Histoire – En Asie, quand les étrangers qui cherchaient à s’intégrer étaient considérés comme des excentriques

Habillés comme des Chinois, ils s’efforçaient de vivre à la chinoise, mais n’ont jamais réussi à se faire accepter. Un chroniqueur du South China Morning Post évoque le cas des “Occidentaux orientalisés” du siècle passé.

Le mot “orientaliste” est une insulte dans le langage courant comme dans le langage érudit depuis la publication, en 1978, du livre d’Edward Said L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident [traduit aux éditions du Seuil]. Désormais péjoratif, le mot fait en général référence à une autorité “masculine” sur certains aspects des cultures “non blanches”. Il y a pourtant eu une époque, il n’y a pas si longtemps, où “orientaliste” était un terme admiratif qui traduisait un désir brûlant d’apprendre, de connaître et de comprendre une culture et une société profondément différentes de la sienne.

Au lieu de renforcer le sentiment de supériorité raciale ou culturelle – comme le soutient Said – pourquoi ne conduirait-il pas “à l’admiration, à l’émerveillement, à une meilleure connaissance de soi, à la relativisation et au réajustement de son propre système de valeurs, à une conscience des limites de sa propre civilisation ? “relevait le sinologue belge Pierre Ryckmans [de son vrai nom Simon Leys, mort en 2014].

Ces Occidentaux qui devenaient presque orientaux

 

Alexander Grantham, qui a été gouverneur de Hong Kong de 1947 à 1957, évoque en quelques mots percutants les orientalistes dans ses mémoires intitulés Via Ports : From Honk Kong to Hong Kong (1965) [“Par les ports : de Hong Kong à Hong Kong”, non traduit] :

Certains Occidentaux deviennent presque orientaux dans leur mentalité. Mais s’ils cessent d’être européens, ils ne deviennent pas complètement asiatiques et ne sont ni l’un ni l’autre. Ils ne sont acceptés par aucune des races mais n’en sont pitoyablement pas conscients.”

Poser que tous les Occidentaux venaient – ou restaient au sein – d’une mentalité caractérisée par un sentiment de supériorité, c’était associer l’érudit et le mercantile et poser – avec un racisme inconscient – que tous les Européens qui vivaient longtemps en Asie étaient fondamentalement les mêmes.

Les Européens qui s’intégraient profondément en Asie étaient sans aucun doute inhabituels. Depuis le XVIIIe siècle à nos jours, l’Occidental “indigénisé” est une cible facile pour les mercantis totalement dépassés par la complexité des mondes asiatiques dans lesquels ils devaient passer une grande partie de leur vie.

“Indigénisés” mais pas pour autant intégrés

Les missionnaires faisaient exception. À la fin du XIXe siècle, les organisations chrétiennes présentes en Chine et ailleurs encourageaient leur clergé à s’orientaliser et ainsi à s’introduire plus profondément dans les populations qu’elles souhaitaient convertir. Beaucoup s’habillaient comme des Chinois et vivaient et mangeaient le plus possible à la chinoise, comme l’attestent les photographies de l’époque. Ceux qui s’étaient “indigénisés” étaient-ils pour autant intégrés dans leur milieu d’adoption ?

Grantham relève :

Après avoir vécu longtemps en Orient, un Occidental finira par connaître les réactions probables d’un Oriental à certaines situations et vice versa, mais tous deux sont fondamentalement différents. Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas aimer ni respecter les caractéristiques de l’autre. Au contraire, cela ajoute de la fascination.”

Si nombre de sociétés asiatiques se montraient tolérantes vis-à-vis de ces différences, les Occidentaux étaient rarement pleinement intégrés et ceux qui essayaient – le moine bouddhiste anglais perdu dans un ermitage de Birmanie ou de Ceylan, le pieux musulman converti d’un kampong de Malaisie ou le sadhu vêtu de safran parcourant seul l’immensité de l’Inde – étaient considérés comme des excentriques. Toutes ces variations humaines apparaissent dans les récits de voyage de l’époque.

 

Inoffensifs ou menaçants ?

 

Les Occidentaux orientalisés laïques étaient difficiles à cataloguer. Ils étaient en général considérés comme excentriques – inoffensifs ou menaçants selon leur personnalité. La nature essentiellement commerciale de Hong Kong allait à l’encontre des quêtes spirituelles, qui pouvaient être poursuivies à peu de frais dans d’autres parties de l’Asie.

Seules les personnes disposant de ressources personnelles pouvaient se permettre de vivre à Hong Kong et elles préféraient en général des lieux qui offraient plus de possibilités spirituelles et culturelles. Avant la guerre, quelques orientalistes sérieux, par exemple John Blofeld, célèbre spécialiste britannique du bouddhisme, vivait dans les environs de Sha Tin. Les îles situées au large de Hong Kong, en particulier Cheung Chau à partir du début des années 1950 – permirent à d’autres de mener une vie pittoresque et bon marché.

 

Lire l’article original

Jason Wordie

Historien, Jason Wordie est spécialisé sur Hong Kong et Macao. Il écrit régulièrement pour le South China Morning Post. 

 

 

Source : Courrier international (Le 12 août 2020)
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com
Quitter la version mobile