« Rien ne va plus dans le pays/J’ai vu des scènes de guerre/On a déjà compté trop de morts », lance le rappeur Didier Awadi du groupe Positive Black Soul (PBS) dans son nouveau titre « Bayil Mu Sedd » (« Laisse tomber » en wolof). Le morceau, qui s’adresse directement au président Macky Sall, est sorti le 7 mars, quelques jours après les événements les plus violents qu’a connu le Sénégal depuis une décennie. Des manifestations qui ont fait au moins dix morts selon les autorités, onze selon le mouvement d’opposition.
Ces émeutes ont éclaté après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko. Accusé de viol et menaces de mort par une employée d’un salon de beauté, le leader des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) avait été interpellé pour « troubles à l’ordre public » alors qu’il se rendait au tribunal. Il a depuis été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Une procédure qui s’apparente, selon l’opposant, à un complot du pouvoir pour l’écarter du jeu politique.
Soucieux de calmer la situation, le président Macky Sall s’est adressé lundi 8 mars aux Sénégalais dans un discours à la nation. Il a appelé à l’apaisement et a présenté ses condoléances aux familles des victimes. Une journée de deuil national a été décrétée jeudi 11 mars.
« Des libertés, du travail, la santé… »
Mais « la rue demande aussi du travail, la santé, la possibilité de se divertir, des libertés, une véritable démocratie, une justice libre et indépendante », liste Didier Awadi. Il s’est rendu lundi 8 mars sur la place de l’Obélisque avec sa fille et ses neveux pour « défendre la démocratie ». Cette « soudaineté de la violence et le cortège tragique de morts nous ont mis une claque », confesse le pionnier du rap sénégalais.
Le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), créé après l’arrestation d’Ousmane Sonko, a appelé à des nouvelles manifestations ce samedi à Dakar et dans le pays de manière « pacifique » pour la libération des prisonniers. Une mobilisation abondamment relayée par les artistes.
Parmi eux, Dip Doundou Guiss, star du rap, très populaire auprès des jeunes Sénégalais, est l’un des plus engagés. Au moment de la crise migratoire de l’automne 2020, quand des centaines de migrants mouraient au large des côtes sénégalaises, le chanteur s’était fait remarquer en diffusant Deuil national, un message d’espoir pour dissuader les jeunes de partir clandestinement vers l’Europe.
Le titre de son dernier morceau, Free Sénégal, reprend un mot-clé employé par les contestataires sur les réseaux sociaux. On y entend des pleurs de femme sur fond de saxophone. Dans le clip, s’y superposent des images de forces de l’ordre qui tirent des gaz lacrymogènes. « La place des jeunes n’est pas à la prison, mais plutôt à l’école. (…) Tous les diplômes en main, mais impossible de trouver un job », martèle le chanteur en wolof. Le titre a déjà été vu plus de 900 000 fois et il est numéro 1 des tendances au Sénégal sur YouTube.
D’autres rappeurs ont aussi écrit et composé des chansons pour « libérer le Sénégal », comme One Lyrical ou Akbess. Le jeune artiste Hakill, de son vrai nom Ibrahima Khalil Ndiaye, a sorti plus tôt que prévu l’un des titres de son futur album. Après avoir lui-même manifesté à Dakar, il a tourné son clip dans les rues jonchées de pierres et barrées par des pneus brûlés. Une chanson qui parle des injustices et de la mauvaise gouvernance. « Les événements actuels ont un lien avec la politique mais, si on creuse, le sens de ce mouvement populaire c’est le ras le bol généralisé et les difficultés de la vie », décrit l’artiste, qui estime que le rap a un rôle de « sentinelle sociale ».
Emblème de cet engagement : le mouvement Y’en a marre, fondé par des rappeurs en 2011 pour lutter contre les coupures d’électricité et contre le troisième mandat de l’ancien président Abdoulaye Wade, avant d’élargir le combat. Membre du M2D, Y’en a marre a vu dix-sept de ses membres actifs arrêtés lors des dernières manifestations. « Nous avons tellement fait de chansons, nous sommes heureux de voir la nouvelle génération se mobiliser », assure Thiat, rappeur et membre fondateur de Y’en a marre arrêté le 5 mars puis relâché trois jours plus tard.
Théa Ollivier
(Dakar, correspondance)
Source : Le Monde
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