Mauritanie : l’opposition ne semble pas tirer des leçons de 43 années de dictature militaire

La déclaration cette semaine du ministre de l’intérieur que la Mauritanie n’est pas dans une phase de crise pour initier un dialogue politique ressemble fort à un condensé de la gouvernance confuse et autoritaire du régime de Ould Ghazouani.  C’est un Niet à l’opposition mauritanienne qui réclame un dialogue inclusif pour résoudre les principales questions d’intérêt national.

A ceux qui, une année après l’arrivée au pouvoir de Ould Ghazouani, s’interrogeraient sur la nature du nouveau régime, le pavé dans la mare cette semaine du ministre de l’intérieur donne quelques éléments de réponse.

Entre des promesses électorales à travers un agenda qui se veut ouvert aux acteurs politiques, l’omniprésence d’un gouvernement technocratique dans les médias, la restriction des libertés démocratiques, la construction d’un état de droit et la consolidation de l’unité nationale et de la cohésion sociale, le président mauritanien a dévoilé son vrai visage qui va façonner son quinquennat.

Une gouvernance confuse et autoritaire à l’image des régimes précédents sauf au niveau du climat politique plus serein. L’histoire retiendra que le premier régime civil mauritanien sous Mokhtar Ould Daddah a pris fin avec le premier coup d’Etat militaire en 78. Et depuis la Mauritanie est ballotée au rythme des coups d’Etat dont celui de Ould Taya en 84 avec l’instauration en 91 du multipartisme.

C’est la période la plus noire depuis les indépendances sur fond de répression et d’emprisonnements d’opposants toutes tendances confondues. Ce mode de gouvernance militaire sous vernis démocratique laisse apparaître une opposition mauritanienne timide contre les exactions commises par l’armée contre les noirs jusqu’au coup d’état de Ould Aziz en 2008 qui renversa la première démocratie civile depuis 43 ans. Pour la première fois de son histoire l’opposition cautionne l’élection d’un putschiste dans le cadre des accords de Dakar.

C’est le point de  départ d’une rupture entre un président élu qui fait de l’opposition sa principale cible en tournant le dos au dialogue politique un des points importants des accords pour mettre en route un agenda caché qui s’est révélé payant pour la révision constitutionnelle qui lui a permis un deuxième mandat pour poursuivre la répression contre les militants anti-esclavagistes de l’IRA et les organisations des droits de l’homme. Il s’est même attaqué aux journalistes syndicalistes et hommes d’affaires pour écorner l’image de l’opposition désormais sous la houlette du FNDU qui regroupe plus d’une dizaine de partis dont les trois principaux RFD UFD et Tawassoul le parti islamiste devenu la première force qui à son tour va cavaler seul avant de faire capoter l’union en se rapprochant vers un candidat indépendant pour la présidentielle de 2019. Ce visage moins luisant de l’opposition ne fera pas beaucoup d’étincelles même avec l’autre face du puzzle qui se réclame contre le système en affichant une coalition Vivre-Ensemble et une IRA en quête de convergences de lutte dont les résultats aux élections présidentielles ne sont pas négligeables.

L’arrivée au pouvoir de Ould Ghazouani digne héritier de Ould Aziz n’est pas une surprise pour les observateurs qui pointent une alternance militaire savamment dictée par une oligarchie militaire qui ne va pas lâcher de sitôt le pouvoir en Mauritanie.

En face une opposition naïve et divisée et où les différents partis traversent une mutation avec les différentes dissidences difficilement contrôlables par les instances dirigeantes où le renouvellement et le rajeunissement des équipes sont toujours des casses têtes pour les chefs de partis. La première leçon qui n’a été tirée par l’opposition depuis les accords de Dakar c’est sa confiance aveugle à l’alternance militaire qui s’est confirmée avec Ould Ghazouani.

La seconde sa naïveté aux principes du dialogue politique qui obéissent qu’on le veuille ou non à un rapport de force. Le rappel du ministre de l’intérieur que la Mauritanie n’est pas dans une phase de crise est significatif à cet égard. Le dialogue c’est le gouvernement qui l’initie et non le contraire avec une manipulation d’ouverture du président qui met en place un calendrier de consultations avec les acteurs politiques donc élargies aux autres partis qui ne sont pas de l’opposition.

La troisième est relative aux défiances au système et non aux régimes qui font perdurer le système politique qui fait aujourd’hui de la Mauritanie un pays à plusieurs vitesses. L’opposition n’a pas su saisir les exactions du passé contre la composante nationale de la vallée sous le régime de Ould Taya pour mettre la pression sur les régimes suivants pour résoudre la difficile équation de la cohabitation écornée depuis 1960.

La véritable crise réside dans l’absence de réconciliation nationale contrairement à ce qu’affirme le gouvernement. C’est un cheval de bataille qui peut faire bouger les lignes à condition qu’un vent debout se lève soutenu par l’opposition pour exiger l’abrogation de la loi 93 protégeant les criminels du régime de Ould Taya qui ont assassiné les 28 soldats noirs à Inal en 91 dont les veuves et orphelins attendent toujours les corps pour des sépulture dignes des martyrs et enfin le règlement du passif humanitaire consécutif à la déportation de plus de 60000 noirs au Sénégal et au Mali en 89. Plus de 15000 réfugiés attendent toujours dans ces deux pays vivant dans des conditions difficiles et enfin la fin de l’esclavage en appliquant les lois.

 

 

 

 

 

 

Cherif Kane

Coordinateur journaliste

 

 

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 19 février 2021)

 

 

 

 

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