Grandes manoeuvres de coronavirus pour la Chine au Moyen-Orient

La crise sanitaire permet à la Chine de supplanter la Russie comme principal bénéficiaire du désengagement américain au Moyen-Orient.

La Chine gardait jusqu’au début de cette année un profil relativement bas au Moyen-Orient, se concentrant sur les projets majeurs d’investissement de son  « initiative de ceinture et de route » (de la Soie), désignée depuis 2013 sous son acronyme anglais de BRI.  La Chine laissait volontiers la Russie  profiter en Syrie du désengagement des Etats-Unis dans la région, tout en accompagnant de son veto les vétos russes au Conseil de sécurité, paralysant ainsi l’action de l’ONU dans la crise syrienne. Mais la crise du coronavirus a amené la Chine à désormais se poser au Moyen-Orient en alternative à une puissance américaine incapable, à supposer qu’elle le souhaite, d’inspirer une mobilisation coordonnée contre la pandémie.

UNE ROUTE DE LA SOIE TRES POLITIQUE

La Chine est devenue en 2015 le premier importateur mondial de pétrole, avec 40% de ses approvisionnements en provenance du Moyen-Orient. Mais elle a veillé à diversifier ses fournisseurs, avec l’Arabie, l’Irak, Oman, l’Iran, Koweït et les Emirats, par ordre d’importance décroissante en 2018. Elle n’a pas non plus voulu s’enfermer dans une alliance privilégiée, choisissant l’Arabie saoudite, l’Iran, les Emirats arabes unis et l’Egypte comme ses quatre partenaires principaux dans la région, et ce en dépit des tensions entre Téhéran, d’une part, Riyad et Abou Dhabi, d’autre part. Les investissements massifs de la Chine au Moyen-Orient, de l’ordre d’une centaine de milliards de dollars depuis le lancement de la BRI, sont particulièrement visibles dans les trois ports de Jizan en Arabie, de Port-Saïd en Egypte et de Duqm en Oman, tous trois adossés à d’importantes zones industrielles.

Cette stratégie de longue durée s’appuie sur le soutien résolu de Pékin à tous les régimes en place, y compris les plus autoritaires, quels que soient les différends qui les opposent entre eux. Une telle solidarité des dictatures a joué à plein dès le début de la crise du coronavirus, le président égyptien Sissi se distinguant par l’envoi d’une assistance médicale à la Chine frappée par la pandémie, tandis que le drapeau chinois était projeté sur des monuments emblématiques du Caire et de la vallée du Nil. Cette mobilisation aux côtés de Pékin n’a pas faibli, même quand la diffusion du virus en Iran, de loin le pays le plus touché de la région, a pu être attribuée à la présence chinoise dans la ville sainte de Qom. Tout au contraire, la Chine s’est affichée en ferme allié de la République islamique dans la lutte contre la pandémie et a repris le discours de Téhéran sur la responsabilité des sanctions américaines dans le lourd bilan humain. Une seule fausse note est survenue lorsque le porte-parole du ministère iranien de la Santé a osé qualifier de « plaisanterie » les statistiques officielles de la Chine sur la pandémie, avant de se rétracter sous la pression des « durs » du régime, très liés à Pékin.

Séminaire au Caire sur « La Chine face au défi mondial du coronavirus », le 3 mars 2020 (Mohammed El Raai/Xinhua)

 

UNE PROPAGANDE DE COMBAT

La Chine n’a pas fait que mettre en scène son assistance face à la pandémie, avec les très médiatisées livraisons de cargaisons de masques, ce qui participe au fond de toute politique de rayonnement extérieur. Elle a aussi noué des coopérations opérationnelles d’une intensité nouvelle, par exemple avec le ministère israélien de la Défense, qui a transporté depuis la Chine, le mois dernier, onze avions spéciaux chargés de matériel médical (un chargement de trois millions de masques a, lui, été pris en charge par la fondation d’un milliardaire russo-israélien). Mais Pékin accompagne dorénavant ses gestes d’un discours d’une rare agressivité à l’encontre des démocraties occidentales, accusées d’avoir failli face à la crise. Cette diplomatie du « loup combattant », à l’oeuvre dans le monde entier, est particulièrement virulente au Moyen-Orient, où les Etats-Unis sont la cible d’une campagne systématique de dénigrement, déclinée avec talent et méthode dans toutes les langues de la région.

Xi Jinping a tenu, le 30 avril, à appeler son homologue iranien, Hassan Rouhani, pour l’assurer de son entier soutien pour « remporter la victoire définitive contre la maladie ». Le président iranien, en retour, a salué avec emphase les « succès » de Pékin face au coronavirus. La Chine accuse désormais les Etats-Unis de tous les maux de l’Iran, laissant la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni tenter de sauver ce qui peut l’être de l’accord sur le nucléaire, pourtant de plus en plus rejeté par les « durs » de la République islamique. Pékin ne craint plus de jouer sur le registre de la confrontation dans un Moyen-Orient où la rancoeur à l’encontre des Etats-Unis est générale, y compris en Arabie saoudite (Donald Trump a récemment menacé Mohammed ben Salman, le prince héritier et véritable « homme fort » du pays, de retirer toutes ses troupes d’Arabie si un accord sur le cours du pétrole n’était pas trouvé, une menace suivie d’effet, mais qui laissera des traces profondes dans la relation américano-saoudienne).

La Russie avait jusqu’à présent recueilli le plus grand profit du désengagement américain au Moyen-Orient, posant son soutien inconditionnel à Bachar al-Assad en gage de fidélité envers les régimes en place. Mais les luttes de pouvoir au sommet à Damas et l’incapacité de Moscou à stabiliser la Syrie ont terni l’étoile de Vladimir Poutine dans la région. L’effacement international de la Russie durant la crise du coronavirus permet à la Chine de s’engouffrer dans la brèche au Moyen-Orient et de donner à sa politique régionale, jusqu’alors très économique, une dimension militante qui est sans doute appelée à durer.

Jean-Pierre Filiu

 

Source : Blog (Le Monde)

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