
À la différence de Barack Obama, Kamala Harris a été choisie comme colistière de Joe Biden pour sa couleur de peau, et non malgré elle. D’origine jamaïcaine par son père et indienne par sa mère, la prochaine vice-présidente des États-Unis a tous les atouts en main pour devenir la première femme noire à occuper le Bureau ovale.
Ne nous y trompons pas : dans le tandem démocrate, le type de chef d’État que réclame le pays n’est pas Joe Biden mais Kamala Harris. La candidature de Kamala Harris à la vice-présidence constitue surtout un galop d’essai pour qu’elle devienne un jour la deuxième personne noire à occuper le Bureau ovale.
Les démocrates ont confié à Joe Biden la mission de réparer l’Amérique, et il a promis de restaurer la décence et la normalité dans la vie politique du pays. Généralement, le rôle des vice-présidents est symbolique mais, cette fois, ce que représente Kamala Harris est vraiment important : femme noire, elle incarne l’électorat le plus fiable du Parti démocrate, un électorat qui commence enfin à accéder au pouvoir et à obtenir ce qui lui est dû.
En lien avec Black Lives Matter
Kamala Harris a également parfaitement conscience de son lien avec le mouvement Black Lives Matter [“Les vies noires comptent”] et toutes les autres organisations citoyennes antiracistes qui, au cours des quatre derniers mois, ont réussi à pousser le pays vers l’égalité raciale avec un succès inégalé dans l’histoire de notre pays.
Kamala Harris n’est pas progressiste dans tous les domaines, mais lorsqu’elle égrène les noms des femmes et des hommes noirs tués par la police qui ont fait descendre des centaines de milliers de personnes dans la rue cette année, comme lors de son discours prononcé à la fin d’août contre la politique de Donald Trump, elle accepte de se charger de faire aboutir de toute urgence les revendications des Noirs. Ces revendications ont mis Kamala Harris sur le ticket démocrate. C’est à travers ses yeux, et non ceux de Biden, que les Américains se voient en 2020.
Le parcours édulcoré d’Obama
Il s’est passé beaucoup de choses en douze ans. En 2008, le candidat Barack Obama a conquis le pays en utilisant la couleur de sa peau, en l’édulcorant façon Disney, et en présentant le cocktail Kansas-Kenya-Hawaï dont il est issu comme un exemple radieux de cette diversité américaine censée transcender les consciences, rouges [couleur des républicains] ou bleues [couleur des démocrates].
Cela a donné le ton de sa présidence. En effet, la Maison-Blanche d’Obama avait beau défendre la justice raciale, elle a toujours semblé craindre d’effaroucher et de s’aliéner les Blancs qui avaient porté ce candidat au pouvoir. Obama a rarement parlé sans détour aux Africains-Américains, ou des Africains-Américains, dans l’exercice de ses fonctions. C’est le paradoxe classique de l’intégration : plus les Noirs sont acceptés dans le paysage, plus ils hésitent à dire ce qu’ils ont à dire, et la lutte contre le racisme perd du terrain.
Ce paradoxe semble ne plus tenir aujourd’hui. Kamala Harris a été choisie pour sa couleur de peau, et non malgré elle. Sa présence dans la campagne était essentielle, et non une chose dont il fallait s’excuser ou qu’il fallait entourer d’un contexte dans un discours enthousiaste sur une Amérique unifiée.
Retournement de situation
Si Harris ne parlait pas aussi ouvertement des effets de la suprématie blanche et du racisme, elle n’apparaîtrait pas comme présidentiable. Ce retournement de situation surprenant inaugure peut-être une nouvelle ère de leadership noir légitime et profondément éthique pour tous.
Une question vient cependant me hanter parfois : Kamala Harris est-elle à la hauteur de cette tâche ? Elle n’est pas Obama, mais elle partage avec lui certaines caractéristiques communes aux diplômés et dirigeants noirs qui, franchement, ont autant entravé que favorisé les progrès de la lutte contre le racisme au cours des cinquante dernières années.
Kamala Harris, avocate de formation, appartient à la classe moyenne, comme d’importants leaders et activistes noirs, parmi lesquels W. E. B. Du Bois, Mary Church Terrell, Thurgood Marshall, et Martin Luther King Jr. Ces hommes et ces femmes ont fait sauter le carcan du racisme et de la ségrégation. Après l’abolition des dernières lois ségrégationnistes Jim Crow dans les années 1960, les membres de cette classe sociale ont été libres de mener leur barque à leur guise et de tout faire pour vivre une vie heureuse, et beaucoup l’ont fait.
D’une certaine manière, le carriérisme noir a supplanté le militantisme en tant que façon d’obtenir la justice raciale. Les succès durement obtenus par les universitaires, les médecins, les avocats et les cadres supérieurs étaient la preuve qu’ils poursuivaient la lutte, et que celle-ci portait ses fruits. Mais en vertu du paradoxe évoqué plus haut, leur ascension les obligeait à minimiser leur préoccupation pour les Noirs dans leur ensemble. Cette dynamique irritait les Africains-Américains ordinaires, mais ils la comprenaient : il fallait répondre aux exigences assimilationnistes de la majorité blanche.
Un grand charisme et beaucoup de sang-froid
Kamala Harris possède les atouts dont un candidat à la présidence a besoin : elle a un physique télégénique, un sang-froid imperturbable et, comme on a pu le voir, c’est une oratrice charismatique. Elle est aussi prête à mettre un terme à l’effacement racial qui a été le prix à payer pour l’intégration.
Qu’elle soit moins prudente qu’Obama est une bonne chose. Elle peut être extrêmement caustique : elle a mis en déroute le ministre de la Justice William Barr au Sénat l’année dernière, et Biden lui-même lors des débats des primaires démocrates. Elle n’hésite pas à montrer sa colère et peut parfois aller loin. Elle est tout à fait à l’aise dans les milieux noirs qu’Obama semblaient parfois trouver un peu étrangers. C’est une enfant noire d’Oakland, et ses parents, de couleur et immigrés, étaient très sensibles à la lutte des Africains-Américains.
À une journaliste du New York Times qui lui demandait si elle avait fait l’objet d’un profilage racial, elle a déclaré :
J’en ai assez de devoir raconter aux gens mes expériences du racisme pour leur faire comprendre qu’il existe.”
Dans la même interview, elle accuse ses amis blancs incrédules devant les violences policières contre les Noirs de parler comme des colonisateurs.
Kamala Harris a la force et la légitimité nécessaires pour mettre officiellement la lutte des Africains-Américains au sommet de nos priorités politiques, là où sa place a toujours été. J’espère seulement qu’elle a la volonté de le faire. Les vies des Noirs sont prêtes à passer de la marge de l’histoire de notre pays à son centre. Kamala Harris, notre deuxième chance d’avoir une personne noire à la présidence des États-Unis, est plus que qualifiée pour nous y mener.
Source : Courrier international
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