Le débat sur le « référent », un déficit idéologique ou une alternative institutionnaliste / Par Sidi Mohamed Ould Abdelwehab

La controverse au niveau de l’Union Pour la République, Parti de la Majorité au pouvoir, au sujet du « Référent » (La Marjiiyaa) soulève certaines questions sur la praxis politique et l’ancrage idéologique en Mauritanie.

Le spectacle de ces grands Partis Etat (PPM, PRDS, PRDR, ADIL…) réduits en lieu de ruines à la suite des coups d’Etats et après décapitation (disparition du guide) secoue l’entendement. Le délitement physique s’accompagne-t-il ici d’une transmission génétique de la dispersion.

La récente version portela singularité de son contexte caractérisé par une passation de pouvoir pacifique et civilisée en aout 2019 et la forme de son aboutissement : Une scission au lieu d’une implosion ; une récupération au lieu d’une disparition.

La querelle cette fois est autour d’un concept, la recherche d’un cadre d’orientationpour la Majorité et d’un évènement le retour politique de l’ancien président.

Tout commence, par une interrogation, simple en apparence, soulevée par un membre influent du Bureau Politique du Parti, l’ancien député Khalil Ould Tiyyib durant les réunions préparatoires du deuxième Congrès du Parti sur la clarification du « référent », est-ce l’ancien président fondateur ou l’actuel au pouvoir ? une question de boussole.

Suffisant pour scinder une majorité entre deux tendances hostiles pour le contrôle du Parti. Alibi ou complot, les dés sont jetés et le mouvement des chaises s’accentue, la valse des boubous commence.
L’ancien patron des lieux, dans une Interview récente sur France 24, parla d’une visite de routine pour le siège de « son » Parti ; geste «ordinaire» qui attira le courroux des uns, le grondement du plus grand nombre et la préparation d’une quasi «Vendetta » publique. Était-il condamné au confinement ou le geste s’apparentait-il à ces « guirlandes de fleurs sur des chaines de fer » chers a l’auteur du Contrat Social (J.J Rousseau) ?

Le traitement de la question traduit la portée versatile d’un paradigme au cœur de l’orientation « confessionnelle » des militants du plus grand ensemble politique du pays : l’ancien président détenteur de la carte numéro 1, aime t il à rappeler, parla d’une astuce satanique et ses partisans évoqueront l’étrangeté d’un tel vocable dans les « mœurs » politiques locales ! Sic.

Les caciques de l’ancien résident du Palais martèlent encore sa « propriété » quasi personnelle pour un Parti qu’il a créé de toutes pièces et dirigé d’une main de fer des années durant changeant le drapeau, l’hymne national et totalisant plus d’un million de membres aiment-ils à répéter.

Les initiateurs de « l’artifice » défendront l’évidence de l’obédience au nouveau président, a son programme et au gouvernement en exercice : le présent se démarquant du passé !

Le fonds du tiraillement touche également au bilan contrasté de la décennie écoulée. Au moment où certains parlent de grandioses réalisations d’une « décennie dorée » (aéroports, routes, hôpitaux, état civil, équipements militaires…) , d’autres parlent d’une « décennie perdue » (Moussa Fall) ponctuée de désastres économiques, de bradage et sabotages débouchant sur un « Iceberg de la honte » écrira Heibetna O Sidi Haiba.

Le paradigme du retour « politique » de l’ex président fait polémique et aiguise les passions : quelle « vie après le Palais » dans la « République ambiguë » pour reprendre le titre d’une analyse juridique de Maitre Taleb Khyar ?

Dans une sortie médiatique sur l’une des chaines locales , le député et actuel ministre, Lemrabott O Bennahi, répondra qu’il serait surpris de voir un ancien Président de tous les mauritaniens revenir avec l’ambition de présider une partie !

D’autres acteurs politiques évoqueront l’exemple des anciens présidents qui ont pris leur retraite silencieuse et définitive pour ne troubler la scène nationale en dépit des sérieux dossiers qu’ils ont laissé en suspense.

Un autre ancien ministre, Mohamed Mahmoud Ould Javar, haut cadre du Parti et partisan de l’orientation nouvelle parlera de l’inexistence d’un tel vocable (Marjiiya) dans les textes officiels du Parti lors d’une émission de la chaine Alwataniya sur le bilan d’une année du nouveau président il y a quelques jours et prendra pour référence le programme « Taahoudaty »(mes promesses) du Président Ghazouani signalant a l’occasion que ce qui unit un grand nombre de cadres militants c’est leur croyance en l’Etat et la volonté de le servir « honnêtement ».

Au-delà d’une chicane pour la propriété, physique et morale, du parti de la Majorité , cette situation interpelle sur la trame motrice unifiant plus de 1200 délégués venant de toutes les régions au premier Congrès du Parti ( en Juillet 2010) et près du double lors du deuxième en fin décembre 2019.

Les joutes, écrites et orales, entre deux anciens ministres ex présidents de l’UPR (Dr Isselkou Izid Bih et Maitre Sidi Mohamed OuldMaham) , traduisent la profondeur de l’amalgame, l’âpreté du combat et la subjectivité du serment et sa vulgate.

Nos ministres « bloggeurs » traitent de la morale, du procès, du dualisme, de la « souillure », de la nature « caméléonesque » des uns , du « péché » lié au choix, du loyalisme, du sacrifice, de la trahison dans un sens et dans l’autre…etc.

Ont-ils , par hasard, contemplé du « Graal » en siégeant a la table carrée ?

L’absence de l’ex homme fort de Nouakchott lors des festivités commémoratives de l’indépendance en novembre 2019 a réveillé plus qu’un soupçon.

Dilemme accentué par les conclusions du Rapport de la commission d’enquête parlementaire présenté il y a quelques semaines au Parlement et les mises en examen qui l’ont suivi. Toute une bataille légale en perspective.

Ajoutons, par ricochet, la « métamorphose » avortée du Parti Unioniste Social Démocrate ( Elwihdawy ) et la suspension de ses activités pour 90 jours depuis le 12 aout 2020 par le Ministère de l’Intérieur.

Le bras de fer, quasi musculaire, pour le contrôle de l’aile politique du pouvoir ; au-delà de l’interpellation sur les questions de loyauté, de conviction et de continuité en politique ; pose une sérieuse question de doctrine et d’éthique .

Cette réflexion entend simplement insinuer l’importance des ancrages dans un contexte qui n’exclut pas le spectre des récidives, le danger de confusions et la pression des priorités.

En l’absence d’une idéologie au sens classique et l’impossibilité d’en générer une version originalement locale ; signalons l’existence d’une probable matrice d’orientation pragmatique et programmatique donnant sens à l’engagement du grand nombre.

Il s’agit de la conservation de l’Etat, la protection de la continuité physiologique de la nation, la sauvegarde des équilibres minimaux en plus d’idéaux comme le renforcement de la démocratie, la lutte contre la corruption, la justice sociale et le développement. 

Tous ces idéaux ne dispensent pas d’un socle doctrinal comportant une lecture de l’histoire, un dépassement de la personnalisation du pouvoir et une vision du devenir de la nation.

Un travail de mémoire collective demeure à faire, une réminiscence dans cette topographie de jalons à poser, de nœuds à tisser et de vérités à se dire.

L’accentuation des forces centrifuges (tribus, ethnies, groupes sociaux, régions…), les effets dévastateurs du COVID-19, l’émergence de clans à caractère mafiosi et l’atmosphère régionale instable justifient la primauté d’un agenda de survie qui ne dispense d’un cadran ; un astrolabe pour navigation en zones troubles.

Une sérieuse préoccupation sur le niveau de résilience de l’édifice national interpelle la conscience.

L’approche institutionnaliste, fondée sur la séparation des pouvoirs, le renforcement des institutions républicaines et la promotion de la citoyenneté constitue elle l’alternative ?

S’agit-il d’une autre « heure des comptes » ou bien le temps de l’audit de la République a sonné ?

 

Sidi Mohamed Ould Abdelwehab

Ancien de l’Université de Nouakchott

 

(Reçu à Kassataya.com le 15  septembre 2020

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