Coronavirus : « Développer un vaccin en 18 mois sera un tour de force sans précédent »

Devant l’ampleur de la crise du Covid-19, de très nombreuses équipes se sont lancées dans une course effrénée au vaccin. Car la vaccination reste notre meilleure option pour riposter collectivement face au virus. Cette course à l’issue incertaine n’a jamais été poussée à une telle vitesse, explique Etienne Simon-Lorière, virologue à l’institut Pasteur.

 

Science & Vie : Quand aura-t-on un vaccin contre le Covid-19 ?

Etienne Simon-Lorière : Tout dépend de la technique vaccinale qui se révèlera utilisable. Mais, dans tous les cas, pas avant 12 à 18 mois pour un déploiement à large échelle. Cela peut sembler très long dans le contexte de l’urgence de l’épidémie, mais ce serait en fait un véritable tour de force. Le développement d’un vaccin, en général, prend plutôt 10 à 15 ans !

S&V : Quelles sont les voies de recherche les plus prometteuses ?

E.S.-L. : Plusieurs stratégies vaccinales sont mises à l’œuvre, et les approches qui ont déjà réussi chez l’homme restent les plus prometteuses. Pour l’instant ce sont des vaccins dit à “ARN messager” ou « à ADN » qui font la course en tête. Très innovante, cette technique – qui consiste à injecter un fragment du code génétique du virus pour générer une réponse immunitaire – n’a cependant jamais été utilisée pour développer un vaccin. Mais la vitesse du processus impressionne : en quelques semaines, les américains de la biotech Moderna ont commencé des essais de tolérance chez l’homme. Du jamais vu.

S&V : Comment peut-on accélérer autant le développement du vaccin ?

E.S.-L. : Les équipes ont gagné du temps dès le départ. Les fragments du virus choisis pour en tirer un vaccin ne sont pas du tout le fruit du hasard. L’expérience des coronavirus précédents, le SRAS et le MERS, nous a été très utile : nous avions déjà identifié comme cible principale la protéine de surface des virus (protéine S), une protéine très importante qui réagit avec le récepteur de la cellule-hôte et fait réagir le système immunitaire.

Et puis l’étape suivante, celle des tests sur l’animal, a été littéralement “grillée” par Moderna : avant même de pouvoir montrer que leur vaccin générait une production d’anticorps chez l’animal, ils ont lancé en parallèle les injections chez l’homme. Pour aller si vite, les scientifiques ont certainement fait valoir que leur approche avait fait preuve de sa tolérance, pour d’autres indications dans des programmes différents.

Pour savoir si ce vaccin ARN fonctionne, il faudra donc attendre les résultats chez l’animal et chez l’Homme. Et là, gare à la déception ! Est-ce que cela va vraiment fonctionner ? Est-ce qu’il ne va pas y avoir des problèmes à l’administration ? C’est un énorme point d’interrogation.

S&V : Si le développement d’un vaccin aboutissait, pourrait-on le produire massivement ?

E.S.-L. : Nous serions dans une situation jamais vécue : il n’y a pas de précédent dans l’histoire de l’industrie pharmaceutique de ce type de besoin, à la fois en termes d’urgence et de quantités à produire. Il y a aura des challenges, c’est sûr. Mais aujourd’hui, vu la mobilisation mondiale, j’ai bon espoir que les industriels y parviennent. Certains ont les moyens de faire les choses à très grande échelle. Mais le temps de production est difficile à estimer. Une fois encore, il dépendra du vaccin retenu.

S&V : Quel est l’objectif du vaccin ?

E.S.-L. : Il est double : empêcher les personnes de tomber malades, mais aussi stopper la circulation du virus.

S&V : Qui faudrait-t-il vacciner en premier lieu?

E.S.-L. : La première cible serait les personnes à risques : les personnes âgées et celle présentant des comorbidités. Mais ensuite il faudrait faire des choix pratiques, car des personnes jeunes et sans comorbidités claires tombent aussi malades. Il serait peut-être peu juste et peu judicieux de les exclure.

S&V : Si le virus mute, tous ces efforts auront-ils été vains ?

E.S.-L. :Le virus est stable et nous ne sommes pas très inquiets quant à ses mutations. Et puis, la plupart des vaccins tolèrent l’acquisition par le virus de quelques mutations. Si le virus évolue, il évoluera de manière assez lente. Si on compare avec la grippe qui mute deux à trois fois plus vite que le SARS-CoV-2, il faut 2 à 3 ans pour qu’une mutation nécessite vraiment de changer un “morceau” du vaccin.

Le vaccin serait donc un investissement plutôt à long terme. Dans tous les cas, la preuve de concept serait faite. Si on devait simplement refaire le vaccin dans 3 ans, en ajoutant une souche avec une ou deux mutations, toute la procédure serait déjà en place et la production s’en trouverait extrêmement facilitée.

S&V : Ce ne sont pas les vaccins, mais des traitements antiviraux efficaces qui nous ont permis de répondre à d’autres épidémies, comme celle du VIH-sida. Est-ce que cela pourrait aussi être le cas avec le Covid-19 ?

E.S.-L. : Non. Nous sommes face à une infection aiguë, avec une “fenêtre de tir” très courte pour intervenir avec un traitement. En plus, il y a la façon dont le virus se transmet, le nombre de patients contaminants peu ou pas symptomatiques… L’infection à VIH ou l’hépatite C sont des infections virales chroniques, des maladies qui mettent du temps à s’installer, dans lesquelles la contamination est étalée dans le temps. Dans ce cas, les traitements peuvent casser les chaînes de transmission.

 

 

 

 

Source : Science et Vie

 

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