Ces personnes contentes d’avoir le Covid-19

Attention de leur entourage, surmédiatisation, mise en avant sur les réseaux sociaux: aux yeux de quelques malades, cette affection n'a pas que des inconvénients.

Marc* a 29 ans et en avril dernier il a contracté le Covid-19. Alors que son entourage s’inquiète et le bombarde de messages de soutien, le jeune homme réagit de manière plus inattendue: «Quand le médecin m’a annoncé que j’avais chopé le virus, j’ai été très surpris… dans le bon sens du terme, avoue-t-il. Je n’étais pas apeuré ou décontenancé, j’étais juste étonné que ça tombe sur moi. J’avais attrapé ce fameux virus dont le monde entier parlait, moi! C’est un peu comme si on m’avait dit que j’avais gagné au loto, que le hasard m’avait désigné parmi des millions d’autres personnes.»

Marc, comme les autres témoins de cet article, n’a pas développé de forme grave du virus. Ni hospitalisation, ni fièvre terrassante, ni séquelles à long terme comme ce fut le cas pour nombre de malades. Il s’en est sorti avec quelques jours «patraque, mais sans plus».

 

Un statut d’exception

 

Marc a conscience de s’en être bien tiré. Il sait que le virus peut être extrêmement violent, même chez des personnes jeunes et en bonne santé. «J’ai eu de la chance de ne pas être trop diminué. Je pouvais me lever, lire, je n’avais pas perdu l’appétit. Je me sentais bien, mais je devais rester chez moi et me reposer. J’avais les avantages sans les inconvénients, explique-t-il. J’étais le centre des préoccupations de ma famille, mes amis, mes collègues, une véritable attraction. Tout le monde m’appelait ou m’écrivait comme si j’étais à l’article de la mort alors que j’étais en pleine forme. Au risque de choquer, c’était plutôt cool, j’étais la star du moment.» Comme lui, plusieurs malades confient avoir éprouvé un sentiment de valorisation pendant leur convalescence, à l’image de Valérie, 37 ans qui s’est sentie «choyée et protégée comme quand j’étais petite. D’habitude, c’est moi qui m’occupe des enfants et du quotidien, mais là, j’étais celle que l’on dorlotait, que l’on surveillait».

«Au risque de choquer, c’était plutôt cool, j’étais la star du moment.»

Marc, qui a été atteint d’une forme du Covid-19 sans complications

 

 

Sophie Arborio, maîtresse de conférence HDR en anthropologie de la santé et de la maladie au Centre de recherche sur les médiations de l’université de Lorraine, ne s’étonne pas de ces témoignages: «Nous vivons dans une culture d’héritage judéo-chrétien, et dans cette culture-là le malade fait partie de la figure que l’on appelle “le pauvre du Christ.” Un être affaibli à qui l’on doit la charité. Lorsque notre société est devenue laïque, cette charité s’est transformée en empathie.» Cette empathie et le traitement de faveur qui va avec expliquent le bénéfice inconscient éprouvé par certain·es malades. «Ce statut de malade vient avec ses devoirs: se soigner, écouter les médecins, suivre son traitement, essayer d’aller mieux, mais il vient aussi avec des droits: avoir le droit de ne pas aller au travail ou à l’école, se faire chouchouter, être pris en considération, être différent des autres pour un temps», explique Sophie Arborio.

 

Une médiatisation sans précédent

 

Des parents qui achètent un jouet à leurs enfants pour leur redonner le sourire pendant une vilaine grippe, aux cartes de bon rétablissement que l’on adresse à un collègue en arrêt maladie, jusqu’au bol de bouillon mitonné avec amour et inquiétude par un compagnon ou une amie, la personne malade se retrouve choyée, couvée. D’autant plus si le mal contracté fait la une des journaux du monde entier et met les pays à l’arrêt, les uns après les autres. «Notre société est conditionnée par la médiatisation qui est devenue un modèle de savoir, d’exposition, d’affirmation de soi. Depuis six mois, les stars sont les malades du Covid, note Sophie Arborio. Du point de vue identitaire, pour les personnes touchées par la maladie, une telle médiatisation apporte forcément cette sensation de valorisation et d’exception.»

Laura, 26 ans, le confirme. À force d’entendre parler de «sa» maladie sur toutes les ondes, de sentir la panique gagner peu à peu son entourage, de vivre un confinement inédit et de suivre chaque jour la progression du virus à la télé ou sur internet, «on a l’impression de faire partie intégrante d’un événement historique sans précédent, comme si on m’avait envoyée au front pendant une guerre».

«La médiatisation de cette maladie est telle qu’elle apporte forcément cette sensation de valorisation.»

Sophie Arborio, maîtresse de conférence HDR en anthropologie de la santé et de la maladie

 

 

«En 2009, j’avais attrapé la grippe porcine, et déjà à l’époque je m’étais sentie spéciale. Sauf que la grippe A n’avait pas fait autant de bruit. Là, c’est du jamais-vu un truc pareil. Et j’en fais partie! Je me sens comme… élue», ajoute-t-elle.

Pour Sophie Arborio, ce sentiment de valorisation s’explique en partie par la nouveauté et la complexité d’un virus que l’on ne maîtrise pas encore: «La maladie vient d’émerger et comme dans toutes sociétés lorsque qu’on ne parvient pas à classer, à définir, à expliquer un phénomène, on lui attribue un statut d’exception. D’autant plus que le Covid est une maladie ambiguë et imprévisible. Si vous êtes malade, vous êtes potentiellement dangereux pour la société et vous-même, mais vous êtes aussi potentiellement porteur d’une immunité», explique l’anthropologue qui, ayant elle-même contracté la maladie, se souvient de l’attitude parfois contradictoire de son entourage: «Lorsque mes proches venaient me déposer des courses sur le pas de ma porte, ils restaient à distance, car à leurs yeux, je représentais un danger; tout en me disant que ma contamination était une bonne chose car cela voulait dire que je ne pourrais plus contaminer personne par la suite et que je serai immunisée.»

Le Covid, nouvelle star des réseaux ?

 

Mais alors que le pari de l’immunité collective peut s’avérer très risqué et que les scientifiques ne parviennent toujours pas à savoir si le Covid peut toucher plusieurs fois une même personne, certain·es malades guéri·es ou peu affecté·es par le virus, n’hésitent pas à afficher fièrement leur contamination, jusque sur leurs réseaux sociaux. C’est le cas notamment de Lucas, 30 ans qui a récemment publié sur Instagram une vidéo enjouée dans laquelle il annonçait faire partie du club très sélect des «rescapés du Covid» et être «grave content de l’avoir enfin attrapé».

«Quand j’y repense, je me demande ce qui m’est passé par la tête, confie Lucas qui a supprimé dans l’heure sa story polémique. Sur le coup, c’était une manière de faire l’intéressant et peut-être aussi d’être optimiste, de montrer que ce n’est pas forcément grave.» Sans même attendre le moindre commentaire réprobateur de ses abonné·es, le jeune homme a vite regretté son geste. «L’utilisation des réseaux sociaux est ambivalente pour beaucoup de jeunes, car elle naît d’un besoin narcissique de se mettre en scène, mais convoque également le rapport à l’autre à travers la diffusion collective, explique Sophie Arborio. En postant, et donc en rendant public, ils prennent alors conscience, surtout en cette période troublée, qu’ils peuvent jouer avec leur image, mais pas jouer avec la vie car leur “public” peut être composé de personnes ayant été elles-mêmes malades ou ayant perdu un proche au cours de la pandémie.»

«Tous les soirs pendant le confinement, on entendait le nombre de morts au 20 heures et moi je postais ça en mode “qu’est-ce qu’on se marre”, j’ai honte», affirme Lucas qui dit avoir vu plusieurs de ses contacts Facebook ou Instagram afficher leurs résultats de tests PCR positifs à grands renforts d’émoji Champagne et de smiley rigolards. «J’ai cédé aux mêmes instincts qu’eux donc je ne peux pas les juger, mais avec le recul c’est franchement limite, concède-t-il. Si demain ma grand-mère meurt du Covid, je n’ai aucune envie de tomber sur le post Insta d’un de mes potes ou d’une influenceuse qui se vante de l’avoir attrapé pour se faire mousser auprès de ses followers.»

 

* Les prénoms ont été changés.

 

 

 

Audrey Renault

 

 

Source : Slate

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