France – Coronavirus : le site du gouvernement contre les « infox » irrite les médias

Les autorités ont lancé une rubrique, « Desinfox Coronavirus », alimentée par des articles de presse sans en informer les rédactions concernées, qui dénoncent un mélange des genres.

C’est un Tweet de Sibeth Ndiaye, qui a mis le feu aux poudres. « La crise du #COVID19 favorise la propagation de #fakenews, a écrit, jeudi 30 avril, la porte-parole du gouvernement sur le réseau social. Plus que jamais, il est nécessaire de se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées. C’est pourquoi le site du @gouvernementFR propose désormais un espace dédié ».

Un clic sur « Désinfox coronavirus », et l’on déroule effectivement un fil d’articles piochés dans les rubriques de fact-checking (vérification des faits) des médias – Les Décodeurs pour Le Monde, CheckNews de Libération, l’AFP Factuel AFP de l’Agence France-Presse, Fake Off de 20 Minutes ou Vrai ou fake de FranceTVInfo). « Non, ce n’est pas la bactérie Prevotella qui tue les patients du Covid-19 » « Bal de rue dans le 18e arrondissement de Paris : que s’est-il passé ? » « Pourquoi ces comparaisons entre les prix des masques français et espagnols n’ont aucun sens »… Les articles s’enchaînent, sans hiérarchie, logique ou commentaires.

 

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L’initiative n’est pas du goût des rédactions concernées, qui découvrent alors qu’elles participent, pour ainsi dire à l’insu de leur plein gré, à une rubrique intitulée « S’informer sur la désinformation » créée, pour le site gouvernemental, sur la suggestion du SIG (Service d’information du gouvernement, qui dépend de Matignon). « Le Monde n’a pas été consulté en amont, et il va de soi que nous aurions refusé ce type de démarche », tweete alors Luc Bronner, directeur des rédactions.

« Défiance et suspicion »

 

Mise en ligne le 23 avril, la rubrique prospérait discrètement avant que Sibeth Ndiaye en fasse la promotion et crée ainsi la polémique. « Ces papiers diffusés sur nos différents médias se sont retrouvés utilisés, instrumentalisés, sur une plate-forme qui s’appelle gouvernement.fr », lance, scandalisé, Vincent Giret, le directeur de France Info.fr. Or « notre bien le plus précieux, c’est notre indépendance, corrobore Paul Quinio, directeur délégué de la rédaction de Libération. Ce genre d’opération ne peut qu’introduire de la défiance et de la suspicion quant aux relations entre la presse et le monde politique ». « Notre démarche partait d’une intention louable, se défend-on dans l’entourage du gouvernement.

S’alarmant « du nombre démesuré de “fake news” qui peuvent mettre en danger la santé des Français », le SIG cherchait en effet à renforcer sa lutte contre la désinformation. Ce qu’il a fait, en se servant directement dans des rubriques estampillées comme telles, facilement identifiables, éliminant de fait toutes les publications ne disposant pas de rubrique ad hoc… et se posant, de fait, en arbitre des pratiques journalistiques.

 

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Cette idée est « aussi inquiétante que contre-productive » dénonçait Guillaume Tabard, le rédacteur en chef et éditorialiste politique du Figaro, samedi 2 mai, dans les colonnes du quotidien, tandis que Laurent Joffrin, le directeur des rédactions de Libération, demandait qu’« à tout le moins », les lecteurs du site soient prévenus que les médias concernés n’avaient pas eu voix au chapitre dans cette affaire. A l’issue du conseil des ministres, samedi 2 mai dans l’après-midi, Sibeth Ndiaye l’a promis : « Cette page a vocation à être supprimée une fois la crise [liée au coronavirus] terminée ».

Aude Dassonville

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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