Mauritanie – PORTÉE ET EXCEPTIONS DE L’IMMUNITÉ PRÉSIDENTIELLE

A – PORTÉE DE L’IMMUNITÉ DU PRÉSIDENT : 

Selon l’article 93 de la Constitution, «Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. »  Aux  termes de cet article, le Président de la République jouit d’une immunité pour les actes  accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

Pour certains, cette immunité ne concerne que le Président en exercice et pas le Président  sortant, puisque celui-ci a retrouvé son statut de citoyen ordinaire. Certains de ces  intervenants sont allés même jusqu’à tronquer le texte de l’article 93, en substituant « dans » par « en » !

Cette disposition « dormante » depuis toujours, n’a jamais fait l’objet, fort heureusement,  d’un quelconque test jurisprudentiel, si bien qu’il faut la soumettre à une interprétation  littérale. Se faisant, on n’y constate très vite qu’elle accorde une immunité « PERPÉTUELLE »  à tout Président, pour les actes qu’il a posés DURANT l’exercice de sa fonction  présidentielle.

La seule exception est celle relative à la « haute trahison ». Notion très floue, très élastique,  voire difficilement qualifiable. Tellement que la doctrine dominante a rattaché cette « haute  trahison » à la soumission à l’ennemi au détriment de l’intégrité ou l’existence même de  l’État, rien de moins!

En dehors de ça, AUCUNE instance politique ou judiciaire en Mauritanie ne peut constitutionnellement parlant prétendre le moindrement interpeler, d’une quelconque  façon, le Président de la République. Ceci est d’autant plus vrai qu’il s’applique  particulièrement au Parlement et ses instances dérivées, compte tenu des termes impératifs  de l’article 30 de la Constitution, lequel nous dit que «(…) Le Président de la République  communique avec le Parlement par des messages. Ces messages NE DONNENT LIEU À AUCUN DÉBAT.»

Ça va de soit de conclure que la dernière convocation de la Commission d’enquête  parlementaire est nulle, non avenue et manifestement anticonstitutionnelle et  l’ancien-Président était en droit d’ignorer.

B – QUALIFICATION DE L’ACTE POSÉ DANS L’EXERCICE DE LA FONCTION 

L’immunité accordée suivant l’article 93 couvre tous les actes accomplis dans l’exercice de la  fonction présidentielle.  Le critère fondamental auquel il faut se référer, pour qualifier si l’acte posé par le Président est dans l’exercice de ses fonctions, c’est d’apprécier sa FINALITÉ visant à servir l’intérêt général.

Dans cette appréciation, il n’est pas du tout important que l’acte soit judicieux, rationnel,  bien ou mal exécuté: NON! C’est son LIEN DIRECT & LÉGITIME avec la fonction qu’il faut  apprécier.

Que le Président ait intervenu directement pour arbitrer une situation quelconque liée, de  près ou de loin, à l’intérêt général et que cet arbitrage ait mal tourné, cela ne lui enlève en  RIEN le bénéfice de son immunité présidentielle.

Mieux, le fait que le Président ait intervenu, ordonné ou demandé qu’une mission  quelconque, liée à l’intérêt général, soit confiée à un membre de sa famille ou à un de ses  proches amis; ou qu’un projet soit attribué à un fournisseur plutôt qu’à un autre, cela aussi  ne change RIEN à la portée de son immunité.

En effet, en tant que Président, il est pleinement en droit de poser de tels actes, compte tenu  de l’importance de la valeur CONFIANCE liée à la fonction; de l’étendu de son pouvoir  discrétionnaire; mais aussi des contraintes temporels ou matériels du moment, dont il est le SEUL, en dernier ressort, à en juger la portée, la gravité et en décider en conséquence.

D’ailleurs, ce ne sont pas les exemples qui manquent à cet égard : feu Mokhtar Ould Daddah  a confié à son frère Ahmed les commandes de la BCM, alors que le pays traverse une période  charnière avec sa sortie de la zone Fcfa et la nationalisation de la Miferma. Wade & Sall au  Sénégal voisin ont fait de même; les Kennedy aux USA; les Mitterrand en France … et j’en passe.

C – Erreur ! Nom du fichier non spécifié. IMMUNITÉ PRÉSIDENTIELLE ET ACTES DE NATURE PRIVÉE

Ça va de soit que tous les actes de nature privée posés par le Président, AVANT, DURANT et  APRÈS l’exercice de son mandat, ne sont pas couverts par l’immunité de l’article 93.

Donc, il est tenu d’y répondre devant le tribunal compétent de droit commun, civil ou pénal,  mais seulement une fois sa charge présidentielle arrivée à terme.

Par exemple, si avant ou durant l’exercice de son mandat, le Président porte atteinte  physiquement à un membre de sa famille; vend ou achète de la drogue; agresse une  mineure; commet une fraude, il doit y répondre devant le tribunal de son geste à la fin de  son mandat (ex. Chirac avec les emplois fictifs de Paris).

Il en va aussi des contrats qu’il a signé pour la gestion de ses propres biens ou ses affaires  personnels: par exemple les contrats de louage ou ceux liés à la gestion de ses meubles ou  immeubles ou encore aux soins ou prestations qu’il a reçu.

D – CONCLUSION  

Hormis la haute trahison, l’immunité accordée par l’article 93 au Président, pour les actes  accomplis DANS l’exercice de ses fonctions, est absolue, CONTINUELLE,  PERPÉTUELLE et il  en bénéficie sa vie durant.

Cependant, cette immunité soufre d’une seule exception constitutionnelle : la haute trahison. Elle ne couvre et ne s’applique évidemment pas, aux actes de nature privée posés par le Président pour lui-même ou dans la gestion courante de ses affaires personnelles, lesquels demeurent du ressort des tribunaux de droit commun.

Maître Takioullah Eidda, avocat

Bir-Oumgrein (Tiris-Zemour).

 

(Reçu à Kassataya.com le 19  juillet  2020)

 

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