Football – À Newcastle, l’Arabie saoudite perd son match contre le Qatar

Candidate au rachat de l’équipe de football anglaise de Newcastle United, l’Arabie saoudite n’a pu parvenir à ses fins et a préféré jeter l’éponge. L’échec du royaume s’explique par la situation économique qui résulte de la pandémie, sa mauvaise réputation internationale en matière des droits humains, mais surtout par le conflit qu’il a initié avec le Qatar et qui ne cesse de se retourner contre lui.

Le rachat du club de football anglais Newcastle United par les Saoudiens était encore « certain à 90 % » il y a six mois. Dans la réalité, il s’est avéré que c’était loin d’être acquis. Après une longue bataille pour obtenir l’approbation du championnat d’Angleterre de football (Premier League), le groupe d’investissement dirigé par le fonds souverain du royaume saoudien a retiré au mois de juin 2020 son offre de 300 millions de livres sterling (332 millions d’euros) pour le rachat du club.

« Malheureusement, le processus s’est prolongé et dans les circonstances actuelles liées à l’incertitude mondiale, l’investissement espéré n’était plus commercialement viable », a déclaré le consortium, qui comprend également la financière britannique Amanda Staveley1 et deux milliardaires, les frères Reuben2.

L’échec de l’opération est particulièrement frustrant pour les milliers de supporteurs du club qui avaient placé leurs espoirs dans cette acquisition, mais aussi pour les officiels saoudiens qui sont une fois de plus confrontés au fait que leurs faux pas de ces dernières années continuent de les hanter, malgré leurs efforts pour tourner la page.

« Une place à la table d’honneur » pour des voleurs

Lorsque le propriétaire du club, Mike Ashley, un magnat britannique du commerce de détail, a accepté de vendre le club de football en avril 2020, les Saoudiens semblaient convaincus que l’obtention de l’autorisation réglementaire nécessaire ne serait qu’une simple formalité. Alors que les discussions s’éternisaient, les supporteurs de Newcastle — y compris les tout nouveaux fans dans le royaume — ont commencé à manifester leur nervosité et le manager du club Steve Bruce a fait savoir que l’incertitude entravait les préparatifs de la saison suivante.

Compte tenu de la réputation de l’Arabie saoudite, le fonds d’investissement public et ses partenaires s’étaient préparés à faire face à l’examen minutieux qu’un tel accord ne pouvait qu’entraîner. Mais au fil des jours, des semaines et des mois qui passaient, le groupe a semblé avoir sous-estimé les obstacles.

De grands clubs anglais comme Liverpool et Tottenham se seraient opposés à l’accord, tandis que certains hauts responsables du football européen comme le président de la Liga espagnole, Javier Tebas ont accusé les Saoudiens de rechercher « une place à la table d’honneur » après avoir « volé le football ».

À n’en pas douter, ce qui a tué cet accord est une décision prise à l’été 2017 lorsqu’en Arabie saoudite on a pensé qu’il serait judicieux de lancer un réseau de télévision pirate dans le cadre de la campagne du royaume contre le Qatar. Pour étrange et honteuse qu’elle soit, cette décision a semblé naturelle à ceux qui en étaient les promoteurs. Ils ont appelé « beoutQ »3 ce réseau de télévision. La chaîne reprenait en direct la couverture des matchs assurée par beIN Sports4 et recouvrait les logos violets du Qatar par d’autres graphismes pour les rediffuser aux téléspectateurs du royaume.

Opération de piratage

Quelques mois plus tard, beoutQ a commencé à remplacer les publicités de beIN par les siennes, dont beaucoup se moquaient du Qatar et de sa politique. Telle publicité se gaussait de la petite taille du Qatar en le comparant à des îles peu connues dans différents océans du monde. Telle autre présentait la compagnie aérienne Qatar Airways comme spécialisée dans le transport des bovins. « Non au monopole, non à la politisation du sport », était le slogan de beoutQ.

Le gouvernement saoudien a bien cherché à se distancier de l’opération de piratage. Mais tenter de le faire tout en continuant d’interdire de diffusion beIN Sports — qui détient déjà les droits de télévision exclusifs de la plupart des compétitions internationales pour la région du Proche-Orient — a montré combien il était difficile de concilier ces deux politiques.

Alors que l’équipe nationale saoudienne se préparait à disputer le match d’ouverture de la Coupe du monde 2018 contre la Russie, les autorités ont commencé à installer des zones publiques de diffusion pour les supporteurs qui souhaitaient assister au match. Ces zones sponsorisées par le gouvernement ont dû utiliser le réseau officiel de beIN Sports bien que la chaîne soit interdite dans le pays.

Les décodeurs beoutQ étaient largement disponibles dans tout le royaume pendant cette période, même si les autorités publiaient de temps à autre des déclarations sur la répression du piratage quand les médias internationaux commençaient à poser davantage de questions sur la nouvelle chaîne.

«Le nombre de dispositifs confisqués a été de 12 000 … ces derniers mois, bien que le chiffre réel soit à mon avis beaucoup plus élevé», a déclaré à l’AFP fin juin 2018 Saoud Al-Qahtani, ancien conseiller du prince héritier Mohamed Ben Salman. «L’Arabie saoudite respecte la question de la protection des droits intellectuels et se conforme aux conventions internationales en la matière.»

Une déclaration similaire a été publiée en novembre 2018, indiquant que 3 780 dispositifs pirates avaient été confisqués et affirmant que la campagne contre le piratage avait commencé avant même la Coupe du monde.

Après la diffusion par Al-Jazira, en septembre 2019, d’un documentaire comportant des fuites présumées de l’intérieur du siège de beoutQ à Riyad, l’autorité saoudienne pour la propriété intellectuelle a présenté des images et des vidéos de son personnel faisant des descentes dans les magasins qui vendent des boîtiers IPTV.

La même tactique a été utilisée à nouveau lors de récentes négociations après que beIN Sports a demandé à la Premier League de bloquer la vente de Newcastle en raison de problèmes de piratage. L’Autorité saoudienne contre le piratage a alors annoncé qu’elle mettait tout en œuvre «pour bloquer 231 sites web qui violaient les régimes de propriété intellectuelle en vue de les fermer».

La presse britannique a accueilli cette annonce avec enthousiasme et l’a qualifiée de «développement significatif» vers la finalisation de l’accord. Mais il est apparu qu’il ne s’agissait que d’une tentative désespérée de récrire l’histoire après que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a constaté que le gouvernement du royaume avait enfreint les accords commerciaux internationaux en raison de son implication avec beoutQ.

La condamnation de l’OMC

 

L’Arabie saoudite a toujours nié tout lien avec la chaîne. Après avoir annoncé à tort que l’OMC avait pris une décision en sa faveur, elle a décidé de faire appel de la décision. Moins de 48 heures plus tard, le fonds d’investissement public se retirait de l’accord de Newcastle.

Même si les groupes de défense des droits humains et les familles des militants saoudiens détenus ont fait pression sur la Premier League pour empêcher le fonds d’investissement d’acheter le club en signe de protestation contre le bilan du royaume en matière de droits humains, le vrai problème en fin de compte était celui du piratage. Comme l’écrit Matt Slater dans The Athletic :

Un accord mené par le fonds d’investissement public pour acheter Newcastle United ne sera jamais accepté par les propriétaires et les directeurs tant que le gouvernement saoudien ne fermera pas beoutQ, ne lèvera pas son interdiction temporaire de beIN, ne compensera pas beIN pour trois ans de dommages et ne promettra pas à la Premier League et à toutes les autres grandes compétitions sportives du monde qu’il ne détournera jamais plus leur contenu.

L’échec de la tentative de prise de contrôle est certainement un revers pour les ambitions sportives saoudiennes. Il reste à voir si cela incitera les Saoudiens à être plus prudents à l’avenir, mais il est peu probable que cela soit la fin de l’histoire. Le ministère des sports du royaume vient d’annoncer le lancement d’un institut supérieur des sports avec l’objectif de remporter 5 médailles aux Jeux olympiques de 2028, tandis que le fonds souverain continue de dépenser massivement à la fois pour des acquisitions étrangères et des «gigaprojets» nationaux. Le prochain accord n’est probablement pas trop loin.

 

Ahmed El Omran

Correspondant du Financial Times en Arabie saoudite

Source : Orientxxi.info

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