Pour George Floyd

Les protestations contre le meurtre de George Floyd se sont déployées à l’ombre d’un panorama contrasté. On y trouve le meilleur et le pire. Le pire, c’est le racisme endémique qui en a été le détonateur.

Des violences policières  répétées, armées par une tradition d’impunité dont les Noirs sont des cibles récurrentes. Pour le meilleur, on retiendra que la « nation indispensable », assurément un pays déroutant, au point de faire de Donald Trump le successeur de Barack Obama, est capable de se ressaisir. Cette fois, elle a su convertir une honte en un sursaut national.

Pour une fois, la « communauté » noire n’a pas été vouée à pleurer seule un des siens. D’où vient le changement? Face à certaines morts, la question ne devrait pas être qui a tué mais qu’est-ce qui a tué, professait Martin Luther King. Les Américains semblent opportunément s’en être souvenus. Mieux, ils l’ont fait à l’unisson au-delà des cloisonnements raciaux habituels. Et ils n’ont eu aucun mal à répondre à la question suggérée par le grand homme. Le genou meurtrier du policier Derek Chauvin les y a aidés. Tous et ensemble.

Pas étonnant dès lors que, quand le révérend Al Sharpton s’écrie « enlevez vos genoux de nos cous», une foule multiraciale l’applaudisse en écho. Eleonore Holmes Norton, une élue noire américaine, témoin des émeutes de 1968, invoque, en guise d’explication, la force de l’image, l’impact d’un meurtre commis en direct. Un « flagrant crime » planétaire. Plus de huit minutes d’agonie dans l’indifférence cynique  du policier Chauvin, déshumanisé à force de haine, et de ses complices ! Voilà pourquoi la police qui a couvé ces machines à tuer, a trouvé, face à elle, des manifestants blancs et noirs tout encore sidérés. Voilà pourquoi des policiers, que l’on imagine différents, ont décidé  de poser le genou. A terre cette fois. A la fois par solidarité et par souci  de différenciation. Mettre à distance ces collègues monstrueux devenait pour eux un impératif catégorique. Voilà aussi pourquoi des officiers généraux de l’armée américaine, dont pas moins de trois anciens Chefs d’Etat-major dont Colin L Powell, refusent, contre Donald Trump, de voir des soldats déployés contre les manifestants. « Le peuple n’est pas l’ennemi » ont tonné les galonnés. Et pas n’importe lesquels. Jugez-en. Les généraux Martin Dempsey, Colin Powell et l’Amiral Mike Mullen, anciens Chefs d’Etat-major des armées. Le Général James Mattis, ancien ministre de la défense, le Général John Kelly, ancien Secrétaire Général de la Maison Blanche, Le Général Douglas Lute, ancien ambassadeur auprès de l’OTAN, le Général John Allen, ancien Commandant des forces en Afghanistan…l’Amiral William Mc Raven, ancien Commandant des opérations spéciales de l’armée américaine. Sans oublier le Chef d’Etat-major en exercice, le Général Mark Milley. Sûr qu’il y aura un avant et un après ? Est-ce trop optimiste ? L’avenir le dira.

En attendant, que s’est-il donc passé ? Au-delà de la toute-puissance des réseaux sociaux, quelle (s) autre(s) explication (s)? Après tout, le tabassage, en 1991, de Rodney King avait également été filmé. Idem du meurtre, il y a un mois d’Ahmaud d’Arbery, le jeune noir, dont le seul « crime » est de s’être aventuré dans un quartier blanc pour son jogging. L’Amérique aurait-elle enfin compris que le sort de l’une de ses composantes ne peut être définitivement tenu pour étranger à l’autre?

La communauté de combat et la solidarité interraciale ne sont certes pas un fait totalement inédit dans l’histoire récente des US. On l’a vue à l’oeuvre dans les années 60, à l’occasion des luttes pour les droits civiques. Mais, depuis, le sentiment s’était installé que cet élan fut sans grand lendemain. Jusqu’ici. Divine surprise ! Ou plutôt fruit de l’action du Mouvement Black Lives Matter, cette lueur née en 2013, d’un hashtag et surtout de la colère en réaction à l’acquittement du policier meurtrier du jeune Trayvon Martin. Un mouvement dont la genèse, les modes d’action…et les slogans ont su séduire au-delà de la communauté noire. Se voulant multiracial et radical, BLM pourrait également s’afficher à vocation intergénérationnelle. Alicia Garza, une de ses chevilles ouvrières, a tenu à préciser que ce n’est pas seulement un « mouvement des droits civiques de la génération digitale » mais « plutôt une nouvelle vague dans la longue trajectoire du mouvement pour la libération des Noirs». Belle manière de célébrer la continuité tout en étant d’aujourd’hui et ancré dans la réalité d’aujourd’hui. Rassurant pour les pères fondateurs qui, le temps faisant son œuvre, tirent leur révérence et passent symboliquement le flambeau à la génération d’après.

La présence discrète d’un Jesse Jackson, affaibli par la maladie, à l’hommage à George Floyd représente à cet égard tout un symbole. Andrew Young, ancien représentant de Jimmy Carter aux Nations unies et, surtout, ancien maire d’Atlanta, n’est sorti de sa réserve que pour appeler au calme face à des risques de débordements. Malgré son combat contre le cancer, John Lewis, l’éternel combattant, a tenu à faire une apparition…Ceux-là ont fait ce qu’ils avaient à faire. Et bien plus. A présent, ils témoignent. Une transition générationnelle s’opère qui se double d’une jonction intercommunautaire, advenue aussi parce qu’une certaine Amérique blanche a choisi de sortir (peut-être momentanément) de son confort, de ses privilèges et de s’échapper de son statut de non concernée, de favorisée pour s’impliquer dans un mouvement qui, d’une manière ou d’une autre, l’aurait affectée. En cela, elle rappelle ces Blancs sud-africains qui ont accompagné plus ou moins longtemps et plus ou moins loin la lutte contre l’Apartheid, hier les « porteurs de valises » français du FLN, aujourd’hui les manifestants israéliens pour les droits des Palestiniens. On les appelle les passeurs. Il n’y en a jamais assez.

 

 

T.B.

 

 

(Reçu à Kassataya le 09 juin 2020)

 

 

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