Coronavirus : la délicate rentrée des étudiants africains en France

Qu’elles se préparent à des cours en présentiel ou à distance, les universités et les grandes écoles ne veulent pas laisser tomber les élèves étrangers.

C’est un compte à rebours angoissant. Dans moins de six semaines, Mamadou est censé commencer ses cours d’administration économique et sociale à l’université de Rennes. Mais le jeune Malien, « très inquiet », se demande s’il va pouvoir venir en France. Pour l’instant, il attend à Bamako et ses doutes ne se sont pas dissipés avec la reprise des vols commerciaux entre les deux pays, le 25 juillet, puisque les Maliens titulaires d’un visa Schengen valide ne sont toujours pas autorisés à entrer dans… l’espace Schengen. Ainsi, même si Mamadou a été accepté par l’université rennaise, il lui reste à obtenir – pour ne pas dire « décrocher » – son visa étudiant. Ultime étape, certes, mais aussi « la plus stressante », car elle est « à la discrétion du consulat », souligne-t-il, fataliste.

A l’autre bout de la chaîne, l’épidémie de coronavirus et la fermeture des frontières n’en finissent plus de tracasser les responsables des études supérieures en France. Comment accueillir en septembre les élèves venus du monde entier et notamment d’Afrique, continent qui représente le plus important contingent ? Une obligation encore compliquée par le ralentissement des activités consulaires durant le confinement, comme l’explique Mohamed Amara, président de la commission des relations internationales à la Conférence des présidents d’université (CPU).

Sur ce point, M. Amara pourrait se sentir rassuré par les déclarations du ministère de l’enseignement supérieur, qui précise au Monde que « tout est mis en œuvre pour faciliter l’accueil des étudiants internationaux sur les campus français à la rentrée », puisque « les étudiants font partie des catégories dérogatoires à la fermeture des frontières ». Théoriquement, « ils pourront donc tous venir, y compris en provenance de pays en zone rouge, en suivant évidemment les protocoles sanitaires en vigueur [quatorzaine ou test PCR] », d’autant qu’« ils sont considérés comme prioritaires pour l’obtention des visas ». Une facilitation « afin de ne pas briser les liens avec les régions du monde où la France continue d’être une référence », précise le ministère. Reste à vérifier que sur place les consulats appliquent bien ces consignes.

 

« Venez, on vous attend ! »

 

La France se prépare à « accueillir » plusieurs centaines de milliers d’étudiants étrangers (quelque 350 000 l’an dernier), dont près de la moitié proviennent d’Afrique. Même si tous ne viendront pas, « il y a eu un accroissement des demandes cette année, même avec le Covid-19 », indique M’Hamed Drissi, président de la commission des relations internationales de la Conférence des grandes écoles (CGE). Un changement qu’il estime « peut-être lié à la conjoncture » : « Nous avons vu que d’autres pays n’offraient pas les mêmes conditions de santé. C’est plus rassurant d’être en France. » Malgré la crise sanitaire et la pandémie qui ne faiblit pas, M. Drissi ne cesse donc de marteler le même message aux étudiants internationaux : « Venez ! On vous attend ! Vous êtes les bienvenus ! Vous serez pris en charge et accompagnés. »

Il faut dire que pour la CGE, la situation pourrait devenir intenable si la pandémie devait empirer et empêcher la venue de ces élèves étrangers. En effet, sur les quelque 270 000 étudiants des grandes écoles, un quart des inscrits sont des étrangers. « Dans certaines promotions, comme celles des business school, la part des internationaux peut même dépasser les 50 % », souligne M. Drissi. Alors quand on sait que les frais d’inscription oscillent entre 7 000 et 18 000 euros, leur venue est tout simplement « une question de survie », assure-t-il.

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Les grandes écoles veulent donc tout prévoir et « tenir leurs engagements », notamment sur l’accompagnement des étudiants. L’accueil en présentiel est une priorité et elles s’organisent pour assurer les cours en respectant les gestes barrières. « Nous faisons tout pour que les étudiants nous rejoignent au plus vite », insiste M. Drissi. Et dans le cas où les frontières resteraient fermées, l’enseignement distanciel sera privilégié. C’est d’autant plus faisable que les grandes écoles disposent d’« une offre numérique déjà riche », ajoute-t-il. Les cours peuvent être suivis en direct (classe virtuelle) ou enregistrés par un tuteur pour être consultés en différé.

En Afrique, comme ailleurs dans le monde, la CGE compte aussi sur les « tiers lieux », des endroits attachés à un institut français, une ambassade ou des écoles partenaires – comme l’Université virtuelle du Sénégal, à Dakar –, dans lesquels les étudiants pourront se retrouver et bénéficier d’une meilleure connexion Internet. Hors de question pour la CGE que ses futurs étudiants étrangers décrochent pour des raisons techniques.

Selon le ministère de l’enseignement supérieur, deux campus – l’un en Tunisie, l’autre au Sénégal – sont même en cours de développement. Et « sept espaces d’enseignement numérique France » sont en train d’être développés dans les principaux pays du continent, « pour permettre un accueil personnalisé des étudiants inscrits dans des établissements français, sur le modèle des campus connectés [études à distance] actuellement déployés sur le territoire national ». Les étudiants boursiers qui ne pourront pas se rendre en France seront prioritaires pour l’accès à ces espaces.

 

Demandes de visa rejetées

 

Contrairement aux grandes écoles, la CPU ne peut pas « garantir à 100 % » cette « continuité de l’enseignement » à distance. Les universités vont devoir accueillir plus d’étudiants à la rentrée, tout en assurant les conditions sanitaires. Les amphithéâtres vont-ils être divisés par deux ? Y aura-t-il un nouvel épisode de confinement ? « On réfléchit à des amplitudes horaires allant de 8 à 22 heures pour pouvoir accueillir tout le monde », explique M. Amara, lui-même président de l’université de Pau et des pays de l’Adour. Dans le cursus universitaire, le poids des étrangers n’est pas aussi vital que pour les grandes écoles. Et les universités vont se heurter à des questions de « coûts financiers et humains », comme le dit M. Amara, si elles doivent assurer un enseignement à distance.

Or les « tiers lieux » ne pourront pas accueillir tous les étudiants. « Le manque de transports, les frontières fermées ou les difficultés techniques en Afrique ne dépendent pas de nos établissements, atteste M. Amara. Deux millions d’étudiants vont devoir travailler dans des conditions qu’on ne connaît pas encore. Cela va être une année difficile pour tout le monde. »

Avec la crise sanitaire qui s’amplifie, grandes écoles et universités anticipent déjà que les étudiants africains feront leur rentrée avec du retard. « On les prendra en charge », veut rassurer M. Drissi. « On fera un maximum pour que les étudiants ne perdent pas un semestre et on veillera à respecter notre parole », ajoute M. Amara. La seule interrogation repose en fait sur l’accueil de ceux qui passent leur bac en septembre, comme en Algérie.

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Pour les étudiants africains actuellement au pays, l’angoisse monte. Ceux que nous avons pu contacter expliquent qu’ils feront tout pour venir. Dans le cas contraire, « je suivrai les cours à distance », affirme Rokia, une Malienne de 19 ans. Mamadou, quant à lui, estime qu’entre le matériel informatique et les problèmes de débit Internet – sans parler du coût –, il ne pourra pas suivre les cours depuis Bamako – et encore moins les TD. Autre source d’inquiétude : tous deux viennent d’apprendre que des Maliens et des Sénégalais, pourtant acceptés dans des universités françaises, ont vu leur demande de visa refusée en dépit du discours de l’enseignement supérieur sur ce sujet…

Quoi qu’il en soit, si les frontières devaient rester fermées, « cette situation serait une catastrophe », clame François Rio, délégué général de l’Association des villes universitaires de France (AVUF). Au-delà de l’impact économique, il souligne que « ces jeunes s’impliquent davantage dans la vie locale que les nationaux et sont un pari sur l’avenir, car ils deviennent des ambassadeurs de nos villes ». L’AVUF réfléchit donc à faire découvrir à distance les futures cités universitaires des étudiants étrangers et a prévu de repousser en janvier-février 2021 la « nuit des étudiants du monde », des festivités de bienvenue ayant lieu dans 25 villes. « D’habitude, nous organisons cette nuit de septembre à novembre, précise François Rio. Pour cette année, nous avons eu vent d’une arrivée plus massive des étudiants étrangers au second semestre. »

 

Mustapha Kessous

Source : Le Monde (Le 03 août 2020)

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