Le Covid-19 nous rappelle brutalement à notre condition mortelle

Elle semble si loin, l'époque où l'on pensait pouvoir arrêter le temps.

Depuis l’origine de la civilisation, cultures et religions s’interrogent sur le mystère de la mort. Elle est le destin de l’homme, l’échéance biologique à laquelle personne n’échappe. Pour les croyant·es, selon leur religion, la mort est un rattachement à Dieu, le retour à la terre des ancêtres, la chance d’une réincarnation.

La culture laïque et occidentale réfléchit aussi sur la mort. La certitude de la fin stimule la réflexion sur le sens de l’existence, malgré l’absence de récompenses de l’au-delà.

Mais dans ce troisième millénaire, notre culture laïque et occidentale a établi un rapport différent avec la mort. Les progrès de la science et de la médecine ont vaincu les épidémies et réduit les maux incurables. Bien-être et protections sociales ont offert l’extraordinaire possibilité d’arrêter le temps. Grâce au lifting et au remplacement de diverses parties du corps –mains, jambes, cœur, foie, et même, un jour peut-être, cerveau– s’est insinuée dans la culture de masse, l’illusion ou carrément même l’attente d’un prolongement indéfini de l’existence. Certes, nous continuerons de mourir, mais le plus tard possible et probablement davantage de causes accidentelles que de maladies, qui deviennent de moins en moins mortelles. Le sociologue et historien Yuval Noah Harari a même parlé d’«amortalité» pour décrire notre avenir proche.

Les sociétés vieillissantes, la question de la démographie et des retraites, les styles de vie, les rapports interpersonnels, la vie sexuelle, autant de questions qui se débattent depuis environ une décennie avec optimisme: on est vieux seulement après 70 ou 80 ans, quand on arrive dans le «quatrième âge». On s’attend à une multiplication des centenaires.

Le Covid-19, l’avenir d’une désillusion

Cependant l’épidémie Covid-19 est survenue, dévastant ces certitudes existentielles et scientifiques. Un banal virus s’est salement joué du progrès, a mis à rude épreuve nos systèmes de santé performants et souligné les négligences irresponsables, le manque de prévention et de discernement politique dans les investissements de santé. On a davantage pensé au soin du corps, aux pathologies actuelles comme l’obésité qu’à la recherche sur les vaccins et à la disponibilité des lits en thérapie intensive. C’était exactement le sens il y a cinq ans d’une dénonciation de Bill Gates, restée depuis lettre morte!

Avec le coronavirus, la mort redevient celle d’autrefois, lorsqu’on mourait encore de la tuberculose, de la poliomyélite, et des grippes saisonnières. Si ce n’était «de vieillesse» comme l’on disait alors avec naturel. Ces dernières semaines nous ont rappelé la peste du XVIIe siècle avec la mort par centaines des personnes âgées et des plus vulnérables.

En un premier temps la politique a maté la science et la médecine, puis elle s’est déresponsabilisée en se remettant aux indications des virologues.

Nous avons redécouvert la peur collective de mourir, la précarité de l’existence –qui en réalité continuait à nous hanter par le biais des accidents de la route ou des maladies graves… mais nous vivions dans l’illusion que les remèdes étaient toujours plus efficaces.

Cette redécouverte de la mortalité a donc excité un instinct de survie dont les classes politiques occidentales se sont faites les interprètes absolues et dogmatiques. Cela explique l’adhésion disciplinée et conséquente aux mesures de confinement. On est passé de la sous-évaluation de l’épidémie, par crainte avant tout des conséquences économiques (rappelons le malencontreux #milanononsiferma), au confinement généralisé pour sauver nos concitoyen·nes. En un premier temps la politique a maté la science et la médecine, puis elle s’est déresponsabilisée en se remettant aux indications des virologues.

Le sens du virtuel

Les mesures de confinement ont été partiellement adoptées dans les zones du tiers et quart-monde qui, pourtant, n’ont jamais changé leur style de vie, cela en raison de tous les maux qui chaque année emportent par millions des êtres humains: malaria, tuberculose, Ebola, VIH, famine, disette, conflits. Dans cette partie du monde on ne voit pas d’images de villes désertées et de populations enfermées chez soi. Les trois quarts de l’humanité continuent donc à se résigner à une espérance de vie plus faible.

Dans notre Occident développé nous nous sommes claquemurés, en acceptant de voir sombrer l’économie, la vie civile, les relations humaines.

Le verbe «chatter» est devenu synonyme de «vivre» et a bouleversé le sens de nombreuses actions vitales: nous travaillons sur le net, nous y dialoguons avec des amis et la famille, nous y aimons les personnes que nous ne pouvons plus voir. #IORESTOACASA (#JeResteChezMoi) a fourni les occasions de changer les règles de la politique: sur le web tôt ou tard on proposera des révisions constitutionnelles qui réuniront les Parlements, on appellera aux urnes virtuelles les citoyen·nes et se développera la possibilité de tracer leurs comportements.

La vie virtuelle permet le dialogue, le smart working et tant d’autres choses qui ne ressemblent pas à la normalité. Les relations à distance ne permettront pas la continuité de l’espèce.

Quand nous interrogerons-nous sur le sens d’une telle vie?

La politique entre Charybde et Scylla

La politique a appliqué le modèle Wuhan, déléguant à la science ses temps d’application. Mais à présent, après deux mois de quarantaine, on commence à penser aux mesures concernants les coûts et les bénéfices, autrement dit au prix payé par l’économie pour protéger la vie.

Il serait cynique de raisonner comme Staline (un mort, c’est une tragédie; un million de morts, une statistique), mais on commence à se demander quel sera le nombre de victimes directes ou indirectes du confinement (pauvres et nouveaux pauvres, faillites, suicides), combien de décès seront survenus en raison de pathologies non reliées au coronavirus. (Sans non plus négliger le nombre de morts que l’on doit attribuer à la confusion dans les contre-mesures de la première phase, lorsque le virus s’est répandu dans les hôpitaux et maisons de retraite).

Trouverons-nous la juste mesure pour une communauté d’êtres humains «nouvellement» mortels?

Quelques régions ont décidé d’une reprise contre l’avis du gouvernement central. Des gouvernements européens ont décidé de même en ordre dispersé. De nombreux secteurs, de l’industrie au sport, font pression dans ce sens. Mais qu’en sera-t-il de la résistance sociale lorsque le citoyen lambda commencera à s’inquiéter du prix à payer de son retour à la liberté?

Des personnalités influentes, comme Ursula von der Leyen, optent pour des ouvertures sélectives, en maintenant le confinement à partir de 60 ans. Ce qui induit une variante à notre réflexion: car le confinement par classes d’âge équivaudrait à une euthanasie sociale. Les personnes âgées devront choisir entre rester chez elles pour mourir plus tard ou sortir en risquant de mourir d’abord. L’amortalité n’est plus au programme au temps du coronavirus.

Dans l’attente de la reprise économique, de la reprise de l’activité, de la découverte du vaccin, commencerons-nous par réfléchir à notre futur modèle de société avancée? Entre la décroissance heureuse temporairement imposée par le coronavirus et l’obsessionnelle reprise du développement insoutenable, trouverons-nous la juste mesure pour une communauté d’êtres humains «nouvellement» mortels?

Massimo Nava 

Traduit par Catherine Colombani

 

 

 

Source : Slate (France)

 

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