L’après Covid-19 : l’urgence d’une Afrique nouvelle !

La vulnérabilité du monde face à la vague pandémique de la Covid-19 et la récession y consécutive, suscite des prises de position retentissantes dans les milieux politico-intellectuels en faveur d’un changement en profondeur des modèles de gouvernance mondiale et étatique. Au sortir de cette tourmente, notre univers devra repartir sur une base plus sûre, qui repositionne la donnée humaine à un niveau central et irréductible. C’est la condition d’un bien-être et d’une résilience universalisés au profit de l’humanité une et indivisible. Au menu de ce changement, se signale en relief le vaste chantier africain. En effet, les vulnérabilités de l’Afrique sont d’une ampleur qui rend plus sévères les impacts socioéconomiques de la pandémie sur le continent. Plus que jamais, persiste l’urgence d’une Afrique prospère et forte. Une Afrique nouvelle, produit d’une refonte multiforme devant viser, principalement, la concrétisation du projet panafricain (1) et la transformation structurelle de l’économie du continent (2).

1- La concrétisation du projet panafricain

Initié au 19ème siècle dans le contexte de la colonisation, le projet panafricain est fondé sur l’idée d’une destinée commune des peuples et descendants d’Afrique, et de l’impérieuse nécessité de leur solidarité. Il avait alors un double objectif : l’Indépendance et l’Unité de l’Afrique. Après la vague d’accession des Etats africains à la souveraineté internationale au milieu du 20ème siècle, c’est leur unité qui polarise toujours les efforts. Toutefois, ce volet unitaire connait des avancées significatives. L’érection d’un cadre institutionnel supranational de coopération inter-gouvernementale pour l’intégration et l’unité du continent, est par exemple un important préalable accompli. Ce cadre, incarné par l’Union Africaine (UA) qui a suppléé à partir de 2002 à l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) créée en 1963, réunit aujourd’hui tout le continent. C’est un haut lieu d’impulsion et d’évaluation de l’action collective continentale en droite ligne de la visée panafricaniste ainsi que le démontre son Agenda 2063 mis en œuvre depuis 2013. Par ailleurs, le schéma intégrationniste de l’Afrique est parcellisé suivant ses régions géographiques. C’est la raison d’être des Organisations régionales africaines comme la CEDEAO à l’ouest, la CEEAC au centre, le COMESA à l’est, la SADC au sud et la UMA au nord. Elles pourvoient à l’intégration et l’unité de leurs espaces géographiques respectifs dans l’esprit du principe de subsidiarité. Ce dispositif institutionnel, de loin non exhaustif, poursuit au quotidien l’idéal panafricain. Il est crédité de progrès palpables dans : la résolution et le règlement des conflits inter et intra- étatiques – la circulation des personnes, des biens et des services, surtout avec l’effectivité prochaine du passeport africain – le renforcement et la protection des droits et libertés individuels et de l’Etat de droit à travers des mécanismes de veille et une offre service public judicaire supranational – la mise en oeuvre de projets infrastructurels d’envergure régionale et continentale, notamment dans le cadre du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) présidé de façon tripartite par la Commission de l’UA, le NEPAD et la BAD – la formulation de directives communautaires contraignantes en vue de la stabilité, la convergence et la performance macroéconomiques dans les communautés économiques régionales (CER) – le soutien aux échanges commerciaux intra-africains à l’image de l’Accord récent portant création de la zone de libre- échange continentale africaine (ZLECAF) qui jette les bases d’un véritable marché commun continental – etc.

Cependant, beaucoup reste à faire. Le panafricanisme rencontre des défis de taille, dont les questions de paix et de sécurité (guerres intestines, tensions frontalières entre Etats, terrorisme, criminalité transnationale…). Plus de la moitié de l’agenda du Conseil de Sécurité de l’ONU concerne l’Afrique. Elle peine à être exorcisée de ses démons conflictogènes qui polluent toute atmosphère fédératrice, sapent l’intégrité territoriale et l’autorité de l’État, favorisent la pauvreté et la famine, aggravent les disparités de développement entre pays, causent des déplacements massifs de personnes, engendrant au final des replis nationalistes. L’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) et ses composantes comme la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) et la Force africaine en attente (FAA), ne démontre pas son efficacité face à la conflictualité qui sévit en Afrique. Au nombre des défis également, l’immense retard infrastructurel du continent. Selon la BAD, il y a un besoin de 130 à 170 milliards de dollars par an pour combler le déficit de l’Afrique en infrastructures. Ce retard est plus accentué dans le domaine des voies de communications (terrestres, maritimes, aériennes) régionales et continentales si stratégiques pour la mobilité et les échanges commerciaux intra- communautaires. Les infrastructures (transport, énergie, télécommunications…) sont consubstantielles à la fluidité, au dynamisme et à l’attractivité du marché africain. En même temps, elles participent à la construction d’une citoyenneté africaine par le sentiment de mieux-être et d’appartenir à un espace communautaire qu’elles procurent. Enfin et surtout, il y a la volonté politique. C’est elle la pierre angulaire de l’édifice panafricain. C’est elle qui transcende les égos, les replis nationalistes, les réticences et la peur du démantèlement des recettes douanières avec les mesures de libre-échange (suppression des barrières tarifaires). C’est elle qui surpasse les atermoiements, les blocages dans l’adoption d’une monnaie commune régionale et/ou continentale. C’est d’un manque de volonté politique que résultent les défauts de contributions financières de nombre d’Etats au titre du financement de l’objectif continental d’intégration et d’unité.

2 – La transformation structurelle de l’économie africaine

La nécessité d’une véritable refonte structurelle de l’économie des pays africains se fait de plus en plus pressante. Il s’agit de hisser l’activité productive continentale à un niveau de performance optimale, gage de compétitivité et de résilience économiques. La récession en cours suscite des préoccupations majeures sur le continent, liées aux pertes incalculables d’emplois et de revenus, à la paupérisation et la crise alimentaire qui rôdent. Les Etats sont au bord de l’asphyxie, vu la situation chaotique de leurs finances publiques ; parce que l’économie peu diversifiée des pays africains, tire sa croissance essentiellement dans l’exportation de produits primaires (produits agricoles et matières premières). Cela pose quatre problèmes majeurs. Premièrement, cette croissance est assise sur du sable mouvant puisque synchronisée à la volatilité sur le marché international du cours de ces produits qui, du reste, avec la forte baisse de la demande consécutive à la pandémie, dégringole progressivement. Prenons l’exemple du Nigéria où le secteur pétrolier représente jusqu’à 95% des exportations et 70% des recettes fiscales de l’Etat central. L’ampleur du désastre que provoque la chute vertigineuse du cours du baril de pétrole sur l’économie nigériane se laisse aisément deviner. Et beaucoup de pays africains partagent la réalité nigériane. Deuxièmement, le secteur de l’exploitation minière, pétrolière et gazière est peu intensif en termes d’utilisation de main d’oeuvre au regard de la faible valorisation des ressources extractives avant leur exportation. Ainsi, ce secteur génère une croissance peu inclusive et à incidences mineures contre le chômage et la pauvreté. Troisièmement, les produits agricoles et les matières premières exportés reviennent en Afrique sous forme de produits finis manufacturés, affectant l’état de la balance des paiements, engendrant une dégradation des termes de l’échange et favorisant la dépendance de l’Afrique vis-à-vis des pays industrialisés. D’ailleurs, cela se perçoit dans ce contexte de crise sanitaire mondiale à travers les difficultés d’approvisionnement du marché intérieur africain en produits alimentaires de première nécessité. Et quatrièmement, au-delà de leur faible valorisation sur le continent, les ressources naturelles exportées sont non-renouvelables. Ce procédé qui tranche avec le souci de l’optimalité, conduit à la « fureur de l’extractivisme », accélérant l’épuisement de ces ressources au mépris des exigences de durabilité que dicte le sacro-saint principe de préservation de la capacité des générations futures à faire face à leurs besoins.

 

De ce qui précède, jaillit un impératif : l’industrialisation de l’Afrique. C’est le cadre de l’optimum de la valeur ajoutée. Elle donne la possibilité de la valorisation des produits primaires par leur transformation avant exportation. Elle constitue la meilleure réponse au chômage massif et chronique qui affecte les populations africaines et menace la stabilité des Etats. Elle prémunit contre l’endettement massif et facilite la soutenabilité du service de la dette publique par son apport immense aux finances publiques. Elle étend et sécurise l’assiette des débouchés commerciaux pour le secteur primaire (agriculture, élevage, pêche, secteur extractif, etc.), offrant à ce secteur de meilleures perspectives de profit et de développement. L’industrialisation réduit les importations, promeut les exportations et protège de la dépendance vis- à-vis de l’extérieur. Elle est ainsi un atout pour la souveraineté (politique, alimentaire). Elle cimente l’économie face au danger des chocs négatifs exogènes. La compétitivité et la résilience économiques sont indissociables d’un secteur industriel fort où se côtoient en nombre important et pour des domaines divers, de grands capitaines d’industrie comme de petites entreprises (PME, PMI…).

 

Dans cette optique, les pays africains doivent concentrer leurs efforts dans la captation massive de l’investissement privé, surtout les investissement directs étrangers (Ide). Moins de 5% des flux mondiaux des Ide se dirigent vers l’Afrique. Une situation qui relève du manque d’attractivité du marché africain. C’est pourquoi, à l’échelle du continent, doit se poursuivre le travail en termes de pacification du continent, d’intégration du marché africain, de rattrapage infrastructurel, de gouvernance, de modernisation des administrations, de lutte contre la corruption, de transparence dans la gestion des ressources naturelles, de qualification des ressources humaines en mettant l’accent sur la professionnalisation et la technicisation de la formation des jeunes pour une meilleure employabilité. En un mot, il faut asseoir un environnement des affaires propice. Puis, les efforts devront converger dans la multiplication des partenariats publics privés nord-sud et sud-sud et des joint-ventures, qui, au-delà de leur apport économique marchand, constituent un cadre de gain non-marchand avec le partage d’expériences et les transferts de technologies au profit du continent.

 

« L’Afrique doit s’unir », appelaient de leurs vœux, au lendemain des indépendances africaines, Nkwame Nkrumah, Jomo Kenyatta, Amilcar Cabral, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop et tant d’autres leaders panafricains. Plus d’un demi-siècle après, leur appel a pris la vigueur d’un impératif ; leur crainte, la tournure d’une prophétie. Aujourd’hui, plus qu’hier, l’Afrique doit faire bloc pour constituer cette Force des faibles très à-propos dans ce contexte international dominé par les grands ensembles géopolitiques (U.E, MERCOSUR, ALENA, ASEAN, etc). Alors que la guerre économique et commerciale fait rage à l’échelle du monde, un espace africain, intégré et paisible, est le seul terreau pour construire une économie compétitive et résiliente dans chaque pays africain au profit de tous les citoyens du continent./.

 

 

Ahmadou Lamine TOURE
Economiste, Conseiller des Affaires étrangères

(Reçu à Kassataya le 13 mai 2020)

 

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