En Italie, le footballeur Luis Suárez au cœur d’une enquête pour des soupçons de triche

Avant de briller avec l’Atlético Madrid, l’ex-attaquant du Barça a passé haut la main l’épreuve d’italien qui conditionnait son transfert à la Juventus Turin. Mais l’examen a été truqué, estime la justice, jetant le discrédit sur l’université pour étrangers de Pérouse.

Lorenzo Rocca est un professeur sans histoires, qui, depuis le début des années 2000, enseigne, à l’université pour étrangers de Pérouse, l’italien aux nouveaux arrivants. Un poste tranquille dans une ville universitaire un peu endormie, au cœur des collines de l’Ombrie. Rien, donc, qui puisse prédisposer aux feux de la rampe. Pourtant, depuis le 22 septembre, le professeur Rocca est au cœur d’une invraisemblable polémique, dont les conséquences semblent le dépasser complètement. Son nom se trouve en effet associé à celui d’une des plus grandes stars du football actuel, Luis Suárez, dans le cadre d’une affaire de corruption visant à lui faire obtenir frauduleusement un passeport italien.

Les faits remontent au 17 septembre. Ce jour-là, l’attaquant international uruguayen de 33 ans, 59 buts en sélection et près de 200 sous le maillot du FC Barcelone, se rend à Pérouse pour ce qui est présenté comme un examen de routine : il s’agit d’obtenir un certificat attestant sa maîtrise minimale (niveau B1) de la langue de Dante, formalité indispensable pour que lui soit délivré un passeport qui rendrait possible son transfert à la Juventus Turin. En effet, la Juve dispose déjà de deux joueurs extracommunautaires dans son effectif, soit le maximum prévu par les règles du championnat italien. En théorie elle ne pourrait donc pas acheter une recrue africaine ou sud-américaine sans se délester de l’un d’eux.

 

Magistrat incorruptible

 

Mais, étant marié depuis 2009 avec une Uruguayenne originaire du Frioul et ayant la citoyenneté italienne, Luis Suárez a donc le droit de demander la nationalité. Problème, depuis le décret-loi Salvini de 2018, imposé alors par le ministre de l’intérieur et président de la Ligue du Nord (extrême droite), les conditions d’attribution du passeport ont été durcies. Elles sont désormais suspendues à un examen attestant d’une certaine maîtrise de la langue.

Bien sûr, ce décret n’avait pas été pensé pour compliquer la vie des stars du football, mais la loi est la loi : Luis Suárez doit donc se soumettre au fameux test B1. Selon la presse sportive italienne, début septembre, le champion était censé « s’entraîner avec sa femme ». L’étudiant a dû être particulièrement sérieux : le 17 septembre, Luis Suárez passait l’épreuve sans encombre. L’affaire était même pliée en une demi-heure (l’examen dure d’ordinaire deux heures). Puis le footballeur a regagné son jet privé et est rentré à Barcelone.

« Avec un salaire de 10 millions par an, on ne peut pas tout faire sauter parce qu’il n’a pas le B1. » Stefania Spina, directrice du centre d’évaluation

Il ne faudra que quelques jours pour que la version officielle s’effondre. Mardi 22 septembre, le procureur général du parquet, Raffaele Cantone, lance une perquisition, visant la rectrice de l’université, son directeur général, la directrice du centre d’évaluation, Stefania Spina, et le pauvre Lorenzo Rocca, qui a fait passer en personne l’évaluation à Luis Suárez. Selon le magistrat, l’examen aurait été truqué.

Arrivé à Pérouse à l’été, Raffaele Cantone est tout sauf un inconnu : ancien chef de l’Autorité nationale italienne anticorruption, il bénéficie d’une notoriété nationale, assise sur une réputation d’incorruptible. Ici, il s’appuie sur des écoutes obtenues par hasard – la justice enquête depuis plusieurs mois sur des détournements de fonds concernant l’université –, mais dont la teneur est accablante. Dans une conversation avec un ami, Stefania Spina ne mâche pas ses mots. « Il est incapable de dire un mot », assène-t-elle, et « il ne conjugue pas les verbes ». Pourtant, assure-t-elle à son interlocuteur, Suárez sera diplômé : « Avec un salaire de 10 millions par an, on ne peut pas tout faire sauter parce qu’il n’a pas le B1 »

 

Les soupçons planent sur la « Juve »

 

A ce stade, le rôle de Lorenzo Rocca apparaît essentiel : selon les écoutes, il aurait « préparé » le candidat en lui faisant apprendre les réponses par cœur, avant de lui faire passer l’examen et le déclarer reçu. « Ce n’est pas vrai qu’il parle mal. Il savait même conjuguer les verbes », s’est défendu l’enseignant dans les colonnes de La Repubblica. Mais ses dénégations apparaissent bien fragiles. Il est poursuivi, ainsi que sa hiérarchie pour « faux » et corruption.

Quel rôle la Juventus Turin a-t-elle pu jouer dans cette mascarade ? Depuis le début du scandale, le club le plus titré d’Italie, vainqueur du championnat pour la neuvième année d’affilée, assure de sa bonne foi. Selon le directeur sportif turinois, Fabio Paratici, le club a agi « en toute transparence et dans le respect des règles », et ne savait rien de ce qui se tramait à Pérouse. Pour l’heure, rien ne prouve que la Juve soit impliquée dans l’affaire. Mais le procureur général Cantone semble douter que les professeurs de l’université de Pérouse aient seulement agi par amour du football…

Luis Suárez a bel et bien quitté les rangs du Barça, n’étant plus dans les plans de son entraîneur, Ronald Koeman, mais il n’a pas choisi de poursuivre l’aventure en Italie. Il a finalement signé à ­l’Atlético Madrid. Dimanche 27 septembre, il faisait ses débuts en championnat avec son nouveau club, contre Grenade (6-1). Entré à l’heure de jeu, il a eu le temps de marquer deux buts et de délivrer une passe décisive.

 

 

 

Jérôme Ghatheret

(Rome, correspondant)

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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