de reposer près des ancêtres ou en terre d’islam pour les musulmans.

« Dans la diaspora africaine, 80 % se font rapatrier sur le continent et 20 % se font inhumer en France », estime Christophe Lever, un agent funéraire installé à Paris et spécialiste de l’Afrique de l’Ouest depuis une vingtaine d’années. « Et une fois enterré au pays, c’est pour toujours. Là-bas au Mali, on ne parle pas, comme ici, du manque de places dans les carrés musulmans, argue Baba Dramé. On ne se pose pas la question du renouvellement de la concession funéraire, avec le risque de finir dans un ossuaire. Nos enfants n’auront pas à se tracasser pour nous. »

Ces derniers mois, les vagues meurtrières dues à l’épidémie de Covid-19 n’ont pas épargné la diaspora africaine. Pas de chiffres précis, mais des indicateurs. Acteur majeur de l’organisation d’obsèques selon les rites de l’islam, le groupe Elamen (43 employés, huit agences en France), capable de gérer une vingtaine de décès pour jour, avait ainsi reçu « une cinquantaine de demandes quotidiennes au printemps 2020 », se rappelle Nordine Ghilli, le directeur général : « Nous ne pouvions pas répondre à toutes ces sollicitations. » Alors il a vu, tout au long de la pandémie, de petites structures s’ouvrir – et se fermer aussi. « Tous les jours, comme des petits pains, s’étonne-t-il encore. Cette tendance a décollé en 2018, mais le Covid l’a accélérée et boostée. Quand j’ai démarré en 1997, nous étions deux ou trois dans ce secteur, aujourd’hui on est peut-être 300. »

Pourquoi une telle croissance ? « Les pompes funèbres traditionnelles ont toujours été mal à l’aise avec la clientèle musulmane et l’ont négligée », explique Mustapha Ettaouzani, directeur de l’agence Sérénité à Orléans. Les barrières culturelles, la langue (de l’arabe aux dialectes) ou encore les « tracasseries administratives » auprès des consulats peuvent constituer autant d’obstacles. En outre, le rite funéraire musulman – la toilette mortuaire et l’ultime prière (« salat al-janaza ») – doit être suivi à la lettre.

« En clair, un dossier musulman, c’est un dossier chiant pour les pompes funèbres traditionnelles », assène Nordine Ghilli. « Pas du tout, répond Christophe Lever. J’ai toujours eu un imam qui s’occupe des rites et moi de l’administratif. Cela n’a jamais posé de problème et je continue tous les jours de travailler avec eux. Pour moi, c’est une vraie richesse culturelle. »

« Des gens profitent de la peine des familles »

 

Quoi qu’il en soit, certains se sont lancés dans ce secteur afin d’« enterrer le défunt en toute dignité, tout en respectant les principes musulmans », comme l’indique Ladji Dibatéré. Ce Franco-Malien de 30 ans, qui a son bureau à Sarcelles (Val-d’Oise), s’est spécialisé dans le transport funéraire. Depuis son ouverture en mars 2020, son entreprise Ada-Dia a organisé une trentaine de convois entre les deux continents.

Pour lui, ce travail est avant tout un « devoir ». Quand ses parents sont morts, il y a quelques années, Ladji Dibatéré a été « choqué » de voir leurs cercueils balancés à l’arrière d’une camionnette délabrée dès son arrivée à Bamako. « Cinq crevaisons, vingt-deux heures de route pour arriver au village », se rappelle-t-il. Pour ne plus être témoin de ce genre de scène, il a donc investi dans trois véhicules tout-terrain haut de gamme, équipés d’un caisson réfrigéré et d’un système de tracking permettant leur localisation constante. Avant de se lancer, il raconte avoir étudié le marché, s’être formé au métier funéraire comme la loi l’exige (près de 3 000 euros) et à la toilette mortuaire. « Le but est de professionnaliser davantage ce secteur », argue-t-il.

Car comme le dit Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne (Rhône), « la concurrence est terrible dans ce milieu ». Ce que confirme Nordine Ghilli : « C’est devenu un business, comme le sont les kebabs ou les boucheries halal. » Avec une conséquence, celle de casser les prix et de les tirer vers le bas. « Du coup, il y a moins de marge pour les entrepreneurs, alors que nous avons besoin d’acteurs économiques solides pour maintenir une qualité dans le service », insiste Mustapha Ettaouzani. A en croire ces spécialistes, certains ont manqué de professionnalisme durant la pandémie. « Pendant l’épreuve du Covid-19, on a vu qui était sérieux », assure Azzedine Gaci. « Certaines pompes funèbres musulmanes n’ont rien de musulman. Ces nouvelles structures maîtrisent le rite mais pas le service », s’irrite Nordine Ghilli.

Durant cette crise sanitaire, lui et d’autres, comme Azzedine Gaci, ont constaté des abus et des arnaques, comme des surfacturations. « Des gens profitent de la peine des familles et réclament 5 000 euros pour rapatrier un corps en Algérie, alors que c’est maximum 3 000 euros, relate Nordine Ghilli. Certains agents viennent dans les domiciles alors que c’est interdit ou n’affichent pas les tarifs en agence à la vue du public. » Face à ces dérives, il appelle à une meilleure transparence et à un contrôle des pompes funèbres musulmanes, à l’instar de ce qui peut être fait autour du pèlerinage à La Mecque et du halal.

Baba Dramé, lui, ne se sent pas vraiment concerné par ces enjeux. L’ouvrier va continuer de se rendre chaque trimestre au foyer malien pour payer sa cotisation. Il veut juste être inhumé près de ses parents dans son village natal. Et se reposer après avoir passé trente années à nettoyer des machines d’une usine des Hauts-de-Seine.

Mustapha Kessous

Source : Le Monde (Le 06 avril 2021)

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