Interview de Aldiouma Cissoko président du mouvement des Réfugiés mauritaniens au Sénégal

« Plus de 14000 réfugiés sont pris en otage par les autorités de Dakar et de Nouakchott et le HCR »

Aldiouma  Cissokho originaire de Djeol dans le  Gorgol est un ancien fonctionnaire du ministère mauritanien de la pêche et de l’économie maritime et déporté au Sénégal en 1989 durant  la politique d’épuration ethnique du régime de Ould Taya. Président du mouvement des réfugiés mauritaniens au Sénégal pour la défense des droits de l’homme et coordinateur des organisations de réfugiés mauritaniens au Sénégal il s’est livré à Kassataya pour faire le point de la situation et juger la situation politique en Mauritanie depuis l’élection de Ould Ghazouani.

 

 

Kassataya : quelle lecture faites-vous de la situation actuelle des réfugiés mauritaniens au Sénégal ?

Aldiouma Cissoko : les réfugies mauritaniens sont oublies dans la recherche de solutions durables. Nous constatons un pourrissement volontaire de la situation aussi bien de la part des autorités sénégalaises que du Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugies HCR. L’ex-président Ould Aziz nous avait enterré vivant en déclarant officiellement que le dossier des réfugies est clos car ceux qui sont encore là -bas sont des sénégalais ou des migrants venus à la recherche de travail.

 

« Problèmes d’identification, d’immatriculation et de délivrance de cartes d’identité de réfugiés… »

 

Le plus épineux et permanent problème rencontré au Sénégal est l’identification, l’immatriculation et la délivrance des cartes d’identité de réfugié et pire ces cartes sont source d’humiliation de torture et de moult problèmes malgré la lettre circulaire du 26 juin 2015 du ministre de l’intérieur à l’époque.

Actuellement les réfugiés mauritaniens sont devenus des apatrides car pour la grande majorité leurs cartes sont périmées et même parmi nous beaucoup n’ont pas ces cartes de réfugies miniaturisées à cause de ces éternels recommencements d’ opérations inachevées de recensement.

Les réfugiés mauritaniens sont pris en otage par ces deux autorités car nous ne pouvons depuis 5 ans voyager car ne possédant pas le titre de voyage communément appelé passeport des réfugies conformément aux provisions pertinentes de la convention internationale de 1951 portant sur les réfugies. Et de surcroît les services de HCR nous disent qu’ils ont fini tout le travail et maintenant il ne reste que l’aval des autorités sénégalaises et au niveau des services du pays d’asile c’est le black- out. Ainsi nous sommes dans l’impossibilité de nous déplacer même pour répondre à des sollicitations extérieures en matière de sensibilisation ou de rencontres ou conférences tout est fait pour nous faire taire nous faire oublier et nous sacrifier sous l’autel des relations du bon voisinage et des promesses de licences de pêche.

Apparemment ces autorités censées nous protéger et nous rassurer, ont complètement oublié les déclarations des précurseurs de la convention de l’Organisation de l’Unite Africaine ( OUA) de 1969 ou avec l’éminent  juge international sénégalais Keba Mbaye  qui disait que l’accueil des réfugies dans un pays d’accueil ne doit pas être considéré comme un geste hostile mais plutôt comme un geste humanitaire. Malheureusement la politique a pris le pas sur toutes ces considérations mettant à nu cette idée sacrée et cette philosophie sociale d’accueil des étrangers.

 

« 25 000 réfugiés sont rentrés officiellement en 2008… »

 

Au niveau des chiffres. 25000 réfugiés sont rentrés officiellement en 2008 au pays dans le cadre d’un accord tripartite entre le Sénégal, la Mauritanie et le HCR de 2007. Aujourd’hui nous sommes plus de 14 000 dont plus de 13 000 répartis dans 244 sites de Saint-Louis à Bakel. Le reste concerne les réfugiés urbains à Thiès à Mbour à Dakar et St-Louis

 

Kassataya : comment voyez-vous le retour des réfugiés en Mauritanie ?

 

Aldiouma Cissoko : il faut méditer  et se référer à la pensée pertinente de ce haut cadre du service juridique du Haut -Commissariat des Nations Unies pour  les  réfugiés qui disait  que cette opération idée retour  n’est pas un problème statistique ou de compter le nombre de femmes et  d’hommes et d’enfants et de personnes âgées et aussi ce n’est pas une cérémonie folklorique et pour réussir cette opération de retour il  faut impérativement éviter deux choses : que le réfugie qui décide de revenir volontairement dans son pays d’origine après les affres des condition d’exil puisse penser qu’il a pris une mauvaise décision tant les tracasseries et les tortures dont il est l’objet  sans compter les promesses non tenues  ne lui fassent regretter sa décision de revenir s’installer dans sa terre natale.

Et deuxièmement que ces conditions atroces s’empirent jusqu’à ce qu’il décide de revenir dans le pays d’exil car complètement déboussolé par la tournure des évènements. Ce qui est le cas de certains refugies mauritaniens partis dans le cadre de l’accord tripartite de 2007 qui actuellement ne sont plus mauritaniens et ni refugies car ayant perdu leur statut.

 

« La réconciliation nationale n’est pas possible sans le règlement du passif humanitaire et sans la lutte contre tous les extrémismes en Mauritanie … »

 

 

Kassataya : quel est votre regard sur l’élection de Ould Ghazouani ?

 

Aldiouma Cissoko :   je ne suis pas encore satisfait autant du nouveau président Ould Ghazouani qui devra prendre son courage à deux mains pour secouer fortement le cocotier en mettant fin à la recréation et autant il devra être aidé et accompagné dans cette mission de justice de réparation et de réconciliation nationale.

Voilà pourquoi les réfugiés mauritaniens ont beaucoup apprécié les démarches et activités patriotiques du président de l’IRA Biram Dah Abeid pour l’apaisement et l’ouverture. Ces petits pas doivent être poursuivis et élargis pour un consensus national.

La réconciliation nationale est bien possible même si cela doit coûter cher aux mauritaniens et demander des sacrifices énormes. Pour cela l’Etat mauritanien devra régler définitivement le passif humanitaire dont le dossier est clos par l’ancien président. Les nouvelles autorités de Nouakchott devront également combattre les extrémistes de tous bords arabo-berbère, négro-africains et haratines.

« On peut faire quitter l’homme du pays mais on ne peut pas faire quitter le pays du cœur de l’homme »

 

Kassataya : comment voyez-vous l’avenir de votre association au Sénégal ?

 

Aldiouma Cissoko :  si encore que la vie des organisations et associations ne reflète que la situation de ses membres nous tenons encore le coup par conviction et patriotisme et par désir de justice.

Actuellement les refugies ne vivent pas mais survivent tant les conditions sont précaires et l’environnement est délétère et hostile. Nos manifestations pacifiques de célébration des journées de souvenirs et de devoir comme le 9 avril considéré comme début des opérations de déportations des négro mauritaniens. Le 20 juin qui est la journée internationale des refugie sont systématiquement interdites au contraire des autres associations de victimes comme les rwandais.

Les exemples d’interdictions de nos rencontres aussi bien dans la vallée du fleuve Sénégal comme à Nabadji  Civol dans la zone d’Ogo madi Moussa  à Podor qu’à Dakar également devant les locaux du groupe de presse Walf Fadjiri du groupe de presse Sen TV le siège du Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés peuvent témoigner à juste titre de cet acharnement et harcèlement dont sont victimes les associations de réfugiés mauritaniens au Sénégal.

Comme les combattants de la liberté sud-africains nous pouvons dire qu’on peut faire quitter l’homme du pays mais on ne peut pas faire quitter le pays du coeur de l’homme.

 

 

Propos recueillis par Chérif Kane

journaliste à Rouen

 

 

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