
Rompant avec son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz, le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani s’impose depuis moins de deux ans comme un acteur central sur la scène diplomatique régionale. Allié stratégique de Riyad et Abou Dhabi au Sahel, il pourrait, dans les prochains mois, normaliser sa relation avec Doha.
Le 15 février, le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani s’envolera pour N’Djamena, où il participera au Sommet du G5 Sahel. Celui-ci marquera la fin de la présidence mauritanienne de l’alliance sahélienne et le passage de relais au chef de l’Etat tchadien, Idriss Déby. Un événement hautement symbolique pour le président mauritanien qui aura largement usé de son siège à la tête de l’alliance pour s’imposer sur la scène régionale et esquisser les contours de son ambition diplomatique.
Tour de contrôle sahélienne
La Mauritanie, qui accueille depuis 2017 le siège du secrétariat permanent du G5 Sahel, a successivement organisé en moins de six mois deux sommets de l’alliance panafricaine, dont le dernier s’est tenu le 30 juin en présence d’Emmanuel Macron. Le volontarisme affiché de Ghazouani dans les affaires sahéliennes a particulièrement rapproché Paris de Nouakchott et ce, malgré quelques tensions sur le dossier Arise Mauritanie, le consortium français chargé de construire et d’exploiter le nouveau terminal du Port autonome de Nouakchott (PAN).
Symbole de cette nouvelle entente, le président mauritanien était l’un des rares invités d’honneur du président français au One Planet Summit qui s’est tenu le 11 janvier à Paris. En marge de l’événement, Ghazouani a été longuement reçu par Emmanuel Macron. Les deux hommes ont notamment évoqué la situation au Sahel et l’avenir de l’engagement français dans la région. Le modèle de la Mauritanie, rare pays sahélien à ne pas avoir connu d’attaques djihadistes sur son sol depuis plus de dix ans, donne une certaine légitimité aux actions et opinions de Ghazouani sur ce dossier. Le président a également accueilli il y a un an l’exercice militaire américain Flintlock.
Médiation au Mali voisin
Fort de cette aura, Ghazouani a tenté de jouer les médiateurs au plus fort de la crise politique malienne cet été. Alors que les manifestations du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) ne cessaient de prendre de l’ampleur dans les rues de la capitale malienne, Ghazouani avait téléphoné à deux reprises à l’ex-président malien Ibrahim Boubacar Keïta pour l’appeler à faire des gestes d’ouverture.
L’ancien chef d’état-major de l’armée mauritanienne s’était également entretenu avec plusieurs autorités religieuses maliennes, à l’instar de l’imam Mahmoud Dicko, figure de proue de la contestation, ainsi qu’avec le chérif de Nioro, Mouhamedou Ould Cheikh Hamahoullah. Autorité spirituelle très influente sur la scène politique malienne, le chérif de Nioro, lié par son père à la Mauritanie, garde des liens étroits avec Nouakchott. Pour gérer sa relation avec le Mali voisin, Ghazouani s’appuie largement sur son directeur de cabinet – et cousin – Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine. Ministre de l’intérieur sous Ely Ould Mohamed Vall, ce dernier est un familier du microcosme bamakois pour avoir été ambassadeur de Mauritanie au Mali.
Au lendemain du coup d’Etat du 18 août, le président mauritanien avait dépêché dans la capitale malienne son ministre des affaires étrangères, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed. Ancien haut fonctionnaire international onusien, à la tête de la mission de l’ONU au Yémen jusqu’en 2018, Ismail Ould Cheikh Ahmed est particulièrement apprécié des capitales occidentales.
Rapprochement avec le voisin sénégalais
Alors que la relation, historiquement mouvementée, entre Nouakchott et Dakar avait connu des turbulences sévères sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz, Ghazouani avait, dès les premières semaines de son mandat, tenté de resserrer ses liens avec le voisin sénégalais. Trois mois après son investiture, il avait ainsi participé au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, prélude à une visite d’Etat de Macky Sall en Mauritanie en février 2020.
La nouvelle entente entre les deux capitales a été précipitée par la négociation des différents accords sur le développement du gisement géant de Grand Tortue Ahmeyim, à cheval sur les eaux mauritaniennes et sénégalaises, que doit exploiter le britannique BP et son partenaire Kosmos Energy. Malgré les frictions et les heurts, multiples, les deux pays sont parvenus à négocier des accords de partage de production et de financement du développement du champ.
Parmi les artisans du rapprochement avec Dakar figure, outre Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, l’influent conseiller sécurité de Ghazouani Ahmed Ould Bah alias « Hmeida ». Déjà présent sous la mandature d’Aziz, ce dernier est un interlocuteur régulier des capitales voisines, et particulièrement de Dakar où il possède ses entrées.
Tournées des investitures en Afrique de l’Ouest
Symbole de l’activisme tous azimuts du président mauritanien sur la scène régionale, Ghazouani s’est successivement rendu aux investitures d’Alassane Ouattara, Alpha Condé ou encore Roch Marc Christian Kaboré au mois de décembre, ce alors même que la Mauritanie n’est pas membre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Quelques semaines plus tôt, il s’était déjà rendu à Bissau pour participer à l’invitation d’Umaro Sissoco Embaló à la fête nationale du pays. Symbole du rapprochement : fin décembre, l’armée mauritanienne a fait un don d’une quinzaine de véhicules à la garde présidentielle bissau-guinéenne chargée de la protection rapprochée d’Embaló. Ghazouani devrait par ailleurs prochainement se rendre au Niger à l’invitation du président Mahamadou Issoufou.
Equilibrisme entre Alger et Rabat
Sur l’épineux dossier du Sahara occidental, Ghazouani s’est également employé à maintenir la neutralité mauritanienne, même si de très discrets contacts entre les services mauritaniens et marocains à l’automne avaient alimenté la paranoïa d’Alger. Pour gérer la relation avec Rabat et Alger, c’est davantage sur les militaires que s’appuie le président mauritanien, à l’instar de son ministre de la défense Hanena Ould Sidi et de son fidèle chef d’état-major des armées nommé en juin, Mohamed Ould Meguett.
Arrivé au pouvoir quelques mois après Ghazouani, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a par ailleurs fait de la consolidation avec Nouakchott une priorité au moment où Alger entend revenir dans le jeu sahélien. L’Agence algérienne de coopération internationale, dirigée par le colonel Mohamed Chafik Mesbah, a ainsi ciblé la Mauritanie comme pays prioritaire (les deux Etats partagent 460 km de frontières). Depuis juin 2020, se sont succédé à Nouakchott les ministres algériens des affaires étrangères, des finances, du commerce et de la santé. Le 6 janvier 2021, le chef d’état-major mauritanien était également à Alger, où il a signé plusieurs accords de coopération (l’Académie militaire de Cherchell va notamment ouvrir ses portes aux cadets mauritaniens).
Normalisation en vue avec Doha ?
Si la relation de Nouakchott avec Riyad s’est quelque peu distendue ces derniers mois, le président mauritanien est néanmoins parvenu à consolider les précieuses de lignes de crédits émiratis, principal bailleur international du pays avec l’Arabie saoudite. La normalisation avec Doha pourrait par ailleurs intervenir dans les prochains mois. Le retour à Nouakchott de l’homme d’affaires mauritanien Moustapha Ould Limam Chafi – particulièrement écouté sur l’Afrique par l’émir Tamim ben Hamad al-Thani – pourrait ainsi donner un coup d’accélérateur à la reprise de relations diplomatiques entre Doha et Nouakchott, rompues depuis l’été 2017 à l’initiative d’Aziz. Au lendemain de l’élection de Ghazouani, la diplomatie qatarie avait déjà discrètement tenté de renouer avec la Mauritanie (Africa Intelligence du 09/10/19). La récente normalisation entre Doha et Abou Dhabi pourrait également faciliter le retour du Qatar dans le pays.
Enfin, un éventuel rapprochement de la Mauritanie avec Israël fait l’objet de nombreuses spéculations. Mais aucune preuve tangible ne permet à ce jour de faire état d’éventuels contacts avec la diplomatie israélienne, lancée dans un lobbying actif auprès des Etats africains. La Mauritanie, qui a longtemps cultivé une certaine proximité avec l’Etat hébreu, est néanmoins une cible de choix : Nouakchott a accueilli jusqu’en 2009 une ambassade israélienne.
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Source : Africa Intellligence
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