S’adapter ou s’en aller

Certaines familles immigrées sont heurtées en permanence par les libertés. Pour mettre fin à cette désolation, le mieux est de faire l’effort de s’adapter ou alors de repartir au pays afin d’être en accord avec leurs convictions et leurs certitudes.

Un père maghrébin, vivant et travaillant en France, a été outré par ce que l’école publique française enseignait à son fils. Après un cours sur le concept de la laïcité, son histoire, sa signification, son importance et ses spécificités, il s’est rendu au collège où son fils suit les cours et a demandé, sur un ton virulent, à parler avec le prof d’histoire.

Une démarche qui en dit long sur le choc culturel que certaines familles immigrées en France vivent, souvent en silence. Mais ce père a voulu changer les choses. Il refuse que son fils reçoive une éducation qui hérisse la conception que cet homme a de la culture et de la religion. Il pense que l’école française est en train de lui «voler» son enfant, de le détourner d’une vision du monde qu’il pense correspondre mieux à la vérité, à la science et à l’intelligence du monde.

Ce qu’il voulait, c’était tout simplement que certains cours soient supprimés. Il devait penser que la notion de laïcité est dangereuse et qu’elle allait semer le doute dans l’esprit de son fils, qui reçoit en principe, par ailleurs, une éducation musulmane à la maison.

La laïcité, séparation de la religion et de l’Etat, n’est pas une lutte contre la foi et la croyance. C’est après de longues luttes, que le peuple français a réussi à faire voter une loi en 1905 instaurant la laïcité, notamment dans les écoles et dans l’espace public. Ce qui n’a pas empêché les catholiques et les juifs d’avoir leur école dite «libre».

Mais cet esprit est une exception française. Aucun pays d’Europe n’a une telle loi dans son arsenal juridique. En même temps, la politique de la France a tenu à faire de la religion un domaine strictement privé, ne devant en aucun cas intervenir dans le secteur public, comme l’éducation, l’administration, les hôpitaux etc.

Aucun pays du Maghreb n’est laïc. L’islam régit la morale et porte certaines lois comme celles concernant le mariage, l’héritage et la liberté de conscience. On vient au monde musulman et on meurt musulman. Personne n’a d’autre choix. C’est ainsi. On ne peut pas déclarer publiquement son rejet de la religion pour des raisons de convictions personnelles. Cela n’est admis dans aucun pays arabe. En Egypte ou en Arabie Saoudite, l’apostat est lourdement puni, allant jusqu’à la condamnation à mort. Heureusement, le Maroc n’applique pas cette sévérité, qui est en fait le sommet de l’intolérance.

Le père maghrébin de l’élève en question, ne peut pas comprendre qu’on enseigne à son fils la théorie de Darwin, ou la liberté de croire ou de ne pas croire. L’émergence de l’individu, en tant qu’entité unique et singulière, date de la révolution de 1789. La reconnaissance de l’individu est la base de la charte des Droits de l’Homme.

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Etre musulman, c’est appartenir à la communauté, c’est en faire partie, qu’on le veuille ou non. Vouloir sortir de «dar al islam» c’est trahir les siens. Là, l’homme et l’Etat se substituent à Dieu et agissent en son nom pour surveiller et punir.

Les pays d’immigration devraient, à l’arrivée des familles voulant travailler et vivre hors de leur pays, recevoir un enseignement qui leur explique dans quel cadre elles se trouvent, quelles sont les lois, les droits et les devoirs du pays d’accueil. Ce travail pédagogique n’a jamais été fait en France. Seule la Suède a eu une politique d’accueil qui impose l’enseignement de la langue du pays et précise à l’immigré le cadre de la vie qui l’attend. Avec l’émergence de revendications islamiques de certaines catégories d’immigrés, cette politique a été entravée. La notion de séparation du religieux et du politique, de la sphère privée et de la sphère publique, n’a apparemment pas été admise par nombre de musulmans en Europe. En fait, le mode de vie européen n’est pas le modèle que veulent des immigrés pour leurs enfants, notamment en ce qui concerne la condition des femmes.

Beaucoup de drames ont eu lieu dans des familles où des filles ont cru pouvoir se libérer et vivre en tant qu’individus libres de tout entrave. En Corse, un père musulman a tué sa fille qui voulait se marier avec un chrétien. Un frère a enfermé sa sœur parce qu’elle aspirait à la liberté. Des souffrances, des incompréhensions, des préjugés, et même du racisme, sont à l’origine de ces comportements qui s’opposent violemment au mode de vie des Européens, et en particulier des Européennes.

Tout cela explique la démarche du père qui refuse que son fils soit «contaminé» par une culture qui reconnaît l’individu, sa liberté, ses droits. Le cours sur la laïcité est une voie royale pour ouvrir les essais, romans et nouvelles de Voltaire, Diderot, de Dante ou encore de Lévi-Strauss, qui a écrit des pages très critiques sur l’islam. On n’en est pas là, mais, dans l’esprit du père, son fils risque de lui échapper et de rejoindre une modernité non voulue par l’islam tel qu’il le conçoit et les traditions du Maghreb.

La démarche de ce père immigré, a eu lieu dans le contexte dramatique d’un prof d’histoire, Samuel Paty, sauvagement décapité par un fanatique, venu punir cet homme, qui avait osé parler de la liberté d’expression à propos de caricatures du prophète.

Cette situation est non seulement intolérable, mais devrait faire réfléchir certaines familles immigrées, qui se sentent heurtées en permanence par les libertés vécues par les citoyens de ce pays. Pour mettre fin à cette désolation, le mieux est de faire l’effort de s’adapter, ou alors de repartir au pays, afin d’être en accord avec leurs convictions et leurs certitudes. Quant à la République, elle refuse de «perdre ses territoires», autrement dit, de céder aux pressions et chantage de ceux qui rejettent ses lois et sa philosophie.

 

 

Tahar Beb Jelloun

 

 

 

 

Source : Le 360.ma (Maroc)

 

 

 

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