Covid-19 : l’Iran interdit l’importation de vaccins occidentaux

La décision du Guide suprême Ali Khamenei suscite la colère des médecins et de la population iranienne.

En Iran, la « résistance » à l’impérialisme s’étend à la lutte contre l’épidémie liée au Covid-19. « Il est interdit d’importer les vaccins fabriqués aux Etats-Unis et au Royaume-Uni », a ordonné, le 8 janvier, le guide suprême iranien, Ali Khamenei. « Si les Américains avaient réussi à produire un vaccin [efficace], cette catastrophe liée au coronavirus n’aurait pas eu lieu dans leur pays où 4 000 personnes sont mortes en une journée, a-t-il déclaré lors d’un discours retransmis en direct à la télévision iranienne, faisant allusion au bilan de la veille aux Etats-Unis. De toute manière, nous n’avons pas confiance [en eux] et de plus, parfois, ces vaccins sont utilisés pour contaminer les peuples. » Ces déclarations, ensuite reprises sur le fil Twitter du Guide, ont été supprimées par ce réseau social, qui a estimé que le Tweet enfreint ses règles.

 

Sur les réseaux sociaux, les Iraniens ont été nombreux à témoigner leur mécontentement, en dépit des risques qu’ils encourent

Ali Khamenei a ainsi mis un trait sur l’importation en Iran des vaccins Pfizer-BioNTech, Moderna et AstraZeneca-Oxford, lancés ou sur le point de l’être en Europe et aux Etats-Unis. Cela alors que l’Iran reste le pays le plus touché par l’épidémie au Moyen-Orient, avec 56 457 victimes au 13 janvier, selon les statistiques officielles, certainement sous-évaluées.

 

 

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Peu après cette annonce, les autorités iraniennes se sont empressées d’afficher leur soutien à la nouvelle consigne. Le Croissant-Rouge iranien a annoncé, le même jour, que l’envoi en Iran de 150 000 doses du vaccin américain Pfizer-BioNTech – un don des Iraniens vivant aux Etats-Unis – était annulé. Des politiciens conservateurs ont évoqué « la guerre biologique » que les Occidentaux entendent mener contre les Iraniens avec leurs vaccins ; d’autres ont applaudi le Guide suprême, en évoquant la puce électronique introduite dans ces produits fabriqués en Occident pour pouvoir tracer les Iraniens. D’autres encore ont agité la menace d’une « modification des gênes iraniens » après l’inoculation des vaccins occidentaux.

 

Accord avec La Havane

 

Le champ d’action de l’Iran en matière d’achat de vaccins ne fait que se rétrécir. Les partenariats qu’il noue se conforment à sa ligne anti-impérialiste. Un accord a ainsi été signé avec La Havane, le 8 janvier, pour effectuer en Iran la troisième phase des essais cliniques du vaccin cubain Soberana 02. Le nombre de malades du Covid-19 en Iran offre un plus grand échantillon pour les essais qu’à Cuba, qui reste relativement épargnée par l’épidémie. Selon un rapport du Centre iranien des recherches stratégiques de la présidence, l’Iran est actuellement en négociations avec la Chine dans le but d’importer son vaccin Sinovac, ainsi qu’avec la Russie, pour la production en Iran de son vaccin Spoutnik V.

 

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Téhéran mise également sur la production du vaccin iranien pour lutter contre le Covid-19. Une option que le Guide suprême a vivement soutenue et encouragée lors de son discours du 8 janvier. La première phase des essais cliniques du vaccin a débuté fin décembre 2020. Le chemin reste long avant que Téhéran puisse terminer ses trois phases d’essais cliniques et commencer à produire en masse son vaccin. « Il faut à l’Iran au moins entre six et sept mois pour avoir un vaccin, explique le médecin iranien Saman (un pseudonyme), au téléphone depuis Téhéran. Sa capacité de production pour un vaccin est très limitée ; elle n’est guère suffisante pour fournir deux doses à une population de 81 millions d’habitants. »

Le docteur Saman, dont certains collègues ont déjà contracté le Covid-19 à deux reprises, se désole du niveau d’incompréhension – teintée de théorie du complot – des dirigeants iraniens, qui « semblent ne rien connaître à la virologie ». « La situation est désespérante. Le matin, tu te lèves en te rendant compte que les autres pays ont déjà commencé leur campagne de vaccination et tu as aussi l’espoir que cela se fasse chez toi, lâche-t-il. Et, non. C’est interdit ! Je me sens aujourd’hui comme un orphelin qui regarde dehors à la recherche d’un sauveur alors qu’à l’intérieur personne ne se soucie de lui. » Une autre médecin travaillant dans le nord du pays, que Le Monde a contactée, se dit « choquée et très en colère » après l’annonce du Guide suprême. « Pourquoi cette interdiction ? Pourquoi créer une nouvelle exception iranienne ? Le monde entier est en train d’utiliser ces vaccins. Pourquoi ne faites-vous pas comme les autres ? Jusqu’où ce délire va-t-il continuer ? »

 

« Sujets égarés et ignorants »

 

La colère des Iraniens est d’autant plus prononcée que ces derniers mois, leurs dirigeants n’ont eu de cesse de dénoncer l’embargo américain contre l’Iran comme le vrai obstacle à l’achat des vaccins contre le Covid-19. « Or, désormais, écrit au Monde depuis Téhéran un étudiant de 23 ans, la situation est claire : notre problème n’est pas seulement les difficultés du paiement à cause des sanctions américaines. Ici, il existe une personne qui a souhaité bannir ces vaccins. »

Sur les réseaux sociaux également, les Iraniens ont été nombreux à témoigner leur mécontentement, en dépit des risques qu’ils encourent. « Il n’y a pas de surprise : la vraie définition du velayat [la doctrine du velayat-e faqih, “gouvernement du docte”, qui constitue la base du système politique en République islamique d’Iran, confère aux religieux la primauté sur le pouvoir politique], appliquer l’esclavage à ses sujets égarés et ignorants », a ainsi tweeté l’ancienne prisonnière politique et militante Bahareh Hedayat, qui vit toujours en Iran.

 

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Des Iraniens ont rappelé que le chercheur turco-allemand Ugur Sahin, de la société BioNTech – qui s’est associée à l’américain Pfizer pour la production en masse du vaccin désormais banni en Iran –, a été primé en 2019 au Festival iranien de Mostafa, qui récompense les meilleurs scientifiques musulmans. Lors de la remise du prix était également présent le médecin personnel du Guide suprême, Alireza Marandi.

La seule objection officielle à la nouvelle consigne donnée par le Guide suprême, bien qu’implicite, est venue du Conseil médical d’Iran. Dans une lettre ouverte datée du 10 janvier, cet ordre des professionnels de santé a exhorté le président Hassan Rohani à utiliser tous les moyens en sa possession pour acquérir des vaccins, « en ne prenant en considération que les questions scientifiques et les intérêts nationaux, et en mettant de côté les questions politiques ». Or, il est très peu probable que le président Rohani ou tout autre dirigeant ose aller à l’encontre de souhaits du Guide suprême et brave cet interdit.

Ghazal Golshiri

Source : Le Monde

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