France – Études postcoloniales : que se joue-t-il vraiment dans les universités ?

Dénoncées par certaines personnalités intellectuelles comme une révision militante de l'histoire coloniale, elles auraient envahi l'enseignement supérieur et la recherche en France.

Dans son allocution à l’Assemblée nationale, annonçant sa détermination à lutter contre l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités françaises, Frédérique Vidal a indiqué souhaiter le lancement d’une enquête sur l’ensemble des recherches menées dans le pays, notamment celles concernant le postcolonialisme. Une nouvelle marque de suspicion envers les études postcoloniales, courant universitaire très critiqué mais encore méconnu du grand public.

Apparues en France au début des années 2000, importées des universités anglo-saxonnes, les études postcoloniales sont nées dans le champ littéraire avec pour texte fondateur L’orientalisme d’Edward Said, universitaire américain d’origine palestinienne. Publié en 1978, ce texte étudie comment la vision occidentale d’un Moyen-Orient fantasmé et stéréotypé a pu impacter la colonisation dans cette région et l’ampleur de l’impérialisme culturel qui y fut instauré.

À l’origine théorie littéraire d’analyse et de déconstruction des discours, les études postcoloniales ont peu à peu gagné les autres disciplines, notamment l’histoire, permettant de s’émanciper des récits officiels et d’étudier différemment les conséquences de la colonisation sur les civilisations colonisatrices et les civilisations colonisées.

 

 

«Les études postcoloniales ont amené certains historiens à s’interroger sur ce qui avait trait aux systèmes d’oppression et aux mécanismes de domination, et à appréhender la colonisation autrement que selon la seule narration coloniale, en portant attention à la déconstruction des discours et des représentations», explique Hélène Blais, professeure d’histoire contemporaine à l’École normale supérieure, pour qui il est impératif d’enseigner et de relire l’histoire coloniale à la lumière de nouveaux outils.

«Tous les mouvements historiographiques sont à prendre en compte. Lorsque je fais cours, je souligne les apports, comme les limites, d’un certain nombre d’ouvrages majeurs pour penser le rapport à l’autre, les dominations, les rapports de force. Les études postcoloniales permettent d’explorer le fait colonial en multipliant les points de vue possibles. Elles aident à aborder la colonisation sous des angles différents, y compris ceux que les discours classiques tendent à minimiser, voire à occulter. S’il y a parfois des exagérations, il est plus intéressant d’apprendre à les repérer que de les dénoncer en bloc. On ne peut pas enseigner la colonisation sans évoquer les violences, les troubles, les ombres.»

 

«Un ennemi fantasmé»

 

C’est pourtant l’exploration de ces zones d’ombres que refusent certains intellectuels et universitaires dans de nombreuses tribunes, entre rejet des thèses du racisme systémique et dénonciation de dérives communautaristes, voire de racisme anti-blanc. Selon ces critiques politiques, les postcolonial studies et leurs adeptes régneraient en maîtres au sein des universités françaises où une véritable guerre des tranchées aurait lieu entre les pro et les anti-études postcoloniales. Certaines institutions comme Paris 8, Lyon 2, Toulouse 2 ou encore le CNRS et Sciences Po seraient «tombées», tandis que d’autres tentent tant bien que mal de résister face à l’envahisseur.

«Il est assez effarant de voir à quel point chaque prise de position sur le fait colonial, notamment dans son enseignement historique à l’université, correspond à la construction d’un ennemi fantasmé. Les gens ont peur et n’arrivent plus à penser. Alors ils s’en prennent à l’université car c’est un lieu de débat, constate Hélène Blais, coautrice de «Territoires impériaux – Une histoire spatiale du fait colonial» et autrice de Mirages de la carte – L’invention de l’Algérie coloniale. En histoire, il n’y a quasiment pas d’écho des études postcoloniales, elles ne sont pas enseignées, il n’y a pas de postes ou de chaires dédiées, et très peu savent réellement ce que c’est. On n’enseigne pas le décolonial, contrairement à ce qui est dit dans certaines tribunes. Si on enseigne la décolonisation, c’est déjà un grand pas en avant. Les programmes du secondaire sont très en retrait sur ces sujets-là, au grand dam de nombreux étudiants qui sont demandeurs.»

«Ce ne sont pas les militants qui décident des programmes universitaires.»

Hélène Blais, professeure d’histoire contemporaine à l’École normale supérieure

 

Sur l’ensemble des universités des dix plus grandes villes de France, vingt-quatre licences d’histoire sont à suivre. Ces formations proposent des centaines de cours et TD différents et sur l’ensemble du catalogue, seuls cinq cours semblent correspondre à une approche postcolonialiste du fait colonial. Parmi eux, un cours sur l’orientalisme à Paris 1, un autre sur la race en tant que concept influent, dispensé à Paris 8, ou encore une UE (unité d’enseignement) sur les structures de domination des empires coloniaux européens à Aix-Marseille Université.

 

 

 

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Audrey Renault

 

 

 

 

 

Source : Slate

 

 

 

 

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