Au Sénégal, les violences ont cessé mais la crise perdure

L’opposant Ousmane Sonko, accusé de viol, semble sortir vainqueur de la confrontation face à un président accusé d’autoritarisme.

Une semaine après que le Sénégal a vécu ses plus violentes émeutes, déclenchées par l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, Dakar a retrouvé un visage presque normal. Samedi 13 mars, alors que la capitale de ce pays qui se vante de sa stabilité et de son ancrage démocratique attendait fébrilement un nouveau rassemblement de la coalition de partis politiques et de mouvements de la société civile, fédérés autour de la figure montante de l’opposition, les accès à la présidence étaient toujours barrés, huit blindés de l’armée déployés sur la place de l’Indépendance, et la Radio Télévision sénégalaise était protégée par des militaires et des policiers. La mobilisation n’a finalement pas eu lieu, grâce à une médiation menée par un émissaire du khalife général des mourides, l’une des plus influentes confréries religieuses du pays.

L’antisystème Ousmane Sonko a-t-il été rattrapé par le système ? Pour son avenir politique, « il ne pouvait que s’y soumettre. Il est populiste, mais pas jusqu’au-boutiste », confie un observateur. Selon une source au sein du Mouvement de défense de la démocratie (M2D), « la médiation a fonctionné, car chaque partie en avait besoin. Le pouvoir car la situation menaçait de lui échapper, et l’opposition pour ne pas s’aliéner une partie de l’opinion publique », choquée par les scènes de guérilla urbaine et par la répression qui s’est abattue sur les manifestants.

Entre le 3 mars, jour de l’arrestation de M. Sonko pour « trouble à l’ordre public », alors qu’il se rendait au palais de justice escorté de ses partisans pour y répondre d’une plainte pour « viols et menaces de mort » déposée par une employée d’un salon de massage, et le 8 mars, date de sa remise en liberté sous contrôle judiciaire, le M2D a recensé 13 morts, une source au sein du pouvoir en évoque 10, tandis que la Croix-Rouge a comptabilisé 590 blessés.

Selon de nombreux témoins, des gros bras du pouvoir s’en sont pris aux manifestants et des dizaines de commerces – souvent des enseignes françaises – ont été vandalisés ou pillés. « Du jamais-vu au Sénégal ! Même chez ceux qui croient que cette accusation de viol est un complot contre Sonko, beaucoup ont eu très peur d’un renversement populaire », affirme Alioune Tine, à la tête du centre de réflexion Afrikajom center et médiateur entre les deux parties.

Stature de présidentiable

 

Ousmane Sonko, qui a acquis sa popularité par sa dénonciation de la corruption des élites et un discours moralisateur, a réussi un tour de force : accusé de viol, ayant expliqué sans convaincre qu’il fréquentait un salon de massage en raison de « douleurs au dos », il sort finalement vainqueur de cette confrontation. A trois ans de la présidentielle, celui qui était arrivé troisième lors du dernier scrutin, avec plus de 15 % des votes, peut aujourd’hui rêver du pouvoir.

 

Il convient dès lors pour lui-même et ses alliés, dans la construction d’une stature de présidentiable, de gommer les aspérités. Les accusations de collusion avec la mouvance salafiste, dans un pays où un islam tolérant demeure largement majoritaire ? « Un discours du pouvoir à destination des Occidentaux pour le discréditer et faire peur aux investisseurs étrangers », réplique Cheikh Tidiane Dieye, le coordonnateur du M2D. Une propension à attiser les ressentiments contre la France ? « Beaucoup de jeunes perçoivent la France comme un soutien de Macky Sall et se demandent si ce président défend les intérêts des Sénégalais. Il y a des malentendus entre l’Europe et l’Afrique, mais je ne peux pas accepter que l’on dise que Sonko surfe sur une vague antifrançaise », dit-il encore.

Macky Sall s’est débarrassé de ses principaux rivaux par la cooptation ou par des procédures engagées par l’Etat

 

Après avoir accepté de suspendre ses manifestations, le M2D attend en retour « la libération rapide des prisonniers politiques », « la mise en place d’une commission indépendante pour indemniser les familles des victimes », « la traduction en justice des responsables de la répression » et « l’arrêt immédiat du complot fomenté contre M. Sonko ».

Du côté de la présidence, Seydou Guèye, le porte-parole, admet que « la partie est serrée face à une jeunesse impatiente et en demande sociale. Mais le chef de l’Etat a annoncé un dispositif de soutien supplémentaire qui devrait mobiliser 350 milliards de francs CFA [environ 533 millions d’euros] sur trois ans ». La tentative de dépolitiser la crise est évidente. « Nous allons laisser la justice faire son travail. Ce ne sera plus parole contre parole mais preuves contre preuves », assure encore M. Guèye, omettant que, fin 2020, Macky Sall avait indiqué qu’il avait son mot à dire sur les dossiers les plus sensibles.

 

« On se croirait dans “Game of Thrones” »

 

Depuis son accession au pouvoir, en 2012, la justice s’est avérée un outil efficace pour satisfaire son ambition de « réduire l’opposition à sa plus simple expression », comme il l’avait expliqué en 2015. Elle s’est montrée en revanche bien moins productive lorsqu’il s’agissait d’enquêter sur les allégations de corruption visant ses proches.

Si derrière la mobilisation en faveur d’Ousmane Sonko s’est agrégée une somme de frustrations, notamment dues aux restrictions imposées pour juguler la pandémie de Covid-19 qui ont sévèrement affecté l’économie, l’espace politique sénégalais est aujourd’hui en ruine. Macky Sall s’est débarrassé de ses principaux rivaux par la cooptation ou par des procédures engagées par l’Etat, et le flou entretenu sur sa volonté de briguer un éventuel troisième mandat inquiète pour la stabilité du pays.

 

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Sur le campus de l’université Cheikh-Anta-Diop, les débats sont vifs entre partisans des deux camps. « Macky Sall élimine tous ses concurrents un à un. On se croirait dans Game of Thrones. Dès qu’un nouveau héros apparaît, il est tué à l’épisode suivant », dit avec humour un étudiant en droit. « Nous ne pouvons accepter que des gens manipulent la jeunesse pour déstabiliser le pays », rétorque l’un de ses camarades en management de l’énergie.

Non loin de là, dans le quartier populaire de Médina, Ismaïla Diallo est, lui, animé par un chagrin sans larmes. Sur le toit de son immeuble, où se dessine la forêt de béton qu’est devenu Dakar, ce jeune chauffeur de poids lourds se remémore son ami d’enfance, Alhassane Barry. « Il avait 18 ans et rêvait de devenir footballeur pour sortir sa mère de la galère. Il soutenait sa famille depuis la mort de son père. » Et de poursuivre : « Il n’était pas allé manifester. Il était dans le quartier, mais quand la police a poursuivi les manifestants dans les ruelles, il a été touché par une balle. » Ce que confirme le certificat d’inhumation. Fataliste, la famille du défunt estime que « la mort l’attendait là. Nous avons pensé déposer plainte, mais sans moyens, comment poursuivre l’Etat ? Le plus dérangeant, c’est que, dans un pays soi-disant démocratique, la police tire sur ses enfants ».

 

 

Cyril Bensimon

(Dakar)

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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