Chine-Golfe – La fragilité d’un rapprochement

Alors que les pays du Golfe traversent une série de crises, de l’escalade avec l’Iran à l’épidémie du Covid-19 en passant par la guerre des prix du pétrole, l’année 2020 pourrait révéler la fragilité de leur alliance avec la Chine.

Ces cinq dernières années, les pays du Golfe ont activement cherché à se rapprocher de nouvelles puissances comme la Chine. À un moment où leur allié principal, les États-Unis, donne des signes croissants de désengagement, ces pays cherchent à diversifier leurs relations et à aligner leurs intérêts stratégiques sur leurs intérêts économiques, désormais largement tournés vers l’Asie. Visites officielles, accords économiques et déclarations politiques rythment désormais ces relations florissantes.

Regards tournés vers l’est

 

La politique très active des pays du Golfe envers la Chine a d’ailleurs généré des inquiétudes à Washington, qui observe avec méfiance l’influence croissante que Pékin développe au Proche-Orient. Signe d’une nouvelle époque, les États-Unis ne sont par exemple pas parvenus à convaincre leurs alliés du Golfe de se détourner du géant chinois Huawei pour le déploiement dans leur réseau 5G, malgré des mises en garde répétées. La tournée asiatique organisée par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) en février 2019 a été perçue comme un véritable pied de nez fait à ses alliés occidentaux, à un moment où ceux-ci faisaient pression sur l’Arabie saoudite pour qu’elle cesse la guerre au Yémen et réponde du scandale de l’affaire Khashoggi. Certains ont vu dans cet intérêt croissant du Golfe pour l’Asie le signe d’un nouvel ordre mondial.

L’année 2020 pourrait cependant constituer un important moment de vérité sur la nature réelle de ces relations. La crise du Covid-19 semble en apparence les avoir renforcées. Les Émirats arabes unis notamment ont fait de bruyantes démonstrations de solidarité envers la Chine, et la chute des prix du pétrole pourrait être une occasion pour les pays du Golfe de gagner des parts de marché en Asie. En retour, la Chine s’est présentée en puissance mondiale responsable, envoyant des équipes médicales et du matériel dans les pays affectés de la région, notamment en Iran, Irak, Oman et Koweït.

Le recalibrage des routes de la soie

Cependant, derrière ces effusions de solidarité, l’impact de long terme de la crise sur l’engagement de la Chine au Proche-Orient pourrait bien être moins reluisant. Les efforts des pays du Golfe pour attirer l’attention de Pékin révèlent d’ailleurs une profonde insécurité quant à leur capacité de maintenir une relation qu’ils sentent encore fragile.

Déjà, fin 2019, la réponse très timide de la Chine face à l’escalade des tensions entre les États-Unis et l’Iran avait rappelé aux pays du Golfe que, malgré des intérêts économiques croissants, Pékin n’était pas prêt à jouer un rôle politique et sécuritaire plus conséquent dans la région. Interrogés sur le sujet, les experts et officiels chinois insistent sur le fait que leur pays perçoit encore le Proche-Orient comme une région complexe, dangereuse et relativement périphérique par rapport à leurs priorités stratégiques. Fin 2019, alors que les tensions avec l’Iran menaçaient de perturber le commerce du pétrole et les routes maritimes, certains officiels du Golfe s’inquiétaient en privé qu’une telle instabilité puisse décourager la Chine d’approfondir ses relations avec la région. La crise du coronavirus pose maintenant un nouveau défi à ces relations, cette fois économique.

La crise du Covid-19 ne portera sans doute pas un coup d’arrêt à la croissance de la Chine, mais elle révèle la vulnérabilité de sa puissance économique. En 2019, la Chine a enregistré le plus bas niveau de croissance économique en trente ans, passé de 14,2 % en 2007 à 6,1 % en 2019. Celui-ci reste certes élevé, mais ce début de ralentissement, ainsi que des problèmes de dette et une guerre économique toujours virulente avec les États-Unis, commencent à peser sur la capacité de la Chine à maintenir le niveau d’investissement qu’elle déploie dans le monde. Depuis près de deux ans déjà, plusieurs rapports suggèrent d’ailleurs un début de recalibrage des ambitions chinoises sur les Nouvelles Routes de la soie. La crise du Covid-19 va probablement accélérer cette tendance.

Solidarité avec Pékin contre le virus

 

Pour les pays du Golfe, dont les relations à l’économie chinoise ont explosé cette dernière décennie, la crainte est grande que Pékin recentre sa priorité sur son voisinage proche. En réponse à cela, les pays du Golfe ont déployé d’importants efforts pour maintenir l’attention de Pékin. Dès janvier 2020, le prince héritier des Émirats Mohamed Ben Zayed (MBZ) a affirmé que son pays était prêt à soutenir la Chine dans son combat contre le virus, et le pays a affiché en marque de solidarité le drapeau chinois sur plusieurs monuments nationaux.

De manière plus significative, le gouvernement émirien a maintenu les connexions aériennes avec Pékin plus longtemps que la plupart des pays de la région, malgré les craintes de contagion. Cela a permis à la diaspora chinoise aux Émirats de coordonner la collecte et l’envoi de matériel médical en Chine. Des compagnies émiriennes telles Group 42 facilitent la coordination des efforts entre les gouvernements chinois et émirien et centralisent l’envoi de milliers d’unités de matériel médical. Group 42 a coopéré par ailleurs avec la compagnie chinoise Beijing Genomics Institute (BGI) pour l’ouverture aux Émirats du plus grand centre de détection du Covid-19 hors de Chine fin mars. En parallèle, l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït se sont investis dans des efforts similaires pour l’envoi de matériel au début de la crise. Rival régional de l’Arabie saoudite et des Émirats, l’Iran a aussi affiché son soutien à la Chine, malgré ses ressources limitées.

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Camille Lons

 

Source : Orientxxi.info

 

 

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