Moi et le Covid-19 / Par Cheikh Aïdara

Je n’ai jamais eu des pulsions suicidaires ni l’âme d’un héros débonnaire qui tente le diable pour une renommée posthume. Les consignes du ministère de la Santé, je les respecte, mais je n’en fais pas une relique religieuse ni un Totem devant lequel les réalités de ma vie quotidienne doivent s’absoudre.

J’ai appris à vivre avec le Covid-19 dès les premiers soubresauts d’une panique nationale qui a ébranlé les plus solides convictions médicales. D’ailleurs, le monde vient de me donner raison. Il faut apprendre à vivre avec ce virus couronné, ce petit minus qui est appelé à nous côtoyer pendant encore longtemps. Il a appris à se jouer du monde, et dans son infime invisibilité, sait bien danser le «bondje», cette danse des descendants d’esclaves qui, dans la plénitude de leur souffrance et sous la clarté du soir, descendent vers le «Rag» (espace rocailleux) pour s’exorciser d’une journée de dur labeur. Plus on desserre l’étau des mesures de confinement, plus ce petit monstre bleu redouble sa danse.

Je vais, je viens, je m’abonne à mes activités routinières, celles d’un mauvais Samaritain qui a toujours su où prendre ses pêches sans offenser la Nature, ni les règles de bienséance d’un univers où les fouineurs des actualités ne font pas bonne recettes.

Je me joue de cette panique ambiante qui a transformé les rues de Nouakchott en salle de spectacles en pleine air. Partout, des visages à demi-bouffés par des masques ridicules. Ces mêmes visages qui défilent en conseil des ministres, dans les administrations, dans les marchés, jusqu’aux studios fermés où des speakerines solitaires semblent trouver le besoin de se soustraire derrière ces emmitoufflages décatis.

Même les partisans de la divine fatalité, Imams de mosquée, érudits du vendredi, psalmodieurs du soir, tous semblent avoir cédé à cette mode masquée, dont l’exagération dans les espaces publics comme dans les lieux fermés fait penser à «l’Armée des Ombres», ce classique de Jean-Pierre Melville avec pour héros Lino Ventura, Simone Signoret et Paul Crauchet.

Comment quelqu’un qui a échappé à la grippe de Hong-Kong qui a fait de 1968 à 1970 entre 1 et 2 millions de morts à travers le monde, peut-il avoir peur d’un minus comme le Covid-19 ? Comment quelqu’un qui a bravé la fièvre de Lassa, qui a sévi en 1969 dans certaines régions d’Afrique, peut-il craindre ce va-nu-pieds de Covid-19 ? Et le SRAS de 2002 et2003, et l’épidémie H1N1 ! Et l’épidémie de méningite bactérienne de 2009-2010, et l’épidémie Ebola de 2014, et la maladie de Crimée-Congo, et les différentes crises de choléra, et la maladie de la vache folle, et les successives crises paludéennes, et les petits bobos de la petite enfance ?

Au milieu de la panique généralisée, ponctuée par ses macabres dénombrements quotidiens de cas positifs, de cas confinés, de cas covidés, de trucs communautaires et de machins par contact, je reste stoïque, slalomant avec prudence, au milieu de ces milliers de consciences mortifiées par la peur bleue. Celle provoquée par ce minus à deux sous et qui fait trembler le monde, ses grandes puissances comme ses sous-développés.

Entre Covid-19 et moi, c’est le regard en porcelaine et la distanciation marquée par un virus sournois et une âme trempée au fer de la résignation, celle d’une foi confiante en la loi divine. Le destin, c’est le fil tendu entre moi et ce crétin de Covid-19 qui pense pouvoir faire peur à tout le monde. Va, répand ta terreur ailleurs !

Cheikh Aïdara

Source : Thaqafa

 

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