Coronavirus : pourquoi l’Afrique résiste mieux que le reste du monde

Le continent ne compte que 1,2 % des cas de Covid-19. Cela s’explique notamment par sa faible insertion dans les réseaux internationaux et par la jeunesse de sa population.

L’afro-alarmisme n’a-t-il pas été excessif ? Les scénarios catastrophes spéculant sur l’effet déstabilisateur du Covid-19 en Afrique n’ont-ils pas été un peu hâtifs ? Plus de onze semaines après son apparition sur le continent (le 14 février en Egypte), le séisme sanitaire tant redouté par de nombreux responsables ne s’est, à ce jour, pas produit. Alors que l’Afrique concentre 17 % de la population mondiale, elle enregistrait lundi 4 mai 44 034 contaminations (soit 1,2 % du total mondial) et 1 788 morts (0,7 %), selon le bulletin quotidien diffusé par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), à Addis-Abeba. Le continent fait bien meilleure figure que l’Europe ou les Etats-Unis.

Aurait-on péché par excès de catastrophisme ? D’un simple point de vue statistique, l’Afrique inflige un cinglant démenti à des prédictions comme celle qu’énonçait un rapport de la commission économique de l’Union africaine (UA), mi-avril, anticipant 300 000 morts même si le continent adoptait des mesures maximales de précaution. On en est très loin. « On apprécie le fait qu’à ce jour l’hécatombe ne s’est pas produite », relève Yap Boum, épidémiologiste à Yaoundé et représentant régional d’Epicentre, la branche recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières (MSF). « Pour l’instant, nous sommes agréablement surpris et un peu rassurés de voir comment l’épidémie évolue, abonde Elisabeth Carniel, directrice du Centre Pasteur du Cameroun. L’Afrique ne connaît pas, en tout cas pour l’instant, l’explosion qui avait été prédite sur la base de modèles en vigueur en Europe. »

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L’inquiétude sourd néanmoins. La courbe des contaminations rapporte une augmentation des cas d’environ 40 % par semaine. La dynamique demeure à la hausse. La répartition par régions souligne l’exposition particulière de l’Afrique du Nord. Au regard de son poids démographique (15 % de la population continentale), celle-ci est surreprésentée dans le tableau des contaminations (38 % du total africain) mais surtout dans celui des décès (62 %). Deux autres régions retiennent l’attention en raison d’une vitesse de progression de la pandémie supérieure au rythme moyen du continent : l’Afrique centrale (+ 58 % par semaine) et l’Afrique de l’Ouest (+ 51 %).

Zones d’ombre

 

Aussi la tendance conforte-t-elle les autorités médicales africaines dans leur discours d’alerte. John Nkengasong, le directeur de l’Africa CDC, qui avait très tôt averti que l’Afrique devait « se préparer au pire », appelle à maintenir une vigilance intacte. « Oui, il est vrai que la pandémie en Afrique ne progresse pas aussi rapidement qu’en Europe, déclare-t-il au Monde Afrique. Mais il faut rester très prudent et ne surtout pas verser dans l’autosatisfaction. »

« Faisons attention à pas envoyer le mauvais signal en disant que la crise est finie, que l’Afrique ne va pas être touchée », abondait Mabingue Ngom, directeur pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), dans une visioconférence de presse organisée le 29 avril par le réseau régional des agences onusiennes. « L’arrivée imminente de l’hiver en Afrique australe, déjà la plus touchée par le VIH, est une source de préoccupation », ajoute François Dabis, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), à Paris.

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La prudence des autorités se nourrit des zones d’ombre qui n’en finissent pas de brouiller la photographie de la contamination. Les chiffres officiels, relativement bas en Afrique au regard de la tendance observée ailleurs, sont-ils crédibles ? Ne souffrent-ils pas de sous-évaluation ? La faible disponibilité des tests diagnostiques en Afrique (9 pour 10 000 habitants, contre 200 en Italie, selon l’OMS) laisse en effet des pans entiers de la population hors d’atteinte des statisticiens, notamment au sein d’une jeunesse généralement asymptomatique. « Beaucoup de cas n’ont pas été diagnostiqués », admet John Nkengasong, de l’Africa CDC.

« Les tests étant peu disponibles, on n’y recourt qu’en cas de formes sévères pour ne pas les gaspiller », complète Leontine Nkamba, spécialiste en épidémiologie mathématique à Yaoundé. Elle estime que les chiffres officiels au Cameroun ne reflètent que « 30 % de la réalité de la contamination ». Cette sous-évaluation statistique n’enlève toutefois rien au constat général, fruit du vécu quotidien, que l’Afrique n’est pas balayée par le fléau épidémique du Covid-19. « On n’observe pas de débordement des structures de santé dans les 45 pays africains où l’on travaille », souligne Isabelle Defourny, directrice des opérations de MSF.

L’exception éthiopienne

 

Comment l’Afrique a-t-elle pu échapper aux turbulences qui ébranlent l’Europe et les Etats-Unis ? Dès la genèse de la crise, la faiblesse relative de son insertion dans les réseaux mondiaux de circulation des personnes l’a protégée. « La moindre exposition de l’Afrique aux mobilités internationales a retardé l’arrivée de l’épidémie », avance Angèle Mendy, sociologue spécialisée dans les systèmes de santé africains, affiliée à l’Université de Lausanne.

Le lien s’impose d’évidence. A l’heure de l’essor de la « Chinafrique », les connexions en pleine expansion entre le continent et la Chine (huit vols par jour en 2019, contre un vol par jour en 2010, selon le site d’informations économiques Quartz Africa) ont sans nul doute constitué un véhicule initial. La croissance de ce lien sino-africain, si elle a été spectaculaire, est toutefois restée très inférieure à l’explosion des échanges entre l’Europe et la Chine, d’où partaient avant la pandémie une douzaine de vols quotidiens vers le seul aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.

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Dans un article publié à la mi-mars, la revue The Lancet a évalué le « risque d’importation » du virus en provenance de Chine en étudiant l’intensité du trafic aérien (avant la fermeture des aéroports) entre l’Afrique et les villes chinoises les plus infectées. L’étude faisait ressortir que les trois pays africains les plus exposés étaient l’Egypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud. De fait, ces pays se sont révélés parmi les plus contaminés du continent, concentrant à eux seuls près de 40 % du total africain. L’apparente causalité souffre toutefois d’une exception majeure avec l’Ethiopie, très connectée à la Chine mais étrangement peu affectée par le Covid-19 (seulement 140 cas).

Le débat sur l’insertion de l’Afrique dans la circulation mondiale des personnes n’éclaire toutefois qu’une faible partie du processus de contaminations sur le continent. Car les premiers cas importés n’ont pas essaimé localement dans des proportions comparables à l’Europe, où la propagation a été autrement fulgurante. La transmission proprement africaine est restée – à ce stade – relativement limitée. Ce particularisme peut s’expliquer, selon la plupart des analystes, par une culture de mobilisation des structures locales forgée au fil des nombreuses épidémies ayant rituellement frappé l’Afrique, la dernière en date étant la fièvre hémorragique Ebola (plus de 11 000 morts de 2013 à 2016).

« Il y a toute une nouvelle génération de professionnels africains de la santé qui ont développé une expérience extraordinaire en matière de surveillance à base communautaire », observe Socé Fall, directeur adjoint de l’OMS pour les interventions d’urgence.

Le facteur « jeunesse »

 

L’exposition régulière à ces épidémies a aussi pu avoir des effets physiologiques renforçant la résistance aux virus. « Les populations africaines sont exposées à beaucoup d’agressions de pathogènes divers, qu’ils soient parasitaires, viraux ou bactériens, note Elisabeth Carniel, du Centre Pasteur du Cameroun. Aussi est-il possible que le système immunitaire de ces populations soit mieux stimulé que celui de populations moins exposées. »

Le facteur « jeunesse » est aussi souvent invoqué pour expliquer la faculté de l’Afrique à faire front. Le taux de létalité du Covid-19 sur le continent (4,4 %), inférieur à la moyenne mondiale (6,9 %), n’est sûrement pas étranger au fait que l’Afrique est la région la plus jeune de la planète, avec un âge médian (19,7 ans) plus de deux fois inférieur à celui de l’Europe (42,5 ans). Ce facteur « jeunesse » explique aussi les variations au sein même du continent. L’Afrique subsaharienne enregistre ainsi un taux de létalité (2,5 %) très inférieur à celui de l’Afrique du Nord (7,2 %), un décalage qui n’est pas sans lien avec la plus grande jeunesse de la première (âge médian de 18,7 ans, contre 25,5 ans).

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Au bout du compte, une série d’atouts pourraient avoir été sous-estimés par l’afro-pessimisme qui a dominé les prédictions relatives à l’impact du Covid-19 sur le continent. L’alarmisme officiel a « permis aux pouvoirs en place de redorer leur blason, d’essayer de reconstruire leur légitimité après avoir été tous confrontés ces vingt dernières années au discrédit très important de leur magistère», estime Abdourahmane Seck, anthropologue affilié à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal : « Mais les professionnels de santé commencent à affirmer que nous ne sommes pas aussi atteints que le laisse croire la psychose médiatique. Il y a donc un début de discours alternatif, dissonant par rapport à l’unanimisme officiel qu’on nous ressert à longueur de journée. Certaines voix s’élèvent pour expliquer que le confinement n’est pas forcément la seule voie, que l’Afrique gagnerait à laisser circuler le virus afin d’éviter le risque de précarité économique et affronter la pandémie à travers l’immunité de groupe. Il y aussi une mise en cause du suivisme post-colonial des pouvoirs africains par rapport au discours de l’Europe. »

A l’heure où certains pays africains ont commencé à assouplir les dispositifs de confinement, le débat promet de s’aiguiser.

Frédéric Bobin

Source : Le Monde

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