La CEDEAO au défi de la crise malienne

Le coup de force survenu au Mali le 18 août 2020 – à la faveur de l’intervention de la junte militaire qui a obtenu la démission du Président Ibrahim Boubacar Keita et instauré un Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) – incite à interroger aussi bien la pertinence que l’efficience des cadres de gestion et de résolution des conflits instaurés pour face à la crise qui, depuis 2012, enflamme le pays et plus largement l’espace sahélien. Les différents cadres mobilisés apparaissent ainsi largement déficients qu’ils s’inscrivent à l’échelle sahélienne (faible bilan du nouveau G5/Sahel et de sa Force conjointe instaurée en 2017), du continent (effacement de l’Union africaine peinant notamment à déployer la force de 3000 hommes annoncée au début de l’année 2020), des Nations Unies (mandat obsolète de la MINUSMA), de l’Union européenne (résultats peu convaincants des missions EUTM et EUCAP à la fois en matière de performance opérationnelle et d’amélioration de la gouvernance des forces de défense et sécurité), ou de la France (résultats très mitigés de la stratégie de concentration prioritaire sur la lutte anti-terroriste par l’Opération Barkhane, dont les limites sont désormais visibles de manière criante à la seule lecture des cartes de conseil aux voyageurs du Quai d’Orsay au Sahel, désormais presqu’exclusivement classé en zone rouge).  

C’est cependant l’architecture de paix et de sécurité mise sur pied dans le cadre de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), à laquelle se remet l’ensemble des acteurs internationaux dans les différents communiqués publiés au lendemain de l’intervention prétorienne (qualifiée par les uns de simple « mutinerie » et par d’autres de « coup d’état »), qui apparaît aujourd’hui particulièrement mise au défi par cette crise politico-militaire.  

En effet, les mécanismes de gestion des conflits sur lesquels la CEDEAO appuie son intervention au Mali – particulièrement le Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO adopté en 1999, ainsi que le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001 – ont été élaborés dans les années 1990-2000 pour répondre à la fois à la crise endémique de la région du Fleuve Mano et à la progression contrariée de la démocratie dans le reste de la sous-région. Ainsi, largement forgés pour faire face à des guerres civiles (guerres du Libéria, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire) ou à des crises démocratiques (Guinée et Guinée Bissau), les instruments susmentionnés paraissent aujourd’hui bien trop restreints ou inadaptés pour faire face à la crise multidimensionnelle (de gouvernance, sécuritaire, militaire, politique, institutionnelle, sociale, éducative, …) que traverse aujourd’hui le Sahel en général et le Mali en particulier. 

Largement forgés pour faire face à des guerres civiles (guerres du Libéria, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire) ou à des crises démocratiques (Guinée et Guinée Bissau), ces instruments paraissent aujourd’hui bien trop restreints ou inadaptés pour faire face à la crise multidimensionnelle.

Par ailleurs, la difficulté de la CEDEAO à faire accepter sa position intransigeante initialement adoptée face à la junte malienne – exigeant le rétablissement du Président IBK dans ses fonctions puis le rétablissement immédiat de l’ordre institutionnel à l’issue d’une brève période de transition dirigée par un civil – est en réalité le reflet de l’opposition de deux légitimités qui parcourent les textes de l’organisation. D’une part, la légitimité institutionnelle, qui renvoie largement au légalisme consacré par le Mécanisme de 1999 et son protocole additionnel de 2001, et d’autre part, la légitimité populaire largement consacrée par le document intitulé « Vision 2020 » adopté par l’Organisation en 2007 et qui fait état de son ambition de passer d’une « CEDEAO des États » à une « CEDEAO des peuples » à l’horizon 2020 (cette échéance présentant un intérêt particulier – si ce n’est ironique – au regard de l’insurrection populaire qui gronde au Mali depuis le printemps dernier).  

La crise actuelle met également en lumière les contradictions et les divisions internes de l’Organisation sous-régionale. En effet, deux blocs semblent aujourd’hui s’opposer en son sein : d’une part, les partisans d’une approche inflexible face à la junte malienne, notamment le Président ivoirien Alassane Ouatarra et le Président guinéen Alpha Condé, dont la décision de concourir pour un troisième mandat présidentiel, après avoir procédé à des révisions constitutionnelles contestées, est remise en question, de manière explicite ou non par leurs pairs : c’est ainsi que, pour le Président de la Guinée Bissau Umaru Sissoco Emballo, « les troisièmes mandats » sont également des coups d’État qu’il convient de condamner au même titre que les putschistes maliens car ils violent tout autant la Constitution des pays concernés ainsi que le Protocole de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Entre ces deux prises de position opposées, les dirigeants du Ghana ou du Sénégal semblent adopter une position médiane, notamment soucieuse de l’impact potentiellement délétère sur leurs propres économies des sanctions économiques, commerciales et financières très sévères adoptées à l’encontre du Mali. 

Entre ces deux prises de position opposées, les dirigeants du Ghana ou du Sénégal semblent adopter une position médiane, notamment soucieuse de l’impact potentiellement délétère sur leurs propres économies des sanctions économiques, commerciales et financières très sévères adoptées à l’encontre du Mali.  

Enfin, les mécanismes de gestion des conflits de la CEDEAO sont aujourd’hui plus largement confrontés au déficit de légitimité démocratique des Chefs d’État et de gouvernement au sein de leur propre pays, même lorsque leur élection s’est opérée en dehors de toute contestation majeure. L’irruption du religieux (rôle central de l’Iman Dicko au Mali) et d’autres acteurs traditionnels ou coutumiers dans la résolution des conflits politiques (rôle par exemple du Moog-Naaba lors de l’insurrection populaire au Burkina Faso en 2014) pourraient être les signes annonciateurs de la profonde remise en cause des arrangements institutionnels existants et des revendications visant à élargir le cercle des acteurs mobilisés à l’échelle sous-régionale pour répondre aux crises et aux conflits.

 

Source : Global Brief

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