Au Sahel, les massacres s’amplifient malgré le Covid-19

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le coronavirus a fait des dizaines de morts, mais leur nombre reste très inférieur à celui des victimes de la guerre. Les assassinats ciblés et les massacres de masse ont été fréquents ces dernières semaines. Les armées nationales alliées de la France dans la « lutte antiterroriste » sont accusées de crimes contre des civils.

Quand il a vu arriver au loin les militaires dans son hameau situé à la périphérie de Djibo, une des principales villes du nord du Burkina Faso, Hamidou1 a cru à une patrouille de routine. La matinée touchait à sa fin ce jeudi 9 avril. Le soleil était presque à son zénith. Après avoir constaté que ces militaires étaient lourdement armés, et que certains d’entre eux portaient une cagoule, il a commencé à se méfier. « Je suis rentré chez moi, et j’ai tout fermé, raconte Hamidou. Les militaires arrêtaient tous ceux qu’ils croisaient, dans la rue, devant leur boutique ou autour du puits. Ils leur attachaient les mains et les faisaient monter dans leurs camionnettes. Ils sont restés quelques minutes, puis ils sont repartis avec des dizaines d’hommes ». Plus tard, Hamidou a entendu des coups de feu. Ce n’est que dans la soirée qu’il a appris que des dizaines d’hommes, dont ceux qui avaient été arrêtés sous ses yeux, avaient été passés par les armes et enterrés à la va-vite dans des fosses communes.

« Ils arrêtaient tous les hommes qu’ils croisaient »

Ce jour-là, au moins 31 hommes ont très probablement été exécutés à Djibo par les Forces de défense et de sécurité (FDS), au cours de ce que Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest de Human Rights Watch (HRW) a qualifié de « parodie brutale d’opération antiterroriste », susceptible de « constituer un crime de guerre ». Selon différents témoignages recueillis au téléphone par Orient XXI, les militaires ont mené des rafles dans plusieurs quartiers de la ville. « Ils sont arrivés vers 10 h dans le secteur 4, constitué de petits hameaux, où ils ont arrêté deux personnes, explique Moussa, un habitant de la commune qui, de par ses activités professionnelles, est au courant de tout ce qu’il s’y passe. Puis ils se sont rendus dans le secteur 8. Ils ont arrêté 5 personnes. Après, ils sont allés dans le secteur 7, où ils ont multiplié les arrestations ». Selon Harouna, un habitant de ce secteur, « ils arrêtaient tous les hommes qu’ils croisaient », y compris les déplacés — des personnes qui, ayant fui les violences dans leurs villages et notamment le joug des combattants de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), s’étaient réfugiés ces derniers mois dans les faubourgs de la ville, pensant qu’ils y seraient plus en sécurité.

« La rafle a duré plusieurs heures, poursuit Moussa. Vers 13 h-13 h 30, on a vu le convoi des militaires se diriger vers une petite montagne située près du cimetière du secteur 7. On a entendu des coups de feu, puis plus rien ». En fin d’après-midi, des habitants se sont rendus sur place et ont découvert plusieurs fosses dans lesquelles avaient été jetés les corps de 31 hommes, tous des Peuls âgés entre 20 et 60 ans. Plusieurs d’entre eux avaient les yeux bandés ou les mains liées, aucun n’était armé, affirment les témoins. « C’était horrible, raconte un homme qui a participé à leur exhumation. Certains étaient méconnaissables à cause des balles. Ils étaient enterrés dans quatre ou cinq trous différents ».

Dans un rapport publié le 20 avril, HRW, qui a pu s’entretenir avec plusieurs témoins, confirme ces allégations. « Les victimes ont été interpellées dans plusieurs quartiers ou « secteurs », alors qu’elles étaient en train d’abreuver leur bétail, de marcher ou étaient assises devant leurs domiciles. Elles ont été placées à bord d’un convoi formé d’une dizaine de véhicules militaires, dont des camionnettes, une voiture blindée et des motos », indique l’ONG, qui pointe du doigt le Groupement des forces antiterroristes (GFAT). Dans un communiqué rédigé quelques heures après la publication du rapport de HRW, le ministère de la défense burkinabé a indiqué avoir été informé de « ce type d’allégation » et avoir demandé à la justice militaire de mener sa propre enquête. « Si ces allégations sont avérées, des sanctions seront prises à l’encontre des auteurs », précise le document. Ce n’est pas la première fois que les militaires burkinabés sont accusés de tels faits, mais aucune suite judiciaire n’a pour l’heure abouti.

« On ne sait pas pourquoi les militaires ont fait cela »

Deux semaines après cette tuerie, les habitants de Djibo sont encore sous le choc. « Un ami à moi a perdu cinq membres de sa famille, s’indigne Hamidou. Aucun d’entre eux n’était djihadiste. C’étaient des bergers pour la plupart, qui n’avaient pas d’armes. On ne sait pas pourquoi les militaires ont fait cela ». C’est d’autant plus « incompréhensible », pour Hamidou, que les habitants de la ville subissent ce qu’ils appellent un« embargo » imposé depuis plusieurs semaines par les djihadistes. « On est coupés du monde depuis le 20 mars, poursuit-il, quand les djihadistes ont décidé de bloquer la circulation sur la seule route menant à Djibo qui était encore ouverte, celle qui va en direction de Ouagadougou ». Les deux autres axes menant à Ouahigouya, à l’ouest, et à Dori, à l’est, étaient bloqués depuis longtemps. « Aujourd’hui, plus personne ne peut rentrer à Djibo, ni en sortir. Et cela vaut aussi pour les marchandises. On manque de tout : de charbon, de riz, de gaz, de médicaments… »

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Rémi Carayol

Source : Orientxxi.info

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